Renée Vivien : « servir sa gloire et son nom ».
L’ouvrage collectif Renée Vivien à rebours se clôt par une série de Documents inédits de et sur Renée Vivien, offerts pour la première fois au public par Jean-Paul Goujon. Nous avons particulièrement retenu le 14ème document, Lettre de G. Jean-Aubry à Yves-Gérard Le Dantec, qui est un encouragement supplémentaire, si besoin était, à la réédition des œuvres poétiques de Renée Vivien. Voici cette lettre citée in extenso par souci d’impartialité, datée du 12 novembre 1941, « à un moment où l’ordre moral, écrit Jean-Paul Goujon, était de nouveau à l’honneur en France » :
« Cher Monsieur et ami,
Je viens de lire avec un intérêt soutenu votre livre sur Renée Vivien (Femme damnée, femme sauvée, Aix-en-Provence, 1930 NdE) et je vous remercie particulièrement de me l’avoir envoyé. Il y avait longtemps, très longtemps, que je n’avais lu des vers de la poëtesse, encore que certaines pièces me fussent bien demeurées dans la mémoire. Mais vos citations et vos remarques ont ranimé en moi des souvenirs à peine sommeillants. À vous dire vrai, et parce que je viens de faire de celle-ci un usage tout récent, je trouve en Renée Vivien un bien plus grand et plus profond poëte qu’en Marceline, dont les quatre cinquièmes sont à désespérer d’ennui et d’une fluidité douteuse d’eau de vaisselle. Le public, qui n’entend nécessairement rien à l’art, préférera toujours les « bons sentiments » de l’auteur des « Roses de Saadi » aux mauvais de la poëtesse sapphique. Mais il y autrement d’accent, de drame et de beauté chez celle-ci, et un souci et une connaissance de son instrument qui laissent loin derrière même Anna de Noailles.
Il est évidemment dommage qu’elle ait eu – en dehors de ses vers ‒ si mauvais goût et que son peintre ait été Lévy-Dhurmer, plutôt que tel autre, Redon par exemple ou quelque autre. Mais Marcel Proust a bien associé ses pages à la peinture de mirliton de Madeleine Lemaire. Toutefois le mauvais goût et l' »esthétisme » de Renée Vivien n’entament pas la substance à la fois solide et frémissante de son œuvre.
Je ne crois pas que l’heure de la justice puisse sonner encore pour ce poète (car ce n’est pas qu’une poëtesse) ; les malheurs de ce temps nous préparent, je le crois bien, une ère de pruderie et de mauvais goût officiel qui rappellera les meilleurs moments où Renée Vivien naquit. Il ne faut donc pas espérer qu’on place ses œuvres au rayon que nous lui accordons dans notre pensée.
Peut-être une anthologie servirait mieux sa gloire et son nom : un petit volume très mince réunissant quelques-unes des maîtresses pièces comme on fait pour les « classiques » ou simplement pour les tables de boudoir. Cela ne nous contenterait pas, mais serait mieux que le silence, l’oubli ou l’ignorance. Un petit recueil imprimé sobrement. Je sais bien que cette œuvre n’est pas, comme l’on dit si justement, « tombée dans le domaine public » : mais peut-être obtiendrait-on de Lemerre ou des successeurs de Sansot ce « prélèvement » d’une parcelle de cette cendre encore chaude.
Je suis voisin de son tombeau et déplore que cette demeure dernière de notre Sappho voisine avec la chapelle sarmate de cette « Notre-Dame du sleeping-car », comme disait Barrès, de cette Marie Bashkirtseff qui n’avait que des prétentions. Il y a du « guignon » dans la vie de Renée Vivien comme dans sa mort et sa tombe : elle est de la famille de Poe et de Baudelaire, famille maudite par les familles mais où les Dieux et Dieu reconnaissent les leurs.
Que ne nous donnez-vous ce nouveau « choix » ? L’asphodèle vaut bien la violette : on n’aurait pas de peine à ranimer des fleurs pour cette tombe : elles sont dans l’ombre, mais non point fanées et méritent mieux que « l’exil des tombes », comme disait Villiers.
Très amicalement à vous
G. Jean-Aubry
In Renée Vivien à rebours, étude pour un centenaire, Paris, Orizons, 2009 pp. 220-221