Actes du colloque des Ami(e)s de Lucie Delarue-Mardrus : « Genre, Arts, Société: 1900-1945 »

C’est avec un grand plaisir que je peux vous annoncer d’abord la publication du volume des Actes de notre colloque « Genre, Arts, Société: 1900-1945 » qui s’était tenu à Reid Hall les 22 et 23 janvier 2010.

Cet ouvrage paru aux éditions Inverses en janvier 2012 reprend 17 des 18 contributions offertes à cette occasion.
J’ai eu le plaisir de réunir et de présenter ces articles rédigés en français ou en anglais pour l’un d’entre eux, toujours de grande qualité et souvent illustrés. De nombreux arts sont représentés: littérature, sculpture, peinture, photographie et danse, de 1900 à 1945. La troisième partie de l’ouvrage est entièrement consacrée à Lucie Delarue-Mardrus.
L’ensemble est précédé d’un éclairant avant-propos de Mme Anne E. Berger, Professeur de littérature française et d’études de genre à l’Université Paris 8.
Merci encore à toutes les personnes qui ont permis la réalisation de ce colloque, notamment Anne-Marie van Bockstaele qui a accompli un travail remarquable et Pascal Dubuis qui a permis cette publication (voir le site des éditions inverses à cette adresse: http://www.inverses.fr/numerosparus.htm).

Patricia Izquierdo, présidente de l’Association des Ami(e)s de Lucie Delarue-Mardrus.

L’Association des Professeurs de Lettres a aimé GHASELS

Les éditions ErosOnyx, auxquelles collabore notre collègue Pierre-François Lacroix et dont nous avons recensé ici plusieurs ouvrages, consacrent leur dernière livraison au poète allemand August von Platen (1796-1835), dont une copieuse introduction raconte la vie brève et tourmentée.

Écartelé entre son attirance pour la beauté masculine et une exigence esthétique, intellectuelle et morale qui lui représente l’amour charnel comme trop vil et pour ainsi dire cadavérique, von Platen trouva dans la poésie le lieu où dépasser cette contradiction, sublimer son désir et réaliser l’amour éthéré auquel aspirait tout son être. La découverte, dans le texte, du poète persan Hafiz (1320-1389), maître reconnu du ghasel, lui en offrit le moyen. Ce genre poétique très codifié, qui connut une première vogue au VIème siècle, et l’œuvre d’Hafiz avaient déjà inspiré Goethe, mais sans qu’il eût transposé la forme elle-même ni d’ailleurs la substance amoureuse. Chez Hafiz en effet, le ghasel, poème à la fois galant et mystique, célèbre une figure idéalisée composée de tous les garçons aimés. C’est ce qu’il redevient avec Platen, qui, grâce à la rencontre littéraire du poète persan, a su, par delà une vie sentimentale forcément décevante parce que forcément terrestre, se réaliser indissociablement comme homme et comme artiste. Il était donc naturel qu’aux trois éditions de ses Ghasels fût associé Le Miroir d’Hafiz : Michèle Rey y joint en outre Les Dernières Poésies dans l’esprit d’Anacréon, qui, sans rompre l’harmonie de cette édition, manifestent l’érudition de von Platen et la variété de ses influences, comme une fraternité poétique et amoureuse à travers les siècles et les civilisations.

C’est au reste la première fois que les Ghasels sont éditées dans l’ordre chronologique, la première fois aussi qu’ils sont traduits en français et il en rendre grâce à Michèle Rey, qui a accompli là un travail remarquable et nécessaire. Son introduction, qui on l’a dit, analyse l’éducation sentimentale de von Platen toute tendue vers son accomplissement littéraire, s’achève, en toute logique, sur une étude du genre et des influences ; trois pages de notes éclaircissent les références contenues dans les poèmes ; une chronologie et une bibliographie closent enfin ce précieux volume.

Romain Vignest

www.aplettres.org

DEEP END, plus 40 ans après…

Allez, plongez !

UN FŒTUS DE 15 ANS EN EAUX PROFONDES

Il faut en avoir reçu des coups, il faut en avoir fait des rêves, il faut en avoir coulé des giclées de puceau émerveillé et désarticulé, pour porter en soi DEEP END, le tourner à trente ans, en 1970, avec une poignée d’argent, un casting du tonnerre et des illuminations d’adolescent ravi, en faire une perle du fond des eaux, une perle baroque, cabossée et neigeuse !

La vie cogne dur quand on a quinze ans chez Skolimovski, qu’on s’appelle Mike, avec toujours la gueule d’ange de ses dix ans, à peine un peu de barbe et de poil sur la peau blanche, juste sa crinière d’éphèbe libre dans le vent quand il file dans Londres à bicyclette, et la mèche lourde de ses quinze ans sur des yeux myosotis : les parents préfèrent le voir parti ; les patrons l’engageraient même avec des dents de lait puisqu’il est mignon à croquer ; les bains publics, où il trouve un emploi de garçon de bain, lui font miroiter une sinécure, des murs vifs et une piscine bleutée pour mieux cacher turpitudes banales et croupissements de Styx. Mais Mike entre d’emblée dans les coulisses : les moniteurs d’écoles, quand ils apprennent à nager à leurs troupeaux d’oies blanches, s’offrent des papouilles de proxénètes. Les dames plantureuses esseulées testent le nouveau, lui tordent les cheveux et la chair, juste pour voir jusqu’où il voudrait bien leur fouiller la leur, et, si par chance elles ont joui rien que de mouiller de leurs mots et de patouiller dans cette bonne chair fraîche, elles lui laissent un pourboire… Skolimovski fait tourner caméra à l’épaule, joue sur les gros plans, braque son microscope sur le tendre comme sur le salace, bouscule son montage comme ses décors, ses acteurs et ses spectateurs, ça va vite, ça cogne, comme quand on se reçoit la vie en pleine figure et en plein corps frêle, quand on est un vrai sylphe lâché dans la jungle des adultes, un acteur-sylphe aussi, au vrai nom de sylphe d’ailleurs, John Moulder-Brown, dont Visconti, deux ans plus tard, fera le fragile frère de Ludwig dans Le crépuscule des dieux, Otto, devenu fou, bien avant son frère, fou d’avoir vu les horreurs de la guerre à Sadowa…

Mais la vie vous sourit orange aussi, de temps en temps, quand vous avez quinze ans dans le « swinging London » et que travaille avec vous, aux bains publics, une ondine aux longs cheveux roux, belle comme Marianne Faithfull chantant As tears go by, une belle fille de ce temps-là, campée par Susan Asher, une Jane à qui vont divinement les bottes noires, le maxi ciré jaune flottant et la minijupe à la Twiggy : belle et libre à se damner quand on est puceau et qu’on veut perdre son pucelage en gardant ses illusions, qu’on veut donner son corps en même temps que son cœur de diamant ! Il y a de L’homme blessé de Chéreau dans le Deep end de Skolimovski, mais avec une palette toute autre, une palette à la Jacques Demy d’Une chambre en ville. Et bien sûr, la belle est une garce légère, une bulle de rêve pour Mike qui semble tout droit sorti de sa province, comme un Polonais du temps de l’URSS qui se prendrait à la toile d’araignée des néons de Soho ! Surtout, ne pas dévoiler au lecteur de cet article l’extraordinaire chorégraphie de la scène finale au fond de la piscine, préparée depuis la goutte de sang du premier plan, et abasourdissante en même temps, à pleurer, comme pleure tout à coup la voix de Cat Stevens. Diamant, eau bleue et sang.

Et si les « addicted to love », les malades de l’amour, à quinze ans ou même davantage, restaient toujours de tendres fœtus ?

Pierre Lacroix

sur Strip Hotel

Encres Vagabondes
David Nahmias
(14/12/11)
Jacques ASTRUC

STRIP HOTEL

À Ashville, aux abords d’une voie ferrée, se dresse un vieil immeuble en briques rouges. Sur son enseigne, on peut lire : Strip Hotel. Dans son hall un imposant canapé trône, un large vase chinois monté en lampe éclaire les lieux, derrière le comptoir de la réception un vieux noir penché sur son ennui patiente. Cela ressemble à un décor qu’aurait oublié de peindre Edward Hopper ; Jacques Astruc s’en chargera avec la qualité de ses mots.

Ruppert Adamson, le narrateur de Strip Hôtel, a débarqué par hasard dans cet endroit et dès la première nuit ne désire plus vivre ailleurs, lui qui partait pourtant pour la Nouvelle-Orléans. Un décor de rêve, vraiment. « Je fus séduit, définitivement. Je choisis de vivre là, au Strip, plus qu’ailleurs au monde. Je posais mes bagages, et je m’endormis tout habillé… »

Une rencontre le retiendra bien plus encore à cet hôtel : une femme. De celles qu’il faut craindre, n’a-t-elle pas indiqué sur sa fiche pour profession ce simple mot : Femme… Elle aussi a débarqué dans ce lieu avec un simple bagage, elle aussi n’envisage pas de le quitter. Cette créature ne vous laissait pas indemne. La croiser était une aventure majeure, une péripétie existentielle fatale. On n’oubliait pas ce décolleté profond ouvert sur cette gorge palpitante, sur la naissance de ses seins, qui, à peine esquissés, déjà vous obsédaient.

Rapidement notre narrateur devine que cette Femme, Lolita M. comme elle se fait appeler est une prostituée de luxe ou plus exactement une sorte de mangeuse d’hommes. Elle revient soir après soir avec au bras un amant différent. Le hasard aura voulu que la chambre de notre Lolita M. se situe exactement en dessous de celle de notre narrateur. Obsédé par l’amour qu’il lui porte, par le profond désir de la posséder, il guettera chaque soir son retour au bras de l’amant élu pour la nuit, il écoutera les moindres bruits de vêtements défaits, de peau frôlée ; les moindres soupirs d’amour jusqu’aux cris de jouissance du couple et l’orgasme à gorge déployée de Belle. Allongé nu, l’oreille collée au plancher, il ne perd rien des rencontres répétées de Lolita M.

L’amour fou n’est-il pas l’état le plus difficile à conserver intact ? Et l’érotisme n’est-il pas la forme littéraire la plus difficile à transcrire ? Jacques Astruc par son talent nous prouve qu’il maîtrise merveilleusement cette matière-là.

Cette présence au septième étage du Strip Hotel, devient, pour notre narrateur, obsessionnelle. Le rythme de ses journées ne se déroule plus qu’en fonction des moments de présence ou d’absence de la Femme… de Lolita M., de Belle. De page en page nous perdons la notion du temps, depuis quand Ruppert Adamson se trouve-t-il au Strip ? Quelques mois ? Quelques années ? Et Lolita M., depuis toujours ?…
« Lolita et moi appartenions à cette catégorie d’êtres en rupture, en perdition. Électrons libres affranchis de tous les codes sociaux, échappés de la tribu aliénante des ancêtres, rejoignant l’insouciance féroce de la horde originelle. (…) Le vieux noir était à la tête d’un cortège d’errants égaré sur une route désaffectée. Ici on n’avait plus que cela, cette liberté, cruelle et belle, qui donnait le vertige. Nous étions tous, au Strip, libres d’en finir, ou de recommencer. Nous partagions la certitude des lentes agonies en chambres closes. Nous contemplions nos lits vides, où gisait une valise râpée. Personnages en fuite dans la blancheur blafarde des aubes et des néons. »

Strip Hotel de Jacques Astruc se lit comme si nous étions nous même dans l’un de ces trains qui filent vers Ashville et la Nouvelle-Orléans, et l’image obsédante, répétitive, du corps de Belle semble mouvoir les roues de ce train qui nous entraîne jusqu’au bout du voyage… jusqu’à la dernière page… jusqu’à la dernière ligne de ce roman !

PAROLES de Dick Annegarn

Qu’on puisse regrouper les textes de toutes les chansons de Dick Annegarn en intitulant le recueil Paroles (Éditions Le Mot et le reste. 2011) n’a pas surpris ceux qui suivent depuis ses débuts ce grand gars lumineux et tendre, inclassable, doux et provocant, qui jongle avec les mots, les invente, les brise, les recompose, en affirmant la force du verbe et de la tradition orale dans toutes les civilisations. Pour ceux qui ne le connaissent pas, ou mal (seulement par quelques chansons comme Sacré géranium ou Bruxelles), c’est l’occasion de découvrir un homme secret, heureux et libre.

Cette édition de Paroles a deux particularités : d’abord, elle comporte une préface d’Olivier Bailly qui utilise de larges extraits d’interviews où Annegarn se confie très spontanément ; en outre, le recueil des textes de chansons est strictement alphabétique, mêlant les époques et les thèmes. Au lecteur de se débrouiller et les déclarations de l’auteur l’y aident beaucoup. Mais il n’est pas question de faire ici une étude détaillée de tous ces textes, ni une exégèse des rapports de Dick Annegarn avec son œuvre. Nous souhaiterions plutôt dégager ce que la version écrite de ses textes met en lumière. Comme il dit lui-même : « …les paroles peuvent être lues et lire mes textes c’est autre chose que de les entendre. C’est une œuvre à part. » Et il estime que ses « intentions vont mieux apparaître imprimées que chantées. »

« Je me radote musicalement. Comme les enfants ! On varie sur les mots, on les détourne. On sautille, on se promène dans une mélodie pour rigoler, pour passer le temps. C’est joyeux, comme exercice, je m’endors avec ça, je pisse avec ça, je prends mon bain avec ça, je fais la cuisine avec ça » déclare l’auteur. Un éternel enfant facétieux, qui ne s’ennuie jamais ! Mais dans le mot parole, il y a aussi la magie, la sorcellerie. Les inventions verbales sont aussi des mots de passe, un langage secret d’apprenti sorcier. Les vrais prénoms de Dick ne sont-ils pas Benedictus Albertus ? ce qui est digne d’un alchimiste médiéval. Et le lecteur se laisse prendre à ces incantations en gardant en mémoire la musique et l’inimitable voix rocailleuse. Un prophète panthéiste, sans religion révélée, un mystique libre et solitaire qui évoque Simon du désert : il a été fasciné par le Sahara et son « antre » est au fond de la campagne profonde du Sud-ouest, près de la terre et des arbres qui nous font oublier que nous sommes mortels.

Ce solitaire qui cultive sa solitude (« joyeuse, solaire, libératrice ») aime pourtant le monde avec passion : comme il le fait avec les mots, et avec les langues (Français, Anglais, Néerlandais) il prend la vie (sa vie) comme un terrain de jeu. Du Nord au Sud, de la mer du Nord à l’Asie du Sud-Est, de la ville à la campagne, il recherche tous les mélanges et en est fier, se définissant comme « un Hollandais qui loue une maison au Maroc pour y accueillir son amant Chinois. » Et, dans ses voyages, il aime les lieux incertains, la périphérie des villes, les fleuves (comme la Seine où il amarra sa péniche de nombreuses années) et, même dans le désert, il fait des rencontres. Cet amour du monde c’est aussi son attachement à ses racines, à son enfance, à sa mère, pudiquement évoquée : « Tu peux partir /Tu peux vivre libre ta vie d’amour. /Voilà les dires / Les doux désirs de ma mère d’amour. » Car Dick Annegarn est resté un enfant : « Le ciel des grands est beaucoup plus petit que le ciel des enfants. Enfant, ne deviens jamais grand ».

Le mot frère , présent dans beaucoup de ses textes, est certainement une clé pour comprendre ses choix de vie. Il y a des frères spirituels et artistiques : pour lui, la chanson Théo (lettre à Théo Van Gogh) est comme une lettre à un frère imaginaire, et, s’adressant à Jacques Brel, il dit « je te tutoie comme un ami ». Il y a aussi tous ses « frères humains » sur tous les continents. Mais il ne cache pas ses frères-amants car, pour lui, « l’amour entre hommes est désintéressé » et il constate que « beaucoup d’hommes à femmes sont aussi des hommes à hommes, donc c’est un peu leur vie souterraine ». Il dédie à ces « frères-amants » quelques uns de ses plus beaux textes (Même en hiver ou Le traversin sont de ceux-là). Il ne cache pas non plus qu’il a toujours été « charmé par les voyous », comme Pasolini, comme Genet. « Les mecs un peu cassés m’émeuvent », et si Rimbaud le fascine, c’est aussi pour cela.
Aujourd’hui, à l’aube de la soixantaine, il constate : « Mon itinéraire est un peu incertain, c’est une dérive ». Mais il a sur l’avenir toujours la sérénité du sage. En mai 2011, il déclare : « Ici, en Comminges, j’ai appris qu’on peut être cultivateur et cultivé ….Je me veux libre, pas libertaire. Attention, même si « biologiquement » je ne suis pas un homme de réseaux, j’ai des combats, pour la parité, la liberté, c’est essentiel dans ce monde de barbus et de Michel Sardou » (La Marseillaise. 27 mai 2011)

Un milliard d’amis possibles

C’est qui va m’aimer

Claire Lippus

LA PHEDRE DE RITSOS A DIE (26)

PHÈDRE, LA CHAMBRE D’ÉCHO : POUR HIPPOLYTE, LE JEUNE HOMME AU FUSIL

Poème dramatique

D’après Phèdre de Yannis Ritsos / Conception et scénographie : Muriel Vincent et Aurélien Villard /
Création lumière : François Dupont et Aurélien Villard /
Musique : Jean Guillaud / Regard extérieur : Dominique Pasquet / Avec Sébastien Depommier et Muriel Vernet

Depuis Euripide, en passant par Sénèque, Garnier, Racine, et nos contemporains Marina Tsvetaïeva, Sarah Kane, Didier Georges Gabily… Toute « l’histoire du théâtre » est traversée par la figure de Phèdre… Et la figure de Phèdre apparaît toujours « comme si tout le théâtre entrait en scène à cet instant »… De ce point de vue, la Phèdre de Yannis Ritsos, est une sorte d’éclipse… Un « soleil noir », qui conte l’ultime rencontre entre la figure solaire absolue du bel Hippolyte, le jeune homme au fusil et la brillance lunaire d’une Phèdre sans âge qui a décidé du moment exact de sa fin, juste à la fin du poème…
A la fois onirique et trivial, traversé par toutes ces ombres singulières et familières qui envahissent l’œuvre poétique de Yannis Ritsos, le spectacle ramène chacun à une intimité concrète et universelle.

Un grand moment de théâtre, au cœur du mythe, à ne pas manquer.

25 septembre 2011 à 18h30 Théâtre de Die.

Dans HETEROCLITE, mensuel gay mais pas que… – Lyon/St-Etienne/ Grenoble. Septembre 2011 Grenoble/


Les cimes de Monsieur Lange

Rémi Lange, cinéaste, présentera le 30 septembre à la Bibliothèque municipale de Lyon son premier long-métrage, Omelette, à l’invitation d’Écrans Mixtes.
Omelette est le récit d’un coming-out. Pour un jeune homme d’aujourd’hui, se dire homosexuel est-il plus facile que cela ne le fut pour vous en 1993 ?

Oui, les lois (en premier lieu le PACS) ont fait évoluer les mentalités, mais cela reste néanmoins difficile dans certains endroits, en banlieue, dans les petits villages… Le problème vient de ce que l’Éducation nationale et les parents ne sont pas assez engagés dans la lutte contre l’homophobie : on élève toujours les enfants selon les schémas hétérosexuels classiques.

– Le film est tourné en Super-8, avec les conséquences que cela entraîne pour la qualité de l’image. Quelles sont les raisons de ce choix artistique ?

J’aurais pu tourner en vidéo H8, il existait déjà des caméras assez légères, mais le Super-8 me renvoyait au premier cinéma que j’ai connu : les films de famille tournés par mon père dans les années 70. Je voulais transformer ce cinéma-là en fiction, en injectant du malheur dans le film de famille, en gardant la forme mais pas le fond. Cela correspondait également à un besoin de vivre aussi vite et aussi pleinement que possible, puisque la bobine du Super-8 ne dure que trois minutes et demi : il faut donc être concis, précis et aller à l’essentiel.

– Comment expliquez-vous que tant d’auteurs homosexuels (vous-même, Hervé Guibert, Guillaume Dustan, Violette Leduc…) aient choisi de s’exprimer par le biais de l’autofiction ?

Je ne pense pas que nous soyons si nombreux que cela, finalement… En outre, si Hervé Guibert est vraiment dans l’autofiction, Omelette est davantage du registre du journal filmé. Mais pour répondre à votre question, c’est peut-être lié à l’épidémie de sida des années 80-90. Face au danger de mort qui nous guettait, nous avons essayé de profiter au maximum de la vie et de la débarrasser pour cela de tous ses artifices. C’est pourquoi on en vient à vouloir dire « je », à laisser une trace avant de peut-être disparaître. En tournant Omelette, je me disais souvent : « avant de mourir, je n’aurai rien caché ». J’étais également beaucoup influencé par l’art corporel, qui montre l’intérieur du corps. Mon message, c’était : « me voici tel que je suis, prenez-moi avec mes défauts et mes qualités ».

– Ce moyen d’expression que sont l’autofiction ou le journal filmé vous intéresse-t-il encore ?

Oui, bien sûr. Je reviens justement du festival du film documentaire de Lussas où j’ai été très marqué par un magnifique film autobiographique, sur le mode du journal filmé, qui sera bientôt diffusé sur Arte : Le Ciel en Bataille, de Rachid B. L’histoire d’un mec au chevet de son père en train de mourir, qui évoque son homosexualité, sa conversion à l’islam…

– Mais concernant votre propre travail, avez-vous envie de revenir au journal filmé ?

Après le diptyque que formaient Omelette et Les Yeux brouillés, je me suis davantage tourné vers la fiction. Mais récemment, j’ai débuté un projet, dont j’ignore encore le nom, qui consiste à filmer dix-sept secondes par jour. Au bout d’un an, cela devrait faire un film d’une heure et demi. Je ne sais pas trop ce que ça va donner, si cela sera montrable, mais après tout, ça n’a pas d’importance : on peut aussi faire des journaux filmés pour les brûler ensuite !

– Quels sont vos autres projets cinématographiques ?

J’ai aujourd’hui un travail à temps plein, puisque je suis éditeur de DVD, donc j’ai moins de temps à consacrer au cinéma. Tous mes derniers films, sortis uniquement en DVD, ont été réalisés avec des bouts de ficelle ; c’était moi qui faisais tout. Aujourd’hui, j’aimerais trouver des financements, un producteur qui me suive, mais ce n’est pas facile. Ai-je encore l’énergie de me lancer dans cette recherche, de repartir à zéro ? Je ne sais pas. Le cinéma n’est plus forcément indispensable à ma vie. Je pense avoir dit ce que j’avais à dire et quand on n’a plus grand-chose à dire, il vaut mieux se taire ! Mais cette envie me reviendra peut-être un jour…

Projection d’Omelette le vendredi 30 septembre à la Bibliothèque municipale de Lyon, 30 boulevard Vivier Merle-Lyon 3 / 04.26.64.44.64 / www.festival-em.org Rencontre avec le cinéaste et signature de son livre Journal d’Omelette.

À voir et à lire : Journal d’Omelette (avec le DVD du film), de Rémi Lange, ÉrosOnyx Éditions (24, 50€)

LE ROI DE L’EVASION (2009)

Alain Guiraudie a l’art de sortir des sentiers battus !

Avec ce nouveau film, Alain Guiraudie nous convie à un voyage dans le truculent univers qui le caractérise : le sourire malin sous la farce, le mariage du réalisme et du fantasque, les charmes de la vie de province avec les tracteurs, la bicyclette, la « drague sauvage » sur les aires de repos menacée par Internet, la peau au contact du soleil et de la nature, parce qu’on s’y déshabille beaucoup, le sexe dédramatisé, décomplexé, décloisonné, loin de toutes les étiquettes du ghetto !

Il y en a du feuilletage croustillant dans Le roi de l’évasion ! C’est d’abord un film policier avec meurtre et trafic d’un « pantagruélion », la « beurougne », sorte de pomme de terre au goût de vanille, plante miraculeuse qui assure une bandaison de plusieurs heures sans défaillance ! C’est aussi l’histoire de la crise de la quarantaine d’un homme bien pourvu en chair appétissante, loin des critères de sélection des top models et autres escorts des magazines, qui, devant le vide répétitif de sa vie sexuelle, en vient à se dire qu’il n’aime finalement peut-être pas les hommes et qu’il est encore temps pour lui de faire un coming out à l’envers : se laisser tenter par une belle adolescente ardente, en rupture de scolarité et de famille ! C’est enfin une fine réflexion sur la traversée des apparences : les notables ont besoin de se décoincer, les chercheurs de vérité d’aller au bout de leurs phantasmes pour mieux se connaître, les rabelaisiens ont aussi un cœur qui bat sous la chair truculente…

Pas de réponse aux questions, jamais, pas de prêchi-prêcha, mais une intrigue folle, irrévérencieuse, des situations juteuses et quelle audace ! On ne remerciera jamais assez Alain Guiraudie pour son hymne à l’amour intergénérationnel ! Chez lui, les silver daddies et les minettes allumées sont tous et toutes à croquer. L’essentiel, c’est de se laisser porter par son désir, sans bégueulerie, sans tricherie, mais en cherchant et en suivant sa pente. Il faut oser le filmer, avec en sourdine l’idée que l’amour mérite toutes les cavales et que sa quête ne peut que connaître des crises, l’important étant de ne jamais se laisser bouffer par les modes, les routines tristes, de ne jamais passer à côté de soi… De l’art de faire voler en éclats les normes et les marges !

À voir sans modération !