« Ce qui me motivait, c’était de raconter de façon très honnête l’histoire de deux hommes qui tombent amoureux », ainsi s’exprime Andrew Haigh, réalisateur d’un film que tout destinait au public des festivals gais et dont le succès dépasse de beaucoup ces limites. Les raisons de ce succès ? On peut s’interroger : vient-il du film lui-même et de sa façon d’aborder les amours entre deux garçons, deux jeunes hommes, mais aussi du regard du public sur ces amours ? La critique, abondante sur ce film, annonçait qu’il s’agit d’un film d’amour propre à émouvoir tous les spectateurs, homo comme hétérosexuels, que l’amour, c’est toujours l’amour et que tous peuvent s’y retrouver. C’est là une façon d’en banaliser le sujet, de rendre abordable à tout le monde une forme d’amour que la société admet mal : l’amour entre deux hommes. Si le film contribue à ce résultat , tant mieux, mais il témoigne aussi de ce qui est propre aux amours entre hommes, qu’on ne peut assimiler aux autres formes d’amour.
Les deux garçons du film se rencontrent dans un bar gay, un vendredi soir. Passablement éméchés, ils finissent la nuit ensemble. Ils ne se quitteront quasiment pas de tout le weekend. On est dans un grand immeuble de la banlieue d’une ville anglaise, Au réveil, le café les rapproche. L’un est déjà habillé pour aller travailler, l’autre, encore nu, se recouche. Ils sont déjà complices. On va les suivre dans leur vie quotidienne, « en disséquant leurs faits et gestes, en restant sobre », dit Haigh. On aime qu’il s’agisse d’hommes ordinaires, comme ceux qu’on rencontre tous les jours. Autour d’eux, des gens simples. Pas d’intrigue, de drames, d’états d’âme. Même l’homophobie qui parfois se réveille autour d’eux ne les perturbe pas, elle est ordinaire, quasi quotidienne, comme familière.
Leur amour, c’est d’abord le contact de leurs corps, épidermique, tendre, fraternel, car on ne perd jamais de vue qu’ils sont deux hommes. L’un d’eux, Glen, aimerait comprendre et entreprend d’enregistrer une confession de son partenaire, ce qui tend à montrer que ce qu’ils vivent tous les deux n’est pas si universel que cela. En faisant l’amour, ils créent leur amour, le consolident, lui donnent vie. Aucune parole, rien d’abstrait : l’odeur du corps, un peu de sperme sur la peau… Dans ce cadre urbain de grands immeubles et de béton, cet amour est comme une éclosion charnelle : une fleur, ou un de ces champignons qui soulèvent l’asphalte des trottoirs. Chacun évoque son passé, tous deux retrouvent ensemble leur enfance sur les auto-tamponneuses, en mangeant de la barbe à papa, et l’un, Glen, joue même pour l’autre, Russell, le rôle du père que celui-ci n’a pas eu pour recueillir avec le sourire le « coming out » qu’orphelin il n’a pas eu à faire : à ce point, l’amour touche au bonheur. Que ce bonheur soit éphémère passe au second plan.
L’amour entre deux garçons, l’un maître nageur plutôt timide, l’autre étudiant avancé ? Qui donc s’y intéressera en dehors des gais eux-mêmes ? Telle est la question que se pose Glen en menant son enquête. Le réalisateur se la posait aussi. Il a des raisons d’être rassuré, semble-t-il.
Film sobre, émouvant sans pathos aucun, la première qualité de Weekend repose sur le jeu des deux acteurs qui incarnent Russell et Glenn et dont la complicité professionnelle développée durant le tournage semble animer les personnages de cette histoire. Tout le contraire du « Paradoxe » de Diderot ! Le film a reçu le Grand prix et le Prix du meilleur réalisateur au Festival LesGaiCineMad de Madrid 2011.
Le film sorti d’abord à Paris, puis en province, passe encore dans une salle à Paris. Dans quelques mois devrait en sortir le DVD, du moins nous l’espérons. Je ne saurais trop le recommander à tous ceux qui auraient manqué sa sortie.
Claire Lippus