Un inconnu se baigne
En cachette dans l’eau.
Naïvement il promène
Un regard inquiet.
Pas la peine de cacher
Ta nudité pudique.
Les passants du pays
N’ont pas souci de toi.
Un bref signe de croix,
Avant de plonger de la berge…
Tu serais plus malin,
Tu jouerais à Narcisse.
Moucherons, libellules,
Plein soleil sur les champs…
Tu contemples le ciel,
Tu es loin de la terre…
Un indice ? un souvenir ?
Tout ton corps dans les eaux
Se moire de l’éclat
Vert du mica.
Reste bien sur ta gauche,
Tu rejoindras la rive.
De sa queue d’argent frappe
La truite, la truite, la truite !
Mikhaïl Alexeïevitch Kouzmine (1872-1936) fut prosateur, poète et compositeur dans la Russie du dernier tsar puis dans la jeune URSS. Ouvertement homosexuel dans la vie comme dans ses œuvres, dandy fardé de bistre, dandy aux 365 gilets, dandy aux yeux aussi magnétiques que la voix pour dire ses vers, selon Marina Tsvetaïeva, arbitre des élégances pour l’intelligentsia de Saint-Pétersbourg, figure essentielle de l’ « Âge d’argent » jusqu’aux années 20, comme tant d’artistes il fut contraint au silence par la dictature stalinienne. Sa prose est connue en France depuis la parution de son roman Les Ailes et de quelques nouvelles. Mais le poète reste à découvrir. Avec La Truite rompt la glace et l’édition bilingue de ce premier cycle, écrit en 1927 et qui donne son titre au recueil de 1929, grâce au nerf et à la couleur de la traduction de Serge Lipstein, le public francophone va pouvoir enfin connaître un grand poète russe atypique dont EO publiera en 2018 la traduction de la biographie américaine parue en 1999, Mikhaïl Kouzmine, A life in Art, de John E. Malmstad et Nicolaï Bogomolov (Harvard University Press).
format 14 x19 ISBN : 978-2-918444-33-6 prix : 16 €
Dans Le Monde des Livres (vendredi 31 mars)
Un amoureux des hommes
Tiré de l’oubli à la fin du XXe siècle par la traduction de nouvelles (Le Rossignol vert, Noir sur blanc, 1996), d’un roman (Les Ailes, Ombres, 2000) ou d’une biographie (La Vie merveilleuse de Joseph Balsamo, Circé, 1999), Mikhaïl Kouzmine (1872-1936) attend encore d’être reconnu pour le (bon) musicien et le (subtil) poète qu’il est.
Voici La truite rompt la glace, cycle de poèmes composé en 1927 et qui assume sa base autobiographique – même si l’évocation de la « ronde des plaisirs et amours » évoquée dans l’épilogue (« ont surgi une foule de souvenirs, / des pages de romans lus et relus, / morts et vivants entremêlés ») tient moins de la confession que de la célébration de son amour des hommes qui le fit condamner au silence sous la dictature stalinienne.
L’édition bilingue offre une idéale introduction à l’ « Oscar Wilde de Saint-Pétersbourg » qui éblouit Marina Tsvetaïeva et figure en bonne place, « Satan dans toute son élégance », dans le Poème sans héros d’Anna Akhmatova.
Philippe-Jean Catinchi
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