LE 7ème GENRE, « le ciné-club qui défie les normes »

Un lundi par mois, au cinéma ‘Le Brady’, le ciné-club ‘Le 7e genre’ propose des films de toutes époques, tous pays, tous styles, des grands classiques à redécouvrir aux œuvres plus confidentielles, qui questionnent les genres et les sexualités minoritaires. Toutes les projections sont suivies de débats en présence d’invité(e)s d’horizons divers (réalisatrices-teurs, scénaristes, actrices-teurs, critiques, enseignant-e-s etc).

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THÉO ET HUGO DANS LE MÊME BATEAU en DVD

Olivier Ducastel et Jacques Martineau sont, il y a peu, revenus sur les écrans, après quelques années de silence, avec Théo et Hugo dans le même bateau, film formidable au double sens du mot, fatal et passionnant, double sens qu’on trouvait dans le titre de leur premier film Jeanne et le garçon formidable (1998), déjà centré sur les thèmes de l’amour fou et du sida. On retrouve ici leurs leitmotive : personnages à jamais sentimentaux, funambules, en quête de tout ce qui alimente l’amour d’aimer, de tout son corps, de tout son cœur, l’amour de vivre, l’amour de lutter, ardents, inquiets, solidaires de tous les défavorisés de la jungle sociale, jamais résignés, jamais blasés, jamais froids. Théo et Hugo sont interprétés par deux acteurs radieux, François Nambot et Geoffrey Couët, sensuellement fiévreux, graves sans cynisme au fil d’épreuves mais aussi de cadeaux de la vie contés en temps réel. Le premier plaisir du film, c’est de voir que Ducastel et Martineau nous reviennent sur les écrans liés à Théo et Hugo dès le générique, indéracinables adolescents, marqués peut-être mais lumineux.

Autre évidence, dès la première vision de ce film au titre qui fait joliment chanter ses trois o, Ducastel et Martineau ont un style de plus en plus fort, de plus en plus original : la scène d’ouverture restera dans la mémoire des cinéphiles tant elle est réglée, comme une chorégraphie, au millimètre près et provoque un impact sensuel et émotionnel inouï, tandis que le poing serré du temps réel qui renvoie à un modèle revendiqué, Cléo de cinq à sept (1962) d’Agnès Varda, donne au film une tension narrative subtile en évitant que se dilue l’intérêt du spectateur après l’uppercut de l’ouverture. Tension du fantasme où se glisse silencieusement l’amour dans les vingt premières minutes, puis tension de l’amour à mort, coup de théâtre de la révélation par Hugo de sa séropositivité, Hugo que Théo a pénétré sans capote dans la chaleur de la transe, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent : le film nous tient en haleine tandis qu’avancent les personnages, en funambules, sur le fil d’une tendre tension qui jamais ne cassera, jusqu’à un dénouement libre comme l’envol d’Éros.

Tour de force de la scène d’ouverture : elle parvient à abolir la couture entre romance et porno. Elle sent la sueur, le sperme, le plaisir et peu à peu un mystère que le spectateur devine plus qu’il ne le voit, car les regards et les érections changent lentement de cap : un coup de foudre naît entre Hugo et Théo en pleine bacchanale. La chair et la passion vont bien ensemble quand Éros décoche sa flèche imprévisible. Vingt minutes de cinéma réglées comme du papier à musique… électronique. Montage en plans larges et rapprochés où les acteurs ne peuvent pas échapper à la magie totale de l’attraction-attirance : ce sont bien leurs corps, ce sont bien leurs yeux. Tempo hallucinant d’une musique très haute, saccade électrique, battements à la folie du sang, du cœur et des coups de butoir d’une pénétration des âmes comme des corps. Un ange passe dans le chaos. Nirvana des chairs et romantisme en même temps de l’apparition du prince qu’on attendait. Ducastel et Martineau arrivent au tour de force que le cinéma a tant de mal à réaliser : mêler le tendre au cru. Alain Guiraudie, dans son film L’inconnu du lac (2014) avait déjà approché ce mystère, dans l’Arcadie d’un lieu de drague, avec la musique du vent dans les peupliers : c’était puissant, le coup de foudre en pleine scène de sexe se faisait aussi en un jeu de regards mais différent ; le bel ogre lançait à son petit Poucet un regard à la Genet, « je te hais d’amour », que la suite du film confirmerait jusqu’au fondu au noir de tous les rêves et de toutes les boucheries aussi. Rien de tel chez Ducastel et Martineau : backroom urbaine, musique dopée aux poppers, chaud-froid de l’audace de marier le rouge au bleu, inserts à la Pierre et Gilles de tableaux d’anges en majesté nimbés de l’éclair blanc du coup de foudre. Le bel amour peut naître au jardin des délices : l’Éros de Guiraudie est sombre, l’excitation qu’il inspire pourra aller jusqu’au couteau du beau serial-killer, tandis que Ducastel et Martineau fixent le spectre lumineux d’un Éros qui donne envie de vivre autant que de baiser. Le point commun, c’est qu’ils parviennent à faire se fondre, par l’invention d’un style, ce qu’il est judéo-chrétien mais clair et simple d’appeler le cœur et la chair. Ducastel, dans ses entretiens autour du film, fait référence à Patrice Chéreau et à son film Intimité (2001) : oui, on voit à quoi il fait allusion, à l’intimité du couple homme-femme de ce film, à leurs corps qui se cherchent longuement, goulûment, à la sueur, au grain réaliste des peaux, au noir des poils et au détail tendre et cru des sexes, à cette larme aussi qui coulera dans un clair-obscur de chanson de Marianne Faithfull qui joue aussi dans ce film, larme exquise de rupture du cœur quand le couple décide de ne plus se voir. Moins ténébreux aussi que Chéreau sont Ducastel et Martineau, mais dans la même impulsion corps à cœur. On n’est pas près d’oublier la caverne rouge de l’ouverture de Théo et Hugo dans le même bateau, sa transmutation du porno en romance, qui ne perd rien de sa crudité, ni d’oublier le staccato hallucinant, les flammes de cette caverne où passe, comme chez Platon, l’Idée de l’amour fou, celle qui vous marque au fer rouge et qui fera de vous à vie un obsédé érotomane et romantique.

Difficile, après un tel zénith en ouverture, de maintenir l’attention et l’intérêt du spectateur. Difficile de faire durer l’amour après l’amour, quand le brasier ne peut que s’éteindre et qu’il reste la réalité rude à regarder en face. C’est un second tour de force du film d’avoir placé là une déambulation en temps réel dans Paris, entre quatre et six heures du matin. Temps réel revisité par rapport au modèle de Cléo de cinq à sept puisqu’il aura les couleurs assourdies mais estivales d’un Paris nocturne gayfriendly et scandé par une horloge à chiffres numériques, mais fidèle en esprit puisque la flânerie dans Paris va se révéler initiation douce-amère à la mort approchée et par contrecoup appétit de vivre décuplé. Pas le temps de souffler pour les amants et les spectateurs. Après le ravissement du coup de foudre, vient le choc de la double révélation : Hugo est séropo et Théo l’a aimé  » bareback ». Les cœurs battent par intermittence. Hugo, un peu plus âgé, Rastignac qui a déjà affronté Paris, « plus clairvoyant face au désir », comme le dit Martineau dans un entretien, réagit avec fureur, tandis qu’une tempête silencieuse couve sous le crâne de Théo, parisien certes mais plus naïf, novice dont cette nuit était la première en sex-club. Petit à petit, il en viendra, en silence toujours, à se sentir coupable d’avoir oublié le risque dans le feu de l’action. On assiste à une véritable « passation de responsabilité », pour reprendre l’expression du numéro 200 de Tribu Move où, sous le titre « Un conte moderne, sulfureux et fantasmatique », l’auteur JMC interviewe, avec beaucoup de sérieux mêlé d’humour, Geoffrey Couët (Théo) et François Nambot (Hugo) aussi complices – mais plus délurés ! – dans l’interview que dans le film. Pas de coupable. Deux larrons solidaires dans le même bateau : le titre prend là sa couleur d’aventure optimiste, de refus du chacun pour soi, de pari romantique : le sida ne tue pas l’amour fou. Au contraire. Il fait mûrir, gomme les sentiments de malédiction, de reproche et de culpabilité pour créer une vraie belle solidarité face à la maladie et à la mort possible. Hugo, le sage clerc de notaire, n’en devient que plus épris de voir Théo l’ingénu s’attacher à son corps et à son sort. On retrouve la couleur chaude que Ducastel et Martineau donnent à chacun de leurs films, même dans L’arbre et la forêt (2011) où la musique de Wagner et la beauté des grands chênes parviennent à mettre en sourdine l’atroce souvenir d’un « triangle rose » échappé aux camps de la mort nazis.

Cet optimisme face au glauque est bien l’estampille de Martineau et Ducastel. Dans leur univers filmique, on est aux antipodes de Le droit du plus fort de Fassbinder. L’amour n’est jamais chez eux « plus froid que la mort ». Ils sont deux à la défier. Et cela va se confirmer dans la chaleur de la nuit parisienne, dans les rencontres que vont faire les amants soucieux d’affronter ensemble l’épreuve du test. Dans la jungle de la ville, pas une rencontre qui soit désespérante. Pour un seul vieillard acariâtre rencontré en salle d’attente à l’hôpital Saint-Louis, d’autres figures de la nuit donnent du cœur au ventre aux deux flâneurs inquiets de ce glaive du sida qui pèse désormais sur eux deux : un Syrien en exil, vendeur de kébab, une urgentiste rassurante et efficace, une sexagénaire croisée au petit matin dans le métro, habitant Yvetot comme l’écrivaine Annie Ernaux –admirée des réalisateurs –, obligée de se lever tôt et de trimer à plus de soixante ans pour se faire une retraite décente… tout sent la solidarité de classe révélée par la nuit, de ceux qui doivent veiller, se coucher tard ou se lever tôt, le partage de la galère, la foi en un humanisme des laissés pour compte qui se disent ensemble « a working class hero is something to be », comme dans la chanson de John Lennon reprise par Marianne Faithfull… Les cyniques peuvent sourire, il faut un certain courage en 2016 pour afficher un romantisme politique aussi candide et résolument lumineux. Dans son interview avec François Nambot pour Tribu Move, Geoffrey Couët raconte « toute la partie autour du canal de l’Ourcq qui se tournait la nuit. Il y avait beaucoup de toxicos et de SDF autour de nous, et du coup, on a régulièrement dû arrêter des prises à cause d’insultes, de cris, de jets de bouteilles, de menaces… ce genre de choses, quoi ! Comme c’était une petite production, c’est Jacques Martineau qui nettoyait nos caleçons et chaussettes, tous les soirs, avec sa machine à laver. Donc ce film est un peu un hommage à cette machine qui a rendu l’âme durant le tournage… » Rien de tout cela effectivement dans le montage final du film et toujours cette volonté de Ducastel et Martineau de rester idéalistes : les machines à laver peuvent rendre l’âme, pas la gauche, la vraie, ferme et solidaire contre les inégalités sociales ! Pour eux, le mariage pour tous n’a pas définitivement réglé la « question gay » en donnant la fausse impression que tout serait désormais gagné. La vigilance reste de rigueur, encore et pour toujours. Sourira qui voudra de leur combat, comme on a beaucoup souri, pour l’encenser après sa mort, de l’âme d’enfant du poète Jacques Demy dont on méconnaît le film le plus engagé Une chambre en ville, quasi maudit dès sa sortie !

Candides sans doute mais lucides aussi, Ducastel et Martineau. La dernière scène laisse ouverts tous les espoirs sans oublier l’incertitude qui accompagne tout espoir. Bien sûr il y a le sida qui aujourd’hui encore n’a pas dit son dernier mot, loin de là. À sa façon, le film est une ode poétique au préservatif. Et puis il y a la vie, « on s’aimera… et après… on se quittera… comme tout le monde… » Rien de simpliste, un conte initiatique, oui, mais pas une fin de conte « cucul la praline », comme disait Jean-Louis Bory. Le film va de l’avant, énergiquement, résolument, avec un clin d’œil au mythe d’Orphée qui ne doit surtout pas se retourner pour ne pas perdre son Eurydice. Mais la fleur bleue de Ducastel et Martineau a ses coups de blues. Que Hugo demande à Théo de lui montrer son sexe au repos, n’empêche pas qu’on se dise : « On se quittera… comme tout le monde ». De l’éblouissant vitrail érotique de son ouverture à la délicatesse feutrée et poignante de sa fin, Théo et Hugo dans le même bateau est un film beau à plus d’un titre : sa foi en l’amour « cul à cœur », sa résistance aux forces de l’argent – merci à Épicentre pour la production de ce film, comme de Stand (2015) de Jonathan Taïeb, et pour la distribution vidéo de L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie cité plus haut, La duchesse de Varsovie (2014) de Joseph Morder ou encore Et maintenant (2013) de Joaquim Pinto, pour ne citer que quelques titres de leur catalogue –, et sa résistance aux forces de la maladie et de la mort ; beau aussi de faire une place aux dangers qui menacent tous les ardents : « on se quittera… comme tout le monde ».
Faire un film à quatre mains comme celui-là, n’est-ce pas encore une façon de se faire l’amour et d’en donner, de l’amour et de l’espoir, à tous les rêveurs lucides des salles obscures, filles et garçons, hommes et femmes, qui en ont tant besoin ?

Pierre Lacroix, octobre 2016

IL EN A PLEIN LA GRAPPE, CE GRAND CHANTEUR-POÈTE-LION DE SCÈNE, NICOLAS BACCHUS !

Les disques de Nicolas Bacchus – en studio ou sur le vif – ont la douceur raffinée du carton de leur pochette (qu’on appelle « digipack »), trois couleurs dominantes, blanc, rouge et noir, et des titres alléchants :

Balades pour enfants louches, 2002 (CD)
À table !, 2005 (CD)
La VerVe et la Joie, 2010 (CD)
Devant tout le monde !, 2012 (CD+DVD)

Il a une voix chaude, mâle, moirée d’inflexions sensibles. Les musiques et les mots nous enjouent et nous injectent tour à tour la rage et le bourdon, il s’engage et il le paie parfois, il va de coups de rouge en coups de noir, comme ses pochettes et ses galettes, sur des textes qui demandent de tendre l’oreille tant ils sont ciselés. Le bien nommé Bacchus, depuis plus de quinze ans, nous verse de chaudes mais aussi de graves et lucides ivresses qui font de ses chansons un cocktail doux-amer, de disque en disque et de scène en scène, puisqu’il se donne régulièrement devant tout le monde, de Paris en province, en Suisse, en Belgique, au Québec… Il a le feu et la bande de vrais amis qu’il faut pour continuer, et il continue, accompagné parfois d’autres poètes de la chanson comme Juliette, Anne Sylvestre, Agnès Bihl, Yoann Ortega…

Grand rhéteur, grand rhétoriqueur, Bacchus sait peloter les mots, les tordre et les triturer en bougres de mixtures. Goûtons par exemple quelques strophes prises au hasard de la chanson D’Alain à Line de l’album À table ! :

Entre les draps de lin
On voit les bras de Line
Mêlés à ceux d’Alain
Dans des poses câlines

Dans les poses qu’a Line
On devine qu’Alain
Hier déflora Line…
… Ondée d’un blanc venin

Car Line sans câlins
Sans qu’Alain la câline
Est un corps orphelin
Alors qu’elle est fée
Line

Grand peloteur de mots et peloteur homo dès ses premières chansons, tendrement, comme dans Ton fils (…dort avec moi) parmi les Balades pour enfants louches :

Dans une boîte un peu glauque
Pire qu’au pire cinéma
Ça s’voyait l’un comme l’autre
Qu’on n’avait rien à faire là
On est sorti marcher
Pour entendre nos voix
Et au lieu d’se quitter
On s’est embrassé, comme çà,
C’est drôle, mais ça ressemblait
À des rêves d’avant
Quelque chose qu’on cherchait
Tous les deux depuis longtemps
On s’est trouvé tout con
On s’est serré plus fort
Nos cœurs ont des raisons
Que vos raisons ignorent

Peloteurs de mâles, Bacchus a plus d’un grain à sa grappe, qu’il chante suavement les saunas, plus fougueusement les feux follets qui ne font que passer et les brasiers qui vous sucent de leurs flammes en rose le sang de l’âme :

Si je taquine les femmes en prose
Je rêve à l’homme en vers
Et contre tout
Quand crépitent les flammes en rose
À l’endroit, à l’envers
Baisers tabous

(paroles de Thomas Petiot)

Écoutons ce que donne la rencontre du gourmand lutineur de mots avec le maître-queue militant de Filet mignon :

Choisis ton filet
Choisis ton mignon
Bien rose, et sans plus attendre
Voyons

Parfois, doucement
Retourne-le pour
Atteindre ses replis les
Plus crus

S’il est trop nerveux
De tes doigts fiévreux
Rends-le plus souple à ta main
Offert

Mets ton grain de sel
Entends-le frémir
Et réserve-toi les sucs
Qu’il sue

(…)

Lors, dans ces humeurs
Fais fondre l’oignon
Que tu auras effeuillé
Sans larmes

Ça sent la sauvagine sauce Bacchus ! Pour faire mouiller les princes charmants, Peau d’Âne a changé de recette…

Enfin, pour arroser le festin, on a le rouge politique d’un engagement forcené qui ne change pas de cap : notre larron n’a pas peur d’oser se sentir « libertin guidant le peuple » (les dessins de Piérick du livret de La VerGe et la Voix,… pardon, La VerVe et la Joie, accompagnent avec truculence et mordant les textes inspirés). Oui, il n’est pas frappé d’amnésie, Nicolas Bacchus, à la différence de ceux qui sans vergogne se disent encore de gauche en 2016 : dans son spectacle aux Trois Baudets gravé sur le DVD de Devant tout le monde !, il rappelle avec ironie que la Gauche, la vraie, n’est pas que paroles en l’air, que le septennat de François Mitterrand s’est ouvert sur l’abolition de la peine de mort, la retraite à soixante ans, la dépénalisation de l’homosexualité, les cinq semaines de congés payés, la semaine de 39 heures au lieu de 40… entre autres broutilles ! Le point d’orgue de l’album La VerVe et la Joie n’est rien moins qu’un cri de rage au premier degré, repris jusqu’à se mettre la gorge en sang dans le spectacle des Trois Baudets : il s’agit de la chanson La fin du bal du Russe Vladimir Vissotski dans l’adaptation française de Maxime Le Forestier :

Pourquoi, je voudrais savoir pourquoi, pourquoi
Elle vient trop tôt la fin du bal
C’est les oiseaux jamais les balles
Qu’on arrête en plein vol !

Dès ses débuts en public, dans ou entre ses chansons, Nicolas Bacchus n’élude rien, ni les sans-papier, ni la bonne conscience facile des galas caritatifs, ni le droit d’évoquer sur scène sa vie privée pour que peut-être quelqu’un(e) ose, en sortant du concert, aimer selon ses goûts… Avec le temps, il sait qu’il est de plus en plus important de trouer la joie des concerts de chansons qui soient des balles en plein vol pour faire songer à la barbarie qui avance, aux réfugiés qui vont au bout du désespoir pour ne pas crever, à la chasse autorisée par les fous de leur soi-disant dieu, par les principes de leur Bible, de leur Coran ou, tout simplement, de la plate coutume sans imagination, craintive devant la liberté, haineuse de toute différence. Comment ne pas penser au massacre de Charlie-Hebdo quand on lit, sous la plume de Nicolas Bacchus – en 2012 ! – :
« … y’a la vraie vie qui rattrape, les canards sauvages se font de plus en plus rares. La chasse est ouverte. » ?
Oui, ils doivent se défendre et rester sur le qui-vive, les canards sauvages qui « zigzaguent avant que la mitraille ne retombe en chape de plomb ». Il chantera à Toulouse, au Bijou, les 29, 30 et 31 décembre prochains. Bacchus, nous y serons !

Pierre Lacroix, pour ErosOnyx Éditions, octobre 2016

Aux Mots à la Bouche, le 3 novembre prochain à 19 heures

L’Anglais Oswald, âgé d’une trentaine d’années, rencontre à Budapest au cours d’une de ses pérégrinations, Imre, jeune et bel officier austro-hongrois. Tous deux portent le masque imposé aux affinités amoureuses qui n’osent se dire. Mais la confession de l’un entraîne la confession de l’autre. L’auteur (1858-1942) de The Intersexes illustre, dans son récit, l’idéal incarné d’un bonheur possible entre deux hommes.

IMRE (pour mémoire) 16 €

Parallèlement sera aussi présenté du même auteur Toutes les eaux… et autres nouvelles publié par Quintes-Feuilles, sorti au même moment.

Traduction de Jean-Claude Féray, auteur de la présentation de Prime-Stevenson dans la publication d’IMRE (pour mémoire).

De leur côté, les éditions Quintes-Feuilles ont laissé sur leur site le message suivant de Jean-Claude Féray :

« Yvan Quintin, traducteur d’Imre en français, présentera le jeudi 3 novembre à partir de 19 heures ce roman à la librairie Les Mots à la Bouche.

« J’aurais dû me joindre à lui pour présenter Toutes les eaux… le recueil de nouvelles de Prime-Stevenson sorti la même semaine qu’Imre, mais des contraintes d’emploi du temps rendent la chose impossible. Yvan Quintin m’a assuré de sa compréhension et j’espère que les lecteurs de Quintes-feuilles excuseront mon absence avec la même gentillesse.

Prime-Stevenson dont la partie la plus originale de The Intersexes a été traduite et publiée par nos soins (Du similisexualisme…), mérite l’intérêt historique et littéraire qu’un public international lui voue de manière de plus en plus aiguë. »

Jean-Claude Féray

Toutes les eaux et autres nouvelles 22 €

Pour changer, un coup de gueule : Les Garçons et Guillaume, à table !

On m’avait vanté à sa sortie le prodigieux numéro d’auteur-acteur-metteur en scène du film Les garçons et Guillaume, à table ! sorti en 2013 et aussitôt couronné de lauriers. Quand les envolées d’encens se sont calmées ─ il est vrai qu’elles ne furent pas unanimes ! ─ et qu’on découvre ce film près de trois ans après sa sortie, le brio du numéro demeure bien là mais laisse aussi le goût amer d’un numéro de dupe.

Il y a toujours un étrange mélange de cocasserie et de trouble à voir quelqu’un, ami ou acteur, femme ou homme, passer de son sexe apparent à l’autre, surtout quand les costumes, le maquillage et l’éclairage contribuent à parfaire l’illusion. La couture fragile qui sépare le féminin du masculin nous plonge alors dans un état étrange. Si c’est grossièrement fait, on rit et ça ne va pas très loin. Si tout concourt à la réussite, et même si coexistent subtilement des éléments des deux sexes, alors vient le vertige sans fond de la frontière floue entre masculin et féminin. Adieu le cliché des sexes, bonjour le flou du genre !

Guillaume Gallienne dans son film, comme Olivier Py en Miss Knife de jais noir sous les roses de la rampe, joue très bien de ce vertige-là. Déjà Charlie Chaplin, au temps du muet, nous ensorcelle en Mamzelle Charlot et Laurel et Hardy forment parfois un couple homme-femme plus vrai que nature. Le transformisme exceptionnel d’Alec Guinness dans Noblesse oblige (1949) nous laisse pantois. Il en faut peu pour que l’on passe de la gaudriole appuyée de La cage aux folles (1978) à la farce tragique de Tenue de soirée (1986).

Guillaume Gallienne, même s’il caricature sa mère, peut et sait nous faire passer d’un rire bon enfant à un sourire plus réfléchi. Quelle plus belle manière que le travestissement et le maquillage pour faire subtilement glisser son public de l’innocence enfantine du déguisement à la morale dynamitée que créent l’homme en hyper-femme, la femme en hyper-homme, l’androgynie ou la gynandrie à cloisons japonaises ?

Mais pourquoi donc Guillaume Gallienne nous offre-t-il un film d’une virtuosité transformiste à couper le souffle pour le clore en sinistre et fallacieux coming out à rebours ? On a tout-à-coup l’impression d’une bonne vieille chute propre à consoler tous ceux que le film aurait trop inquiétés : « T’inquiète pas, Maman, c’est ta perfection de femme froide qui faisait de moi ce garçon trouble de tout mon passé et de tout le film, ce garçon qui t’admirait à en vouloir devenir toi, qui se la jouait en Sissi, toute en perlouses et dentelles, rien que pour te provoquer, attirer ton attention et ton affection ! Je n’ai fait l’intéressant que jusqu’au « jour où j’ai rencontré Amandine », mon ange rédempteur qui m’a guéri de mon vilain œdipe. Mais surtout t’en fais pas, sois tranquille, tout ça c’était du cinéma, maman je suis pas pédé !!!

Alors finalement Les garçons et Guillaume, à table !, c’est quoi ? Un formidable bluff d’histrion pour nous faire retomber dans une psychanalyse de pacotille et dans la bien-pensance la plus racornie ? Un règlement de comptes des plus alambiqués avec une bourgeoise à qui on ne fera pas le plaisir d’avoir un fils homo ─ ce qui serait une épreuve certes, mais un homo c’est si artiste, si chic dans une certaine gentry parisienne… ─ ? Pourquoi Guillaume Gallienne clôt-il son film sur une scène de théâtre où il s’adresse à sa vraie mère présente parmi les spectateurs, comme si le film devenait réalité filmée pour convaincre les spectateurs incrédules : mais oui, mais oui, rassurez-vous, on peut être folle et hétéro ! Ouf ! Mais attention, Guillaume, tu as sans doute pour toi tout un public bluffé… mais n’est-ce pas jouer avec le feu que de s’offrir un coming out inversé pour snober les ploucs qui ne peuvent s’offrir qu’un coming out ?

À trop bien jouer à la fois les mamans de NAP et les bons fils hétéros jurant à maman qu’elles n’ont rien à craindre des vilaines mœurs de la plus fille de leurs garçons, est-ce qu’on sait vraiment qui l’on est, de quoi l’on est fait, de sucre comme Julio ou de gingembre comme Arno ?

Pierre Lacroix, octobre MMXVI

Dans les LETTRES NORMANDES N° 112 – 3ème trimestre 2016, revue de la Société des Écrivains normands

Jean de Bonnefon (1866-1928), maire de Calvinet, dans son Cantal natal et journaliste parisien spécialiste des questions religieuses, auteur notamment de La Ménagerie du Vatican en 1906, était un personnage original dont l’influence ne fut pas négligeable en 1905 lors de la loi de séparation de l’Église et de l’État.

Dans le sillage de Barbey d’Aurevilly, dont il savait épouser le style, ses critiques frôlaient la provocation et pouvaient être redoutées. Christian Gury, dans cet essai biographique, nous en brosse un saisissant portrait, en soulevant les masques sous lesquels l’écrivain polémiste dissimulait les mystères de sa vie. L’enquête, étayée d’une multitude de témoignages et de citations, retrace le parcours du corpulent bonhomme qui, de son propre aveu, dépassait les cent quarante kilos ! L’auteur du présent ouvrage nous présente avec humour u personnage ambivalent, non dénué de talent, surnommé « cardinal des lettres » qui a marqué son temps. (105 pages, 12,50 €).

C. Le Roy **

Sur « Hélène » dans la revue de l’APL Études Franco-anciennes n°158 Été 2016

Un éditeur dont le sigle (EO) s’adorne de cette devise « sua quemque voluptas trahit » ne peut qu’attirer son lecteur !

Voici donc l’un des dix-sept monologues de l’ensemble Quatrième dimension, monologues théâtraux mis en scène par un metteur en scène grec contemporain qui souligne la désacralisation des anciens mythes chez Ritsos.

Qui est cette Hélène ? Soyons attentifs au vrai titre (en Grec) L’Hélène
. Ce n’est donc pas la plus belle femme du monde enlevée par Pâris, la Belle Hélène d’Offenbach ; non ; c’est la vieille Hélène qui habite dans une maison désertée, au jardin en friche et que vient voir un visiteur. Et pourtant c’est elle : « Oui, c’est moi » sont les premières paroles de ce monologue. Elle est désormais très vieille, devenue fort laide, esclave de servantes qui se moquent d’elle ou la volent ; elle est sous la coupe de ces bourreaux comme Ritsos, au moment où il écrit ce monologue, en résidence surveillée à Léros sous la dictature des colonels. Elle ne voit plus personne, donc ne parle presque plus (« peu à peu les choses ont perdu leur sens (…) de même que les mots, innocents, trompeurs (…) équivoques toujours »). Elle est là, immobile sur son lit. Devant son visiteur à qui elle dit à plusieurs reprises de rester elle opère d’abord une sorte de dédoublement qui lui permet une distanciation vis-à-vis du présent puis du passé nécessaire à la libération de la parole. Seule la mémoire est encore en mouvement, une mémoire incertaine et de plus en plus confuse mais qui recompose un passé encombré et s’en affranchit : « Vraiment tant de choses hors d’usage (…) elles encombraient l’espace. (…) Ah oui, combien de combats insensés, (…) combien de défaites et de nouveaux combats pour des choses en plus décidées par d’autres en notre absence ».

La vieille Hélène veut pourtant partager avec son visiteur son secret le plus précieux, son unique trésor. Cet unique trésor, bien gardé et jamais trahi, c’est le souvenir de l’amour, de l’intimité charnelle de l’amour : « Ils étaient beaux, avec leurs grands corps puissants comme des fleuves bouillonnants (…) ; je les aimais vraiment comme si je les avais moi-même enfantés. Et même ces souvenirs « ne sont plus troublants » ; mais au-delà d’eux « un seul retient encore un souffle qui le parcourt, il respire ». C’est le souvenir du soir où Hélène est montée seule sur les murs de Troie, belle, inatteignable, comme immatérielle, moi qui n’appartiens à personne, moi qui n’ai besoin de personne, comme si j’étais (moi, l’indépendante) l’amour tout entier.’ Elle a une fleur dans les cheveux, une autre entre ses seins, la troisième à ses lèvres « qui cache le sourire de la liberté ».

C’est cette « quatrième dimension », cet « autre versant », c’est cela qu’Hélène a atteint et c’est à cette élévation de la pensée que le poète nous convie.

Evelyn Girard, été 2016

Yannis Ritsos, Hélène ; édition bilingue ; préface et traduction d’Anne Personnaz
ErosOnyx Éditions, 2016

Les Argentins se souviennent de Lorca…Rapporté par El Pais du 19 août, cet article sur une commémoration de l’assassinat de Federico.

Hace 80 años, Federico García Lorca era fusilado a manos de tropas franquistas en su Granada natal. Desaparecido desde entonces, el poeta universal no tiene una tumba sobre la que sus admiradores puedan dejar flores o mensajes, pero en este nuevo aniversario de su muerte ha recibido homenajes de todos los rincones del mundo. Desde Argentina, país que García Lorca visitó en 1933, un grupo de actores recita Poema doble del lago Edén, incluido en Poeta en Nueva York. El tributo, organizado por el Ministerio de Cultura argentino, coincide con la decisión de la Justicia del país suramericano de investigar su detención y asesinato.

« Era mi voz antigua/ ignorante de los densos jugos amargos./ La adivino lamiendo mis pies/ bajo los frágiles helechos mojados », arranca Roberto Carnaghi, para dar paso al humorista gráfico Tute -hijo del historietista Caloi- y después a la actriz y cantante Natalie Pérez y a Tini Stoessel, más conocida por su personaje de Violetta en la serie homónima de Disney. Justina Bustos y Fernando Dente completan la nómina de artistas convocados.
García Lorca llegó a Buenos Aires el 13 de octubre de 1933 en el Conte Grande y se convirtió en el gran invitado del movimiento cultural porteño durante los seis meses que permaneció en la ciudad. De la mano del asturiano Pablo Suero, el poeta se dejó querer por la capital argentina, en la que gozaba « de fama de torero », según sus propias palabras. El hotel Castelar de la Avenida de Mayo y cafés de esa histórica avenida aún recuerdan su paso por la ciudad, que durante el periodo de entreguerras era un foco de atracción para intelectuales y artistas de todo el mundo.

1936-2016 IN MEMORIAM : KOUZMINE & GARCIA LORCA

Le 1er mars 1936, dans un hôpital de Saint-Pétersbourg devenu Leningrad, mourait de pneumonie Mikhaïl Alekseïevitch Kouzmine, poète, romancier, traducteur, compositeur, dramaturge. On l’a quelquefois surnommé l’Oscar Wilde russe, à cause de son dandysme et de son goût pour les jeunes hommes. Il fut le premier poète russe ouvertement gay, dit l’excellente biographie de John Malmstad et Nikolaï Bogomolov (Harvard University Press, 496 pages, 1999) non traduite à ce jour en français (voir plus loin). Poète de la taille des plus grands, Alexandre Blok, Vladimir Maïakovski, Boris Pasternak, Josip Mandelstam, Marina Tsvetaieva, etc. Anna Akhmatova, poétesse elle-même, finit par ne plus l’estimer à cause de ce qu’elle appelait la « salacité » de sa poésie.

Il eut plusieurs amants, deux en particulier Vsevolod Kniazev, jeune hussard qui se suicida en 1913 prétendument pour une actrice et danseuse – car le malheur de Kouzmine fut souvent de tomber amoureux de garçons bisexuels – et Iouri Iurkun, poète lui-même et illustrateur.

Illusions perdues quelques années après la Révolution de 17, difficultés pour assurer sa subsistance – Kouzmine ne publia que peu, quelques traductions du français, de l’anglais, de l’italien, et en 1929 La Truite rompt la glace, son ultime recueil de poésie –, logement partagé avec Iurkun, la mère de celui-ci et quelquefois la compagne  »officielle » (mais non l’épouse) d’Iurkun, et problèmes de santé enfin. Victime d’une grippe, il fut hospitalisé en février 1936, et on le laissa dans un couloir rempli de courants d’air. Il y attrapa une pneumonie dont il mourut le 1er mars.

Depuis 1933, la sodomie consentie entre hommes était un délit férocement réprimé. Kouzmine échappa à la répression décrétée sous prétexte de « conspiration homosexuelle », mais non son compagnon Iurkun, son ‘’Antinoüs’’, son ‘’Mister Dorian’’ (comprenons Dorian Gray), qui fut arrêté en 1937 et exécuté l’année suivante.

ErosOnyx Éditions publiera au premier trimestre 2017 La Truite rompt la glace, premier cycle, écrit en 1927, d’un recueil du même titre paru en 1929. Inédit en français. À part Les Ailes, roman publié en 2000 par les éditions Ombres dans une traduction de Bernard Kreise et deux recueils de nouvelles (aux éditions Noir sur Blanc), la France ne dispose d’aucune autre traduction de Mikhaïl Kouzmine, en l’occurrence de sa poésie. Suivra en 2018, la biographie du poète par deux spécialistes, John Malmstad et Nikolaï Bogomolov auteurs de Mikhaïl Kuzmin, A Life in Art ( Harvard University Press, 1999), sous le titre Mikhaïl Kouzmine, Vivre en artiste.

Triste anniversaire aussi que celui que nous commémorons, 80 ans plus tard, en cette année 2016.

À l’aube du 18 août de la même année 1936, était exécuté près de Grenade Federico Garcia Lorca, non pas tant en raison de ses sympathies pour la cause républicaine (Lorca était peu politique), mais surtout parce qu’il était gay. Sympathisant républicain, poète et en plus de cela être homo, c’en était trop ! Dans l’Espagne à la veille de la guerre civile, l’homosexuel ne vaut guère mieux que le juif, le maure ou le gitan. « Je crois, écrivait Federico, qu’être de Grenade m’incite à la compréhension sympathique du noir, du gitan, du juif (…), du maure que nous portons tous en nous. »

Informé du danger qu’il courait lorsque se déclencha la guerre civile (son beau-frère, Manuel Fernández Montesinos, maire socialiste de Grenade avait été arrêté le 20 juillet), Federico s’était réfugié chez des amis, les Rosales, pro-phalangistes. Arrêté par des militaires et autres mutins de la droite conservatrice de la ville, puis conduit sur la route d’Alfaraz, il est sommairement exécuté avec deux de ses amis, le maître d’école Dióscoro Galindo et le banderillero Francisco Galadi, au petit matin, au pied des oliviers du ravin de Viznar. Mais il avait été violemment molesté dans la journée et la nuit qui précédèrent son exécution : l’un de ses assassins ne s’est-il pas vanté, bien des années plus tard, d’avoir « tiré deux balles dans le cul de ce pédé » (« Yo le metí dos tiros en el culo por maricón ») ?

Son corps n’a jamais été retrouvé parce que les recherches n’ont pas véritablement été autorisées par la famille.

Federico laissait derrière lui une œuvre immense, et des poèmes posthumes, plus précisément des sonnets qu’ErosOnyx a publiés, Sonnets de l’amour obscur (2015). Qui en fut l’inspirateur ? Rafael Rodriguez Rapún, mort au front un an jour pour jour après Lorca, à l’âge de 25 ans, lieutenant du côté des Républicains ? Ou bien Juan Ramirez de Lucas, un jeune homme de 19 ans en 1936, comme on l’a découvert après sa mort en 2010, à cause de qui Federico n’avait pas voulu quitter l’Espagne pour s’exiler au Mexique, comme le lui conseillaient ses amis ?

Sonnets de l’Amour obscur, édition bilingue, novembre 2014.

Deux poètes, deux poètes gays, le second plus connu que le premier, du moins en France. Victimes tous les deux de l’intolérance, du conformisme moral de droite ou prétendument révolutionnaire.

Peut-on encore dire « Plus jamais ça » et y croire ? En tout cas, l’important, c’est que vivent toujours leurs œuvres pour que la mémoire et la beauté fassent, comme le chante Barbara, « Que jamais ne revienne / Le temps du sang et de la haine ».

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Nous étions un seul homme : En 1943, dans le Lot et Garonne, Guy, un jeune forestier, recueille et cache dans sa ferme un soldat allemand blessé : Rolf.
N’ayant pas connu ses parents, Guy se prend d’une profonde affection pour son visiteur, et l’empêche une fois guéri de rejoindre son armée. Rolf se surprend à rester, sans réaliser tout d’abord qu’il tombe fou amoureux de son jeune ami. Les deux êtres se rapprochent, au cours de confidences, de chahuts, de beuveries, et sous le regard complice de la fiancée de Guy. Au cœur de la forêt, ces deux hommes suivent un parcours de doutes, d’angoisses et de violence avant de donner enfin libre cours à leur passion.
Nous étions un seul homme, c’est l’illustration d’une relation amoureuse à deux, dans un contexte particulièrement hostile.

Guy (Serge Avedikian) est un jeune paysan qui a fuit l’asile psychiatrique quand il a entendu dire que l’occupant allemand (nous sommes en 1943 dans la campagne du Lot-et-Garonne) exterminait les fous : pas si fou que ça, il faut admettre.

Un jour, il recueille Rolf (Piotr Stanislas), jeune soldat allemand blessé, qu’il soigne et nourrit dans la bâtisse isolée ou il se tient lui-même à l’écart. Les deux garçons sont le jour et la nuit : brun et blond, sale et propre, instinctif et rationaliste, ignare et cultivé. Avec beaucoup de sensibilité et de justesse psychologique, Philippe Vallois nous montre comment ces deux êtres si dissemblables vont se rapprocher, communiquer, se comprendre, s’aimer enfin.

Pour Guy, l’Allemand est l’assassin, et il ne se prive pas de le dessiner et de l’inscrire sur les murs ; pourtant, il s’oppose à ce que Rolf le quitte pour rejoindre son unité. Des deux garçons, on se rend compte que c’est Rolf qui est homosexuel, et qui sait ce que signifie une relation entre garçons. Guy a de temps à autre une fille qui vient le voir et le soulager de ses désirs, et le contact physique avec Rolf n’évoque d’abord rien en lui de sexué : Philippe Vallois semble, à ce propos, être un partisan convaincu de l’homosexualité latente du contact sportif, de l’érotisme refoulé du sport. Le jeune paysan dans son innocence n’acceptera de passer à l’acte que lorsqu’il comprendra que c’est le seul moyen de garder son compagnon et que son attachement à «l’Assassin» n’est rien d’autre que de l’amour. Cet amour dont le prix sera la mort de l’un des amis, tué par l’autre dans une scène très belle et très émouvante, dans un geste d’amour désespéré.

Avec ce film, Philippe Vallois a réalisé un film qui va droit au cœur. À découvrir ou à revoir.

Le DVD de ce film est disponible dans l’essai de Didier Roth-Bettoni :  » Différent ! « Nous étions un seul homme » et le cinéma de Philippe Vallois « , Éditions ErosOnyx, Collection Images, 108 pages, mars 2016

ISBN : 978-2918444282, 23€50

Jean-Yves ALT