Un lecteur enthousiaste d’HOMO PIERROT – « Sous les toits de Paris » (tome II)
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3 décembre 2012
De la communion des cœurs
Fidélité
Loquito Art, Culture, Fidélité, Homo Pierrot, Littérature, Pierre Lacroix
«Il savait qu’on ne met pas l’amour en cage, qu’aimer c’est danser sur un fil entre les étoiles, qu’aimer c’est risquer à chaque seconde, et plus encore dans le fourmillement des Babylone où la liberté des comportements et le raffinement des apparences rendent si nombreuses et faciles les sollicitations.
Il faut l’expérience pour faire triompher l’amour sur les tentations. Peut-être une béatitude originelle aussi, un paradis qui fait après trouver de la tristesse à tous les éphémères paradis. Pour avoir été amoureux et si souvent titillé par ailleurs d’appels testiculaires vers d’autres galants de passage qu’il n’avait pas voulu consommer, Erwan savait qu’en amour on vit avec son amant tous les titillements accumulés en soi et que c’est dans le vertige d’une attirance inépuisable qu’on engloutit tous les vertiges d’excitations du changement à l’infini, si phantasmatiques et si vides au fond. Bien sûr, les yeux de votre amant ne vous mithridatisent pas contre le poison de tant d’autres magnifiques iris qui se posent sur les vôtres. Bien sûr, une avalanche florentine de boucles sur les épaules, entre saule pleureur et lévrier afghan, ne rend pas insensible à la ligne d’un crâne rasé pure comme celle d’un marbre ou au hérisson dru d’un beau voyou aux cheveux courts. Bien sûr l’échancrure des chemises, les peaux velues ou glabres, les pommes d’Adam, la pointe des seins sous les chemises, les gonflements sous les braguettes et les maillots de bain, vous déboussolent de l’infini de directions à prendre dans la géographie jouissive des reliefs, des couleurs, des végétations, des grains et des odeurs… Chaque nouveau garçon a son climat, son invitation au voyage, quand on a du désir à se faire tous les garçons de la rue !
Mais alors, l’amour au-delà de ce brasier de titillements, c’était quoi ? La fidélité dans ces conditions, c’était quoi ? Pas une prison, Pas un interdit religieux, pas un contrat de bonne tenue bourgeoise Pour Erwan. Non, une manière de mieux être soi, une volupté conquise, un suave renoncement où la plénitude finissait par l’emporter sur le sacrifice, comme une grâce finalement quand la vie vous les rendait possibles, une grâce qui faisait qu’à un moment, les aiguillons de tous les désirs bifurquaient vers un seul corps, un seul corps devenu vaste incommensurablement, comme si, autour de ce corps et dans ce corps, aimable de ses charmes et jusqu’à ses trivialités, flottait un appel qui embrassait tous les appels. Un jour, des yeux venaient, qui ne vous empêchaient pas d’être sensibles à d’autres yeux, mais en qui tous les yeux venaient se fondre. Et que parfois le désir d’un autre corps vînt à se révéler trop fort, et qu’on passât à l’acte, c’était d’un pied boiteux avant, et avec, après, une impression de salissure, de tristesse et de vide, le besoin d’en parler à l’autre, de se laver à la cascade vive de son pardon et de son amour peut-être encore là quand-même.
Dans la fidélité, pour Erwan, il y avait aussi sans doute l’amour de quelque chose qu’on cherchait sans être capable de le voir ou le nommer en l’autre, un mystère à quoi, par delà toute frustration, tout dépit, toute colère, toute volonté violente de fuir, on était malgré soi ramené. Il en était arrivé avec Pierrot à un attrait irrationnel et incurable, cette douce violence qu’on appelle l’amour fou. Il était jaloux de Pierrot, mais pas de ses désirs si les désirs passagers de Pierrot le ramenaient toujours à leur amour. D’avoir aimé et bourlingué, Erwan avait en lui du Tristan bien caché sous du panache de Don Juan. Comme le poète-phare de ses cours, il cherchait la vérité dans une âme et dans un corps. Il sentait que l’amour est à la fois sortilège et pari, qu’il faut aller le plus loin possible dans le miracle de poésie à deux pour plier tous ses désirs au désir du corps et de l’âme de l’autre, que parfois c’est une exquise et simple harmonie de respirations, et que parfois c’est un calvaire.»
Pierre Lacroix in Homo Pierrot, Tome II «Sous les toits de Paris», Editions ErosOnyx, 2009, ISBN : 9782952949972, pp. 28 à 30