On m’avait vanté à sa sortie le prodigieux numéro d’auteur-acteur-metteur en scène du film Les garçons et Guillaume, à table ! sorti en 2013 et aussitôt couronné de lauriers. Quand les envolées d’encens se sont calmées ─ il est vrai qu’elles ne furent pas unanimes ! ─ et qu’on découvre ce film près de trois ans après sa sortie, le brio du numéro demeure bien là mais laisse aussi le goût amer d’un numéro de dupe.
Il y a toujours un étrange mélange de cocasserie et de trouble à voir quelqu’un, ami ou acteur, femme ou homme, passer de son sexe apparent à l’autre, surtout quand les costumes, le maquillage et l’éclairage contribuent à parfaire l’illusion. La couture fragile qui sépare le féminin du masculin nous plonge alors dans un état étrange. Si c’est grossièrement fait, on rit et ça ne va pas très loin. Si tout concourt à la réussite, et même si coexistent subtilement des éléments des deux sexes, alors vient le vertige sans fond de la frontière floue entre masculin et féminin. Adieu le cliché des sexes, bonjour le flou du genre !
Guillaume Gallienne dans son film, comme Olivier Py en Miss Knife de jais noir sous les roses de la rampe, joue très bien de ce vertige-là. Déjà Charlie Chaplin, au temps du muet, nous ensorcelle en Mamzelle Charlot et Laurel et Hardy forment parfois un couple homme-femme plus vrai que nature. Le transformisme exceptionnel d’Alec Guinness dans Noblesse oblige (1949) nous laisse pantois. Il en faut peu pour que l’on passe de la gaudriole appuyée de La cage aux folles (1978) à la farce tragique de Tenue de soirée (1986).
Guillaume Gallienne, même s’il caricature sa mère, peut et sait nous faire passer d’un rire bon enfant à un sourire plus réfléchi. Quelle plus belle manière que le travestissement et le maquillage pour faire subtilement glisser son public de l’innocence enfantine du déguisement à la morale dynamitée que créent l’homme en hyper-femme, la femme en hyper-homme, l’androgynie ou la gynandrie à cloisons japonaises ?
Mais pourquoi donc Guillaume Gallienne nous offre-t-il un film d’une virtuosité transformiste à couper le souffle pour le clore en sinistre et fallacieux coming out à rebours ? On a tout-à-coup l’impression d’une bonne vieille chute propre à consoler tous ceux que le film aurait trop inquiétés : « T’inquiète pas, Maman, c’est ta perfection de femme froide qui faisait de moi ce garçon trouble de tout mon passé et de tout le film, ce garçon qui t’admirait à en vouloir devenir toi, qui se la jouait en Sissi, toute en perlouses et dentelles, rien que pour te provoquer, attirer ton attention et ton affection ! Je n’ai fait l’intéressant que jusqu’au « jour où j’ai rencontré Amandine », mon ange rédempteur qui m’a guéri de mon vilain œdipe. Mais surtout t’en fais pas, sois tranquille, tout ça c’était du cinéma, maman je suis pas pédé !!!
Alors finalement Les garçons et Guillaume, à table !, c’est quoi ? Un formidable bluff d’histrion pour nous faire retomber dans une psychanalyse de pacotille et dans la bien-pensance la plus racornie ? Un règlement de comptes des plus alambiqués avec une bourgeoise à qui on ne fera pas le plaisir d’avoir un fils homo ─ ce qui serait une épreuve certes, mais un homo c’est si artiste, si chic dans une certaine gentry parisienne… ─ ? Pourquoi Guillaume Gallienne clôt-il son film sur une scène de théâtre où il s’adresse à sa vraie mère présente parmi les spectateurs, comme si le film devenait réalité filmée pour convaincre les spectateurs incrédules : mais oui, mais oui, rassurez-vous, on peut être folle et hétéro ! Ouf ! Mais attention, Guillaume, tu as sans doute pour toi tout un public bluffé… mais n’est-ce pas jouer avec le feu que de s’offrir un coming out inversé pour snober les ploucs qui ne peuvent s’offrir qu’un coming out ?
À trop bien jouer à la fois les mamans de NAP et les bons fils hétéros jurant à maman qu’elles n’ont rien à craindre des vilaines mœurs de la plus fille de leurs garçons, est-ce qu’on sait vraiment qui l’on est, de quoi l’on est fait, de sucre comme Julio ou de gingembre comme Arno ?
Pierre Lacroix, octobre MMXVI