Ouvre cet inédit la photo de Pauline Tarn, » une poétesse en fleurs », future Renée Vivien dont dix recueils de poèmes (1901-1910) ont déjà été regroupés et publiés en 2009 par ErosOnyx. Pour clore l’opus poétique, Nicole G. Albert, spécialiste de la littérature fin-de-siècle et de Renée Vivien, et PIerre Lacroix, ont reproduit le manuscrit original, émaillé de ratures, que leur a confié Imogen Bright, petite-nièce de l’auteure. Ce qui permet de découvrir la graphie « étonnamment mûre d’une jeune fille d’à peine dix-huit ans ».
Cette « lyricine débutante », passionnée de botanique, trouve son inspiration dans les jardins, les décors champêtres et sylvestres. Dans ce recueil, elle revendique le divin langage des fleurs si riche et complexe et le sauve de la désuétude. Elle décline leur rôle sélamique (c’est-à-dire porteur de message), soulignant leur pouvoir de transmettre des choses indicibles, de convoquer images et souvenirs, tressant un lien avec le passé. Elle nous offre un bouquet composé de trente-trois fleurs, au fil des saisons, exhalant leurs parfums capiteux, enivrants, troublants, leurs senteurs vertigineuses.
Véritable féerie de couleurs : fleurs vermeilles, rose délicat, carmin, émeraude…
Les poèmes de Pauline Tarn symbolisent des sentiments tels que le chagrin, la douleur, la résignation, l’amour, le souvenir de jours heureux, l’espérance…
Sa prédilection pour les violettes les rend omniprésentes. Pauline Tarn sait nous émouvoir quand elle évoque les violettes blanches dont la destinée est de rejoindre un défunt. Le lis évoque toujours l’innocence et la pureté, mais c’est aussi une fleur funéraire. La rose reste l’ambassadrice de l’amour et de la tendresse. Le muguet réconcilie l’homme avec les valeurs de bonté et de fidélité. La fleur d’amandier, elle, est gage de bonheur et de constance. La tubéreuse rappelle à une jeune fille son premier bal. Quant à la flore salutaire – mimosa, souci… -, elle est recommandée pour ses vertus lénifiantes.
On assiste à la métamorphose des pois de senteur : mille ailes posées, frémissantes dans un jardin au printemps ou à l’éclosion de ces constellations de blanches pâquerettes, la voie lactée des champs. Les crocus donnent le signal de l’explosion printanière. Le peintre fige l’or vivant des jonquilles sur sa toile; la blancheur des flocons d’une frêle anémone égare le musicien dans un bois rêveur et lui rappelle l’inspiration perdue. Les camélias sont associés à un soir à l’Opéra, des images d’Italie jaillissent des violettes de Parme : beaux lacs bleus dormants, merveilles de Rome …Parfois le sens est fondé sur leur appellation anglaise, comme clef du ciel pour la valériane rouge. L’enfance se reflète dans les boutons d’or et le lilas.
Ce projet fleuri nous fait découvrir toute une symbolique
personnelle des fleurs. Pauline Tarn, par son engouement, rejoint les chantres de la beauté éphémère des fleurs. Qu’elles soient aussi les messagères de nos pensées et de nos émotions ! Cet inédit de Pauline Tarn, traversé de sons de mandolines, de musique, de chants, séduit par sa fraîcheur, sa grâce, son charme et procure aux sens, par une jeu de correspondances, un festival de plaisirs tout à la fois olfactifs, auditifs et visuels.
La Muse aux violettes était née.
Nadine DOYEN