Cahiers d’Histoire N°199 avril-juin 2012
[…] Les remords, la honte et la culpabilité n’entachent pas l’amour du mâle qui éclate à chaque page du volume. Le rapprochement des corps, la fièvre des enlacements, l’âpreté des rapports, l’usure des sentiments et la satiété des sens se répondent et dessinent la cartographie d’attachements contrarié ; la crudité de l’expression et la précision des actes décrits anticipent Le Livre blanc de Jean Cocteau, annoncent, sous une forme embryonnaire, la littérature homosexuelle d’après 1968, de Pierre Guyotat à Hervé Guibert. Car ce « livre des vies coupables », titre que le docteur Lacassagne songeait à adopter pour un recueil regroupant les confessions de criminels déviants, est aussi un livre de vies libres, une liberté qui emprunte plusieurs voies : celle du travestissement et du music-hall pour Belorget, celle du meurtre pour Charles Double, celle du fantasme pour les fétichistes, celle des amours d’une nuit.
Ces peintures d’une incroyable vitalité mettent également au jour le caractère foncièrement homoérotique d’une société corsetée, mais où les identités sont pour le moins fluctuantes. Les personnages secondaires méritent en cela une attention particulière : autour des ces huit invertis-nés gravitent les vieux marcheurs, les domestiques débauchés […], les amis intimes complices des plaisirs solitaires, les amants de passage — souteneurs, hommes mariés et hommes à femmes que la recherche de la volupté entraîne tout naturellement sur les chemins de Sodome ou auxquels une hétérosexualité de façade sert à garantir la respectabilité.[…]
Nicole G. Albert
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