Tom of Finland appartient à cette catégorie de films qui vous laissent rivé sur votre fauteuil lorsque défile le générique de fin, tant l’émotion qu’il suscite vous a extrait de la réalité. Si seulement le rêve pouvait se prolonger…
Même parmi ceux qui connaissaient ses dessins, combien étaient au fait des circonstances de l’existence de Touko Laaksonen (identité finlandaise de notre ami Tom) ? Il a pris part à la guerre (dont le souvenir le hante), connu la traque policière exercée à l’encontre des homosexuels avec haine et brutalité, survécu tant bien que mal avant de connaître la consécration en Californie, alors terre promise des gays.
L’évocation de sa vie permet de suivre l’évolution des mentalités sur la question gay, la condamnation par la société, la répression policière, la misère affective, et enfin le sida.
Le film, à sa manière, est militant, sans que l’on devine pour autant le moindre militantisme dans la démarche du réalisateur. Il se contente de montrer les faits, au spectateur d’en tirer lui-même les conclusions.
Quand on raconte les exactions dont les juifs eurent à souffrir, on montre de la compassion et l’on s’indigne ; mais s’agit-il d’homosexuels évoquant sensiblement les mêmes actes de barbarie dont ils ont été les victimes (et le sont encore en de nombreux pays), les gens n’y prêtent qu’une attention indifférente, soit qu’ils s’en moquent, soit qu’ils restent incrédules, quand ils ne pensent pas in petto : « Tant pis pour eux, ils l’ont bien cherché. »
Ce film rend justice aux homosexuels avec une rare habileté, ce n’est pas une plaidoirie mais seulement la mise en exergue de fragments de vie, un regard porté avec tendresse sur une « communauté » injustement fustigée. Ce n’est qu’avec prudence que j’emploie l’expression communauté, car je n’aime pas le principe d’enfermement qu’elle suppose, mais, ici, elle est tellement associée à l’idée de solidarité et de culture commune qu’elle me semble la bienvenue. Un peu à la manière des associations d’anciens combattants dont l’objet n’est pas de faire que l’on s’isole des autres mais de sauvegarder le souvenir d’une expérience partagée.
Le rythme de la narration est lent, soutenu parfois par une musique prenante, et l’imprégnation se fait par petites touches. Régulièrement, des envolées poétiques ou des passages sensibles enluminent l’écran. Le réalisateur a du caractère et du style, son film a de la profondeur sans manquer jamais d’élégance ni même d’humour. Pour preuve, ce garçon en phase terminale du sida qui arrive à rire avec ses amis venus le visiter à l’hôpital (et qui lui apporte un lapin, bien connu pour son appétence sexuelle) lorsque le terme « positif » affleure dans la conversation et que l’un d’eux fait observer que c’est de circonstance.
Autre scène touchante, qui anticipe sur le mariage pour tous, qui montrent Tom et son ami de cœur superposant à une banale emplette de rideaux jaunes (la couleur des nouilles !), la cérémonie fantasmée de leur mariage, les anneaux des rideaux symbolisant alors leurs alliances.
Un grand et beau film, une existence d’exception, et, il ne faudrait pas l’oublier, un artiste de premier plan.
Certes, les dessins de Tom sont de formidables exhausteurs de fantasmes, mais ils méritent mieux que d’être réduits à cette seule fonction érotique. Tom a su créer un univers qui relève de sa seule fantaisie, et c’est la marque d’un talent artistique accompli.
Alain Stœffler