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Olivier Bon interviewé par Nice-Matin
Olivier parle de son livre, interrogé par Manuel Delavalle journaliste à Nice-Matin.
Pour compléter le poème de Kouzmine de « La Truite rompt la glace » et l’annonce du recueil dans Catalogue
— Comme vous êtes bien bâti, Vania ! dit Sacha en se déshabillant et en regardant la silhouette nue de Vania qui se tenait encore sur le sable sec et se penchait pour prendre de l’eau afin de s’humecter la nuque et les aisselles avant de s’immerger. Vania regarda le reflet mouvant, que les ondes dispersaient à la surface de l’eau, son grand corps souple aux hanches étroites, ses jambes élancées, sa peau hâlée à force de bains et de soleil, ses boucles blondes qui avaient poussé sur son cou délicat, son visage rond qui s’était affiné avec ses grands yeux, et, après avoir souri, il entra dans l’eau froide. Sacha, court sur pattes malgré sa grande taille, le corps blanc et potelé, plongea dans un endroit profond en faisant de grandes éclaboussures.
Sur toute la berge, jusqu’à un troupeau, se trouvaient des gamins qui se baignaient, qui couraient en hurlant sur la rive et dans l’eau ; on voyait ça et là des tas de chemises rouges et de linge et, au loin, un peu plus haut, sous des saules blancs, apparaissaient également des enfants et des adolescents dont le corps rose tendre sur l’herbe vert vif tout juste fauchée rappelait les tableaux représentant le paradis dans le style de Hans Thoma. Vania, avec une joie presque voluptueuse, sentait son corps fendre l’eau froide et profonde, et l’écume sur la surface plus chaude lorsqu’il faisait de brusques revirements, tel un poisson. La fatigue arrivant, il nageait sur le dos et ne voyait plus que le ciel brillant de soleil, sans remuer les bras et ignorant la direction qu’il prenait. […]
Mikhaïl Kouzmine, Les Ailes, traduction Bernard Kreise, éditions Ombres, pp. 87-88
Au BRADY, le 7ème genre présente :
Le 27 février La Reine Christine de Rouben Mamoulian
Le 20 mars Nettoyage à sec d’Anne Fontaine
Le 24 avril Go fish de Rose Troche
Le 22 mai Vivre me tue de Jean-Pierre Sinapî
Le 19 juin Zero Patience de John Greyson à l’occasion de la sortie du livre de Didier Roth-Bettoni autour de ce film.
http://le7egenre.fr/
Dans feu YAGG ce mot d’Éric Garnier sur IMRE
Edward Prime-Stevenson // IMRE (POUR MÉMOIRE) / EO Éditions / 129P. 17 E.
Dire qu’il aura fallu attendre 110 ans pour que ce court roman, magnifiquement traduit par Yvan Quintin, nous parvienne enfin ! Avec une présentation de Jean-Claude Féray et l’avant-propos de James Gifford, auteur de l’édition nord-américaine.
Deux hommes de classe aisée se rencontrent à Budapest, dont est originaire le plus jeune des deux, Imre. Oswald, anglais trentenaire, le premier, est subjugué par ce jeune homme tout en retenue. L’attirance sera-t-elle réciproque ?
Au-delà des masques que tout « inverti » d’alors (le terme homosexuel est à peine né) devait porter, le roman offre une magnifique analyse des sentiments qui peuvent rapprocher deux hommes. À tel point qu’on pourrait croire qu’ Imre est un manuscrit gay que le grand Zweig n’aurait pas osé ébruiter…
Écrit et publié confidentiellement en 1906, quelques années avant Maurice de Forster, ce roman de la recherche tendue et passionnée du bonheur, a beaucoup à nous dire , encore de nos jours. Son intemporalité élégante et profonde est un bonheur sans prix !
EG
Mathieu Lindon a lu « IMRE, pour mémoire »
Lire en ligne
http://next.liberation.fr/livres/2016/12/09/1906-gay-happy-end-a-budapest_1534269
1906, GAY HAPPY END À BUDAPEST
Par Mathieu Lindon
— 9 décembre 2016 à 18:36
Outre ses qualités propres, Imre, sous-titré Pour mémoire, est un document dans l’histoire littéraire de l’homosexualité. Paru en 1906, il est le premier roman américain mettant en scène une histoire d’amour entre hommes avec happy end. Son auteur est (sous le nom de Xavier Mayne) Edward Irenæus Prime-Stevenson, né en 1858 et mort en 1942, type même du «gentleman homosexuel de la Belle Epoque», écrit Jean-Claude Féray dans sa présentation qui précise que cet héritier voyageur «fut un observateur privilégié de la prostitution masculine en Europe». Dans sa notice du Who’s Who de 1913, Prime-Stevenson se dit aussi l’auteur sous pseudonyme «de plusieurs études importantes concernant une branche spéciale de la psychiatrie sexuelle».
Sa grande œuvre sur ce point, The Intersexes, fut dédiée à Richard von Krafft-Ebing avec qui il en avait discuté. Dans son avant-propos, James J. Gifford écrit pour sa part que «Imre est bien « un mémorandum », un rapport pour mémoire, un document qui résume les termes d’un contrat ou d’une transaction – ici, les discussions de paix avec soi-même et d’épanouissement entre deux êtres qui ont été isolés par leur « différence »». Comme l’intrigue présente un Anglais voyageant à Budapest et y rencontrant un militaire indigène, Jean-Claude Féray cite aussi la phrase finale d’un paragraphe de The Intersexes sur «le caractère éminemment sensuel de la musique magyare» – dans Imre, la musique apparaît un moment «comme l’art suprêmement névrosé, typiquement sexuel, pernicieusement homosexuel» : «Et le Magyar est un type racial distinctement sexuel.»
L’humour n’est pas la caractéristique du texte mais une discussion entre le narrateur et Imre en arrive à cette phrase concernant une position philosophique et qui pourrait s’appliquer à bien d’autres : «Essayez et vous aimerez ça, comme dirent un jour des cannibales à un prêtre forcé de les regarder manger son évêque.» Le texte s’emploie à décrire les masques que doit se fabriquer en société l’homme qui aime les hommes. Imre dit à quelle réserve il s’oblige dans sa correspondance : «Quant aux sentiments – des sentiments ! dans des lettres à mes amis ! -, eh bien je ne peux tout simplement pas placer ça là-dedans ni en exprimer.» Le récit est cependant un texte de l’aveu : aucun des deux personnages n’ose d’abord exprimer ses goûts et sentiments à l’autre de crainte de le perdre, comme ça leur est déjà arrivé. «Le Masque – l’éternel Masque social pour les homosexuels – ce Masque que l’on porte devant ceux qui nous sont les plus proches et les plus chers, sans quoi nous sommes perdus et rejetés !»
L’intrigue consiste à amener les protagonistes à se raconter. Les trois chapitres sont titrés «Masques», «Masques et un visage», «Visages-cœurs-âmes». Il y a quelque chose d’une malédiction dans «cet émoi sexuel détesté» mais les personnages vont finir par joyeusement faire avec, encore que Imre, comme le signale James J. Gifford, soit «un récit presque exclusivement intellectuel». Ce n’est pas dans ce texte que Edward Prime-Stevenson déploie sa connaissance pratique de la prostitution masculine européenne.
Décrivant ses goûts et comment il en est venu à les accepter, le narrateur décrit surtout comment son époque les rejette. L’amour physique entre hommes ? «C’était alors plus que jamais une horreur sans nom – une atteinte à la civilisation, à la santé mentale, au sexe, à la Nature, à Dieu !» Plus loin : «Je pris conscience que j’avais toujours appartenu à cette fraternité secrète, à ce sous-sexe, ou super-sexe.» Imre, lui, en appelle pour se mettre à nu à la féminité d’une façon qui ne fait pas l’affaire aujourd’hui (et se fait reprendre par le narrateur) : «Je suis plus féminin dans mes réactions – de plus faible étoffe. Je le ressens avec une certaine honte. Vous savez comment une femme dit « non » quand elle veut dire « oui ».» Mais c’est le narrateur qui évoque la terreur et la honte que suscitent en lui ces homosexuels qui n’ont pas la masculinité nécessaire, qui ne portent pas le masque : «Ah, ces êtres ouvertement dépravés, nocifs, sans vigueur, grossiers, efféminés, pervers et déficients dans leur nature morale, jusque dans les tissus mêmes de leurs corps !» On voit comme c’est toujours compliqué de mettre la main sur une sorte de militantisme que le temps n’invalide pas. Le texte prend cet élément en compte.
«En matière de savoir, comme dans beaucoup d’autres domaines, le monde commence à évoluer (devrait-on dire revient en arrière ? ) vers l’intelligence, la justice, l’ouverture des cœurs, mais avec tant de zigzags, tellement à contrecœur ! Ce n’est pas encore l’air du temps !»
Mathieu Lindon
AU BRADY, LE 12 DÉCEMBRE, GARÇON D’HONNEUR, DANS LE CADRE DU 7ème GENRE
GARÇON D’HONNEUR
Célèbre pour ses succès hollywoodiens comme Tigre et Dragon ou Le Secret de Brokeback Mountain, Ang Lee est moins connu pour ses films taïwanais tournés avant son installation aux États-Unis. Pushing Hands, Garçon d’honneur et Salé Sucré constituent une sorte de « trilogie officieuse » autour du déracinement, une thématique parmi beaucoup d’autres dans cette comédie profondément humaniste.
Un projet que le réalisateur mettra plus de cinq ans à réaliser en raison de la frilosité des producteurs à investir dans un film qui aborde l’homosexualité. Garçon d’honneur sera pourtant le plus gros succès du box-office taiwanais et le fer de lance d’une série de films LGBT produits en Asie dans les années 90. Le film a obtenu l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1993.
Notre invité : Bastian Meiresonne, réalisateur et critique de cinéma, directeur artistique adjoint du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul (FICA).
Entrée : 8.50€ >> 6.50€ en réservant dès maintenant sur http://www.lebrady.fr/pl/lbdjyhsac
Carte Brady : 6€ (5 places valables 6 mois, carte utilisable pour 1 ou 2 personnes à une même séance. Réservation en ligne des places sans frais)
Adhérents 7e Genre: 5€ (réservation avec code promo internet adhérent et sur présentation de la carte sur place)
Cartes UGC Illimité et Le Pass acceptées (ouverture des ventes 1h avant la séance sous réserve des places encore disponibles)
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Centre Simone de Beauvoir : Delphine SEYRIG et Ulrike OTTINGER
Jeudi 1er décembre 2016 à 18h
au Forum des images (Paris)
Salle 50
Ulrike Ottinger est cinéaste, peintre, photographe, metteuse en scène, figure de la scène underground berlinoise et du nouveau cinéma allemand.
Née en 1942, Ulrike Ottinger débute comme peintre à Paris avant de retourner l’Allemagne, où elle tourne son premier film en 1972. Son œuvre, singulière et anticipatrice, donne à voir un univers queer dans lequel la fiction et le documentaire s’entremêlent dans un défi constant aux normes sexuelles et genrées. Son travail ne se limite pas à la réalisation : photographe, scénariste, productrice, opératrice, décoratrice, costumière, Ottinger prépare ses tournages en composant des storyboards qui sont des livres d’artiste. Les œuvres de Ulrike Ottinger ont été montrées notamment à la 3e biennale de Berlin (2004), à la Documenta 11 à Kassel (2002) et à la Biennale de Venise (1980). Des expositions personnelles et rétrospectives de ses films ont notamment eu lieu au Centre Pompidou à Paris (2010), au Musée Reina Sofia, Madrid (2004), et au MoMA de New-York (2000).
Lors de ce séminaire en forme d’entretien, Ulrike Ottinger reviendra sur sa collaboration avec Delphine Seyrig dans les années 1980, sur son travail avec les actrices, ses choix de décors, costumes, mascarades et scénarios, ainsi que sur la question de l’archive qui sont au cœur de son travail. Ulrike Ottinger a tourné plusieurs films avec Delphine Seyrig : Freak Orlando (1981), Dorian Gray im Spiegel der Boulevardpresse (1984) (photo ci-dessous), Johanna d’Arc of Mongolia (1990) et le court-métrage Superbia (1986).
Le séminaire « Exposer Delphine Seyrig ? »a lieu dans le cadre du projet de recherche et d’exposition éponyme à venir qui vise à repenser la personne et les œuvres de Delphine Seyrig (1932-1990) dans le présent. Actrice, réalisatrice, féministe et co-fondatrice du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, Seyrig est une figure singulière dont la trajectoire croise celle de l’histoire du cinéma, du théâtre, de la vidéo et du féminisme.
Ce projet du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir est organisé par Nataša Petrešin-Bachelez, Nicole Fernández Ferrer et Giovanna Zapperi avec le soutien de Travelling féministe, le Forum des Images et la Fondation de France.
Voir aussi l’article « Connaissez-vous Ulrike Ottinger ? » dans notre rubrique « coups de cœur ».
UN ANGE À SODOME de Claude Achille Clarac, alias Saint Ours
Michel Rachline (1933-2012), ami proche de Jacques Prévert, écrivain et critique littéraire (il a participé à des émissions littéraires comme « Radioscopie » de Jacques Chancel ou « Apostrophes » de Bernard Pivot) écrivait à propos Un Ange à Sodome, recueil de nouvelles de Saint Ours :
« Dans ce livre, Sodome représente l’homosexualité sublimée. Ici, l’ange, c’est l’homme […] Au matin, la Beauté danse ; à la fin, c’est elle qui rend à l’ange son visage d’homme, le seul visage qui ressemble à celui d’un dieu. Ce livre est inoubliable. »
Pourtant, et malheureusement, on a oublié Un ange à Sodome, publié en 1973 chez Guy Authier éditeur. Sera-t-il à nouveau publié avec l’autorisation de l’ayant-droit de Saint Ours, nom de plume de Claude Achille CLARAC (1903-1999) ? Le recueil comporte sept nouvelles, toutes passionnantes et superbement écrites. Ambassadeur de France au Moyen-Orient, au Maroc, en Asie, Claude Clarac a écrit et publié sous le pseudonyme Saint Ours ces nouvelles dont l’inspiration est entièrement homosexuelle. S’il dissimulait ainsi sa propre homosexualité, en raison de sa carrière de diplomate, le silence qui a suivi sa mort en 1999 n’a pas permis que lui soit attribué ce seul ouvrage littéraire dont il fut l’auteur. Roger Peyrefitte n’ignorait pas l’identité de Saint Ours, mais ne l’a jamais ouvertement révélée. Sans doute le mariage (blanc) de Clarac, en 1935 à Téhéran, avec Anne-Marie Schwarzenbach, riche héritière, voyageuse, lesbienne à la belle allure de garçon, a-t-il contribué à épaissir ce silence autour de l’auteur d’Un ange à Sodome. Ainsi à l’occasion d’une quinzaine récemment consacrée à Anne-Marie Schwarzenbach, organisée par le Centre culturel franco-allemand de Nantes, Claude Clarac fut-il associé à cette aventurière illustre dans une exposition sous l’intitulé « Achille Clarac et Anne-Marie Schwarzenbach, deux rebelles ». Une autre exposition lui fut consacrée à lui seul, mais exclusivement des « dessins et photographies de l’ambassadeur ». De son livre il n’était pas question.
Les sept nouvelles, Journal d’un Ange, L’enlèvement de Ganymède, Le château des sables (Oukhaidour), L’écurie des Centaures, Le juge et l’assassin (sans rapport aucun avec le film du même titre de Bertrand Tavernier, en 1976), Chronique d’une saison des pluies, Le Bout du Monde, ont chacune un cadre différent : la Sodome biblique où un ange à la beauté renversante est envoyé par Jéhovah, la Troade où vit le bel adolescent Ganymède, un désert oriental, le Siam, l’Anjou, Marrakech…
Si l’auteur fait des emprunts aux mythes bibliques ou grecs dans les deux premières nouvelles, il en réinvente totalement la trame romanesque. Ainsi l’ange qui, sous des traits humains, mais sans expérience des amours terrestres, fait étape à Sodome, succombe-t-il au charme du jeune page Youssef : « (…) nos doigts se touchèrent. Je fus soudain bouleversé. Le cœur que Dieu m’avait prêté se mit à battre follement, ma gorge s’étrangla d’une angoisse dont je ne comprenais pas la cause et une sournoise impatience se nicha en même temps au fond de mes entrailles. » (p. 32). À la cour d’amour qui, semblable aux banquets de la Grèce antique, se tient chez le prince, on devise de l’amour. La plume de l’auteur s’abandonne à des élans lyriques : « Trouverai-je des mots pour célébrer ce dont tu me combles, ô mon bien-aimé ? Je ne sais que me taire quand j’approche ma lèvre de la tienne, car seul importe alors le miel de ta salive et mes yeux s’éblouissent lorsque, plongeant dans les tiens, ils y voient monter la crue de ton désir. » (p. 44). L’ange saura « se désenchanter des cieux » pour accepter l’amour humain des garçons, quitte à se perdre dans le « péché ». On ne peut tout citer de ce texte admirable qui nous fait rencontrer des Sodomites heureux, hospitaliers envers les étrangers comme Tristan, un grand barbare blanc à la chevelure fauve, qui a fui son pays à cause de son amour des garçons, ou comme Alexandre qui préfère « le menton qui râpe et les cuisses velues » aux jeunes gens, aux adolescents, aux gamins dont « la raie du cul sent (encore) le lait ». Dans ces cours d’amour on parle même du prépuce qui « protège le bouton de rose, exquisément sensible, qui ne se découvre qu’à bon escient et symbolise ce qu’il y a de plus délicat dans l’émotion de l’amour. » (p. 42). Le juge et l’assassin rapporte une rencontre amoureuse plus sombre : une nuit, un juge aborde, sur le Champ-de-Mars, André qui sera son assassin. « En répondant à cet appel d’un monde trouble, écrit-il dans son journal, le « Cahier rouge » trouvé après sa mort, je m’avance vers un destin qui m’attire autant qu’il me trouble. » (p.127). Il y relate la première nuit passée avec lui : « Cette nuit-là fut en vérité mémorable. Le fut-elle aussi pour André ? Peut-être après tout. Il mettait à s’ouvrir une frénésie de violence qui n’était qu’un paroxysme de virilité. … Nu, traversant ma chambre avec la précise légèreté qui ne l’abandonnait jamais, il se serait fait hacher plutôt que d’avouer que le plaisir lui remuait déjà les entrailles […] » (p. 128). Quand, dans Chronique d’une saison des pluies, le narrateur délaisse Somnuk, l’adolescent qui s’occupe de ses plantes, il s’intéresse à Wangchaï. « Je pratiquais depuis longtemps Wangchai (…) Le besoin de volupté que j’étais sans doute le seul à lui donner le ramenait toujours chez moi. Cet homme si masculin, si admirablement musclé, si baiseur de filles éprouvait un plaisir délirant à me faire jouir en lui. » (p.147).
Dans une langue riche et toujours maîtrisée, Achille Clarac, alias Saint Ours, sait susciter l’attente et l’intérêt de son lecteur. Il raconte, par exemple, encore une rencontre dans Le Bout du monde, c’est-à-dire la drague d’Antoine, jeune étudiant, à Angers. « Je rêvais aux hasards qui nous avait échoués l’un contre l’autre […] Une aventure ? Il avait pourtant fallu un singulier concours de circonstances pour que je croise Antoine, et le conduise aux Ponts-de-Cé. J’effleurai ses cheveux et sa bouche si légèrement qu’il ne s’éveilla pas, mais puisqu’il fallait que cette minute s’écoulât, je posai ma main sur son sexe comme si j’avais voulu capturer un oiseau. La volupté qui le gonfla lentement dans ma paume dissipa peu à peu l’engourdissement de son sommeil […] je sus qu’il ne dormait plus. » (p.189). « Six années passèrent… », mais nous ne rapporterons pas ici la fin de cette nouvelle qui ressemble tant à la vie.
Comme on le voit, Saint Ours ne s’effraie pas de dire la vérité des rapports charnels, avec à la fois une crudité voulue et une délicatesse poétique, avec en fait beaucoup de vérité. La littérature lui aura donné l’occasion de donner libre cours à l’homosexualité que sa carrière diplomatique (comme son époque) l’a obligé à dissimuler toute sa vie. Ses mots disent avec la plus grande justesse ce qu’il en est de l’amour véritable, de la communion des corps : « Qu’il est difficile, lit-on dans la dernière nouvelle du recueil, d’attribuer à ce fils de famille de dix-huit ans l’érotisme dont je témoigne ici ! Les actes de l’amour, leurs finesses, leurs délires sont de la plus haute poésie, mais ils ont été souillés avec tant de persévérance, que les mots qu’il faut pour les décrie en restent avilis. Est-il possible de les réhabiliter ? Et, si je n’y parviens pas, serai-je taxé de pornographie ? » (p. 205).
A-t-on mieux formulé la question de la « littérature homosexuelle » trop facilement et souvent qualifiée de pornographie en effet ?
Livre inoubliable, en effet. À lire si on le trouve, d’occasion évidemment. Un livre à ne pas oublier !
Voir aussi sur le Bulletin Trimestriel Quintes Feuilles :
https://www.quintes-feuilles.com/wp-content/uploads/BTQ-F3.pdf
Ci-dessous Claude Clarac en 1935 et Claude Clarac avec Anne-Marie Schwarzenbach
D’Edward I. Prime-Stevenson, quelques nouvelles
Au même moment qu’Imre (pour mémoire) a été publié aux éditions Quintes-Feuilles, un recueil de cinq nouvelles d’Edward I. Prime-Stevenson, Toutes les eaux et autres nouvelles… La première d’entre elles donne son titre au recueil.
Ces nouvelles sont ici présentées pour la première fois en français, dans une traduction de Jean-Claude Féray. La sixième, Sébastien au plus bel âge, aurait été directement écrite en français – nous savons que l’auteur parlait plusieurs langues, jusqu’au hongrois si l’on en croit le récit qu’il donne de sa rencontre à Budapest avec un jeune lieutenant de l’armée impériale.
Il n’en subsiste plus qu’un fragment. Didier Denché l’a sinon recomposée du moins insérée dans un récit qui, brodant autour de ce fragment avec vraisemblance, rend hommage à la créativité de Prime-Stevenson et à la beauté garçonnière qu’il a tant célébrée.
272 pages – 22 € – ISBN : 978-2-9551399-2-9