« UN DERNIER JARDIN » de DEREK JARMAN – le DVD

Dans la rubrique À lire du site d’ErosOnyx Éditions, Claire Lippus dit son admiration pour le livre de Derek Jarman. Voici un extrait de ce qu’elle y écrit :

« Son jardin, comme ses films, est à la fois construit et sauvage, austère et sensuel. Il va servir de décor à un film étrange où les images du jardin ( à la fois Eden et Gethsemani) se mêlent à des scènes surgies des rêves de l’auteur, endormi sur son bureau, alors que le vent et la pluie pénètrent dans la maison. Dans une sorte de florilège-testament, on retrouve les obsessions de Jarman : personnages bibliques et martyrs, bourreaux au service d’un ordre policier et surtout militantisme homosexuel. Sur ce dernier point, plus que le chemin de croix du couple torturé, on aime la nudité des corps qui s’enlacent et s’embrassent sous le regard pur d’un garçon enfant. On n’est pas loin de Sebastiane… »

« Daniel SCHMID, le chat qui pense »… et l’albatros des Grisons

Daniel SCHMIDT, le chat qui pense… et l’albatros des Grisons

ErosOnyx Éditions salue la sortie en DVD, chez Salzbeger & Co, du film Daniel Schmidt, le chat qui pense, réalisé par Pascal Hoffmann et Benny Jaberg, projeté à la dernière Berlinale de février 2011. Il s’agit d’un bel hommage consacré, cinq ans après sa mort, à Daniel Schmidt, metteur en scène de Suisse alémanique, hommage qui annonce, espérons-le, la sortie en DVD soigneusement édités comme ils le méritent, de ses films-poèmes au ton, au rythme et aux coloris variés et profondément originaux, comme La Paloma, L’ombre des anges, Violanta, Hécate, Le baiser de Tosca, Hors-saison, Visage écrit…

Le DVD est en fait un beau livre-dvd publié en Allemagne mais dont le film est sous-titré en français et en anglais, comme sont sous-titrés en anglais les « extras » , dont des interviews touchantes et éclairantes. Nous ne ferons aucun commentaire sur le fait que les maisons d’édition cinématographiques françaises jugent inutiles de publier, avec sous-titres français, des films comme le Sebastiane de Jarman ou ce Chat qui pense, en l’honneur d’un grand metteur en scène homosexuel allemand. Notons que cette édition comporte aussi son premier court-métrage en noir et blanc, Miriam. En attendant que la France soit moins frileuse et prenne conscience du vaste public qui aimerait voir et revoir ces films dans des conditions confortables, merci à l’ Allemagne de nous les rendre en grande partie accessibles !

Beau livre-dvd donc, avec des photos finement sélectionnées de lui, de ses amis, de ses collaborateurs, de ses acteurs et actrices, avec aussi de hautes phrases aimées de Schmidt comme une d’Oscar Wilde que l’on pourrait traduire ainsi : « Nous sommes tous dans le caniveau, mais il en est qui regardent les étoiles ». Regarder vers les étoiles, chercher les hauteurs pour échapper aux bourbiers et aux miasmes : le leitmotiv poétique de la montagne est constant dans le film de Hoffmann et Jaberg, en inserts de plans magnifiques de rocs enneigés qui nous parlent des origines de la vie de Schmid, là-haut sur les hauteurs suisses, et la caméra les survole pour nous peindre cet albatros des Grisons que fut Daniel Schmidt.

Le chat qui pense a toujours la touche délicate pour le dépeindre : le film balaye sa vie et son œuvre chronologiquement et intimement, du dehors et du dedans, en faisant alterner extraits de films et interviews. Pas de portrait flatté, pas d’impasse sur les ombres comme dans tout vrai portrait amoureux : sont évoqués l’humeur tempétueuse parfois, l’addiction à l’herbe pour affronter le réel, le cancer de la gorge qui frappa ce grand bavard et bel orateur. La complicité créatrice du cinéaste et de son cameraman, Roberto Berta, éclate dans les plans et séquences éblouissants que nous entrevoyons de La Paloma, par exemple. Ingrid Caven y est rayonnante, comme elle le fut dans le spectacle en solo que Fassbinder et Schmidt montèrent pour elle au Pigall’s de Montmartre en 1978, spectacle de glamour cru, dans les miroirs et la poussière d’un ancien cabaret de strip-tease, qui mit en transe le tout-Paris !

S’esquisse petit à petit, dans Le chat qui pense, un portrait de cinéaste en marge des courants engagés de son temps, choisissant l’intime pour parler du collectif, le va et vient parfois entre la beauté classique et le sourire tendre du kitsch, la stylisation théâtrale des passions, le lien constant entre l’individu et le paysage qui l’entoure, l’explique et le colore. Schmidt fut toujours un artiste libre, comme ses amis Fassbinder et Schroeter, pensant que, quoi que l’on filme, c’est toujours de soi que l’on parle, que l’on n’atteint profondément les spectateurs qu’en approfondissant le moi. En témoigne par exemple son voyage au Japon, où son art est tenu en très haute estime, et qui devient, dans Visage écrit, un voyage onirique, raffiné, poignant, où, dans une séquence inoubliable, par l’insolite grâce d’un « onnagata », danseur homme de kabuki, en lourd chapeau de femme 1900, le bas du corps dans les eaux d’un fleuve ou d’un estuaire, sur fond bleu du soir criblé des lumières de Tokyo, on atteint, pour le public du monde entier, par les « correspondances » de la musique de Liszt, de la chorégraphie et du cadrage du personnage presque fondu en ombre chinoise dans le bleu qui l’entoure, une épure lente et sublime de sensuelle mélancolie !

Ce que le film de Hoffmann et Jaberg parvient aussi à cerner, c’est le déclic premier, la clef de voûte de l’univers original de Daniel Schmidt : il eut une enfance d’éblouissements, dans un hôtel de luxe, au grand air des Grisons, luxueusement fréquenté, tenu par de fortes femmes, sa mère et sa grand-mère, qui surent trouver l’art d’accueillir la fine fleur de leur clientèle, enfance qui lui laissa toute une mythologie intérieure comme le Combray et le Balbec de Proust. Beaucoup de ses films sont d’ailleurs tournés dans ce paysage premier, en particulier Hors-saison qui est comme la résurrection onirique, pétrie de vérité et de fiction savamment amalgamées, de cette enfance. L’enfant et l’artiste ensuite ne cessent de convoquer des fantômes de cet hôtel de lanterne magique, et tout particulièrement les clientes fascinantes d’élégance, de mystère et de sensualité mêlés qui deviendront, dans les films de Schmid, les rôles incarnés par Bulle Ogier, Ingrid Caven, Lucia Bosé, Lauren Hutton, Arielle Dombasle, Andréa Ferréol… Pas de mièvrerie nostalgique chez lui, mais l’avènement poétique d’un temps constitutif du moi et retrouvé grâce à l’art. Schmidt lui-même, dans l’interview des « extras » du DVD, souligne cette obsession de l’artiste selon lui : protéger jusqu’à la mort les éblouissements vitaux de l’enfance. À un certain moment, sa vraie vie est devenue le cinéma.

Mais sans jamais oublier l’amour. Est évoqué en filigrane, dans le film comme dans les interviews des extras, le rôle de l’amour vrai dans la vie de Schmidt. Dans ce domaine aussi, le cinéaste va droit au but : à son interlocuteur qui lui demande si la vie l’a aimé, il répond, en substance, que oui, puisque, né dans un monde protestant où l’on n’avait le droit ni de se toucher ni de pleurer, il a pu, grâce à deux hommes, – dont le second l’a accompagné jusqu’au bout – vivre les deux.

ENCORE UN TOUR DE PEDALOS

ENCORE UN TOUR DE PÉDALOS ( Je hais les gais )

Spectacle total et autodérision décapante !

Il ne manque pas d’air, Alain Marcel, de nous concocter Encore un tour de pédalos… et n’oublions surtout pas le sous-titre étrange et provocateur (Je hais les gais), plus de trente ans après Essayez donc nos pédalos : on pourrait croire qu’il y avait moins à dire sur le sujet et que les avancées du mouvement LGBT avaient annulé la charge téméraire et libératrice du spectacle de 1979. Surtout pas ! Alain Marcel sait que rien n’est définitivement gagné pour le droit d’aimer qui l’on aime, quand on aime à contre-courant de la plupart des autres, et que certaines avancées dans ce domaine, très localisées sur le globe terrestre, n’empêchent pas de mettre en garde, de rester vigilant, d’asseoir encore et toujours notre différence, notre identité, notre diversité… tout en sachant vitupérer les gais quand ils se croient aveuglément les reines ou les rois. Sans rien renier des acquis des trente dernières années, Alain Marcel fait un portrait au tendre vitriol, loin des modes, des revues branchées, des communautés métropolitaines ! Il lui fallait une nouvelle fois faire une déclaration d’amour et de satire vache aux pédalos de 2011 : qui aime bien châtie bien, selon l’adage antique, et la force d’Alain Marcel, c’est d’en faire un spectacle total, pour les yeux, les oreilles, les méninges et le cœur, un beau spectacle culotté, émouvant, hilarant, grinçant et décapant à la fois !

Car il en faut de l’audace et de l’invention pour nous embarquer dans ce spectacle à cinq garçons en scène, quatre acteurs-chanteurs-danseurs et un pianiste, côté jardin, vêtu de noir à son piano noir, spectacle sobre pour les moyens mis en œuvre, mais rehaussé par les éclairages, ciselé par les textes des répliques et des chansons – petit aparté : ErosOnyx Éditions ne seraient pas peu fières de les publier – , époustouflant de légèreté par les métamorphoses des acteurs toujours en scène, leurs talents pour dire, chanter et danser le spectacle. Épure et variété, rencontre réussie de deux esthétiques complémentaires.

Autre paradoxe constant et réussi, même si le public doit accepter de se sentir pris dans le curieux malaise de l’alternance entre charme et baffes en pleine gueule – le pari était loin d’être gagné d’avance – : Encore un tour de pédalos nous tourneboule de tendresses en vacheries, dans un enchaînement non-stop d’une heure trente où le brio du spectacle ne court-circuite jamais le doux-amer des messages.
Tendresse véritable par exemple pour le parcours du combattant des sodomites, bougres, invertis, tantes, folles, pédalos, pédés, homosexuels, avant de pouvoir tout simplement devenir homos dans les années 1970, bien avant qu’on nous gratifie de l’ambigu vocable anglofrancosaxon de gais. Le spectacle évoque sobrement, douloureusement, les martyrs du triangle rose chez les nazis et dans tous les pays conquis par les nazis, mais aussi les martyrs d’aujourd’hui, ceux de l’homophobie ordinaire et extraordinaire autour de nous, ceux de tous les fanatismes politiques et religieux qui sèment encore la terreur sur Terre : la pendaison en Iran est le pic non immergé et notoire d’un iceberg de barbarie qui nous glace toujours le sang en 2011. Iceberg dont fait partie la mise à l’index judaïque, islamique et catholique du préservatif et de ce que les religions, quand elles se fondent sur leurs dogmes et leurs saintes Écritures, nomment « culture de mort ». Oui, Alain Marcel a raison de rappeler qu’à tous ceux qui crient haineusement « Habemus Papam », il faut opposer la parole de plaisir et d’amour « Habemus corpus ».

Tendresse aussi, toute de dentelle, pour le placard où il nous a fallu passer, entre les robes ou les fourrures de maman, selon notre classe sociale : dans un ensemble de chansons savantes et prenantes, nous tenons ici à rendre un hommage tout particulier à la «petite souris de penderie, petit rat de placard », texte touchant et mélodie exquise de poésie rose et grise.
Le piano, délicatement parfois, violemment d’autres fois, souligne la gamme multiple de couleurs qui parcourent le spectacle.

Mais la tendresse, comme l’annonce le sous-titre, n’exclut surtout pas la franchise ! Les gais, trente ans après Essayez donc nos pédalos ! peuvent aussi être haïssables et, pour reprendre les termes d’Alain Marcel dans le numéro 162 de Têtu, son nouveau spectacle ne se veut surtout pas simple reflet de notre temps, mais spectacle « politiquement incorrect », créé pour l’amour des pédalos irrécupérables par quelque conformisme que ce soit justement !

Le spectacle ne donne jamais dans la bluette ou l’idéalisation : il n’épargne pas, entre autres, la jungle de la drague gaie, cet amour-propre qui hante les lieux noirs plus souvent que le besoin d’amour… Ni les marottes des folles chics et hyper droitières qui veulent que tout rapporte, les garçonnières comme les bergères Louis XV, qui vont jusqu’à s’offrir les doux services licencieux d’un livreur, en le payant avec des tickets de stationnement et se gargarisant, après son départ, de la joie fielleuse qu’il ne pourra jamais « se payer une voiture »… Le rire devient jaune devant les Marie-Antoinette de la gaytude ! Mêmes sarcasmes devant les gloussements des tantes incurables qui voient du gay partout, chez tous les présidents surtout, foi de folles hystériques…. Alain Marcel va même plus loin dans le regard porté sur les revendications de certains gais d’aujourd’hui : n’y aurait-il pas un soupçon de haine de soi rampante dans le caprice d’avoir tout comme un couple normal ? La charge est amère contre le « Marais-cage », où le dernier cri est d’avoir un bébé pour snober les pauvres ploucs qui ne sont que pédés !!!

On l’aura compris : Alain Marcel ne cherche pas à ne se faire que des amis dans le milieu gai, il monte un spectacle de poète bien décidé, comme il y a trente ans, à ne rien perdre de la saveur soigneusement observée par lui des pédalos d’aujourd’hui. Comme si être homo, c’était naturellement savoir rire de soi ? Ni folle, ni Pierrot, un esprit mêlé d’émotion et de dérision, servi ici par un talent très personnel d’artiste. Les quatre « personnages multiples » sont stupéfiants. Physiquement. Vocalement. Gymnastiquement. Chorégraphiquement. Avec ce mélange de naturel et de charme sexy selon les variations des habillages, déshabillages, et éclairages. Ils viennent d’horizons géographiques divers, ce qui donne de l’empan à la modernité du spectacle : deux blancs, un beur, un noir, trois couleurs de peau qui vont bien ensemble et cassent les frontières physiques et morales. Hymne aux homos qui passent allègrement les barrières religieuses, ethniques, sociales et psychologiques : le spectacle, on l’a compris, ne s’arrête jamais à la seule dérision, il est tout entier fait d’ouverture. Dés ses premières minutes, on nous fait passer de la haine de soi à l’amour de soi, comme si la vérité était toujours dans l’oscillation de l’émotion et de l’ironie, du chaud et du froid. L’éventail des possibilités vocales de ces quatre garçons en est aussi l’expression : ils peuvent aller des piaillements suraigus du caca de fiotes perdues au velours baryton des cuirs mâles et à la schlague virilo-tranchante des homophobes de tout poil.

Ce spectacle est un alcool qu’on peut savourer ou ne pas pouvoir avaler : c’est sa force, comme est inouïe l’énergie des acteurs et du pianiste. Comment peut-on garder le souffle ou la main, à ainsi jouer, parler, chanter, danser, changer en quelques secondes de look, de voix, de peau… ? Alcool fort et mécanisme de parfaite précision.
(Je hais les gais). Comme Genet fait dire à ses personnages : « Je te hais d’amour ». Sans doute Alain Marcel ne peut-il dire son amour que comme ça, rose et noir, caresse et trique, et toujours poésie à l’esprit vif. Bravo, les pédalos !

Avec un peu de retard… le dvd de LA JOURNEE DE LA JUPE

Le temps était venu pour que, bien loin d’Entre les murs, un metteur en scène courageux et une actrice qui n’a pas oublié le rôle qu’a tenu l’école dans sa vie, portent un film comme celui-là : lucide et lyrique à la fois.

Une réussite cinématographique et un moyen de prendre conscience qu’il y a encore des résistants dans l’École de la République. Bravo à tous ceux qui ont soutenu ce film et à Adjani, pas seulement star, mais toujours femme de feu qui sait prendre des risques

Réédition Nouvelle maison d’édition

Un nouvel éditeur Jacques Flament publie une réédition de Escal-Vigor de George Eekhoud avec une postface de Mirande Lucien, membre d’honneur de l’association Nix et Nox, auteure de la présentation et de l’établissement du texte de Nos secrètes amours de Lucie Delarue-Mardrus chez ErosOnyx Éditions, en 2008. .

Ce livre paraît dans la collection « Résurgences » des Éditions Jacques Flament, nouvelle maison qui se présente ainsi sur son site :

http://www.jacquesflament-editions.com/presentation.html :

« Cette nouvelle maison d’édition farouchement indépendante, artisanale, hors des circuits industriels traditionnels du livre, loin géographiquement du sérail éditorial parisien, dont la finalité est la réédition d’ouvrages rares et la mise à jour de voix nouvelles originales. »

Nous saluons la venue d’une maison d’édition sœur d’ErosOnyx qui elle, aussi, cherche à rééditer des ouvrages de qualité rares ou difficiles à trouver voire introuvables, à publier des voix nouvelles, quelles qu’elles soient, françaises ou étrangères, loin des préjugés et des modes, dans la ligne qui est la sienne.

LE CONDAMNE A MORT de Jean Genet, dit et chanté par Jeanne Moreau et Etienne Daho

Le condamné à mort n’en finit pas de vivre et d’inspirer. Cent ans exactement après la naissance de Genet, voici un bel hommage à celui qui reste fascinant et maudit. Sur le canevas musical, désormais classique à notre oreille, d’Hélène Martin, inoubliable depuis 1962 par sa pureté et sa sensibilité amoureuse au poème de Genet, les voix de Jeanne Moreau et d’Etienne Daho, après Marc Ogeret en 1984, viennent aujourd’hui offrir un nouvel éclat à la toujours hallucinante et bandante perle baroque de ces vers.

Au départ, Le condamné à mort est un long poème d’amour impossible et radieux, onirique et charnel, entre deux parias, deux âmes frères dans la crapulerie, l’amour des mâles, la pureté des anges du péché, de la prison et du crime. Une longue érection lyrique de quatrains d’alexandrins, parfois débordés par un vers de six pieds.

Le poème fut écrit en prison à Fresnes en 1942 par un détenu pour vols de livres à répétition, Jean Genet, et dédié à la mémoire de Maurice Pilorge, condamné à mort pour le meurtre de son amant, et exécuté le 17 mars 1939 à Saint-Brieuc : c’est une magistrale et inouïe entrée en écriture.

Tout laisse à penser que les deux hommes ne se sont jamais vus. Une seule photo de « l’assassin de vingt ans » a pu déclencher la transe de désir et d’admiration, le rêve de fusion des corps et des âmes, l’effusion de ce « chant d’amour » d’un voyou pour un autre voyou passé à l’acte du crime, comme liés tous deux par le sang de la décapitation, cet amour qui fait de Pilorge un « archange » … « digne, par la double et unique splendeur de son âme et de son corps, d’avoir le bénéfice d’une telle mort. », pour reprendre la dédicace de fin du poème de Genet.

Le condamné à mort est une longue éjaculation de vers, d’illuminations éclaboussées :
cercle des anges autour de l’ange victime, cercle des « matelots musclés » préparant leur chibre « qui meurt d’enculer la plus tendre et douce des fripouilles », chant de tous les éléments de la création, minéraux et végétaux, autour du corps magnifié de l’amant christique et bien monté, « couronné de lilas… et d’épines du rosier », tirant de son « froc réséda » « ces lourdes fleurs dont l’odeur me foudroie ». Le monde entier bande pour le Jésus du crime. Les mots crus sont pris comme mica luisant dans le granit des vers. La majesté des alexandrins et des visions cosmiques, marines, stellaires, rehaussent l’obscénité devenue bijou sur les griffes des vers mélodieux et incantatoires comme une prière. Le sexe sublimé par son impossible réalisation prend le goût de l’infini.

« Mon Dieu je vais claquer sans te pouvoir presser

Dans ma vie une fois sur mon cœur et ma pine ! »

Rebelle tendre et mystique, au delà de tous les interdits : au bout du sexe il y a Dieu et Dieu dort dans les « lourdes braguettes ». Chez Genet, on se fait l’amour jusqu’à « enculer les âmes » et « emmancher les cœurs ».

La mise en musique et chant par Moreau et Daho, sur la partition d’Hélène Martin, est un écrin d’amour pour ce joyau de marlou iconoclaste et sacré en même temps. La musique ne tue jamais les mots. Les arrangements musicaux soulignent les roulements de tambour de l’exécution et les battements de cœur en crescendos de cordes pincées. La voix de Daho est devenue grave, avec ce rien de gouaille qui la rend chaude. La voix de Moreau nous fait retrouver celle de la Lysiane du bordel de marins qu’elle interprétait déjà, dans le Querelle de Fassbinder, en 1982. Elle prend les mots de Genet dans ses buissons de ronce, sans rien perdre du marbre solennel de sa diction. Leur condamné à mort est, sur les pas de velours et de braise de celui de Genet, gorgé du sang d’amour et de mort d’un cou d’ange tranché, beau et poignant « à faire pâlir le jour ».

François Gaspar

L’ARBRE ET LA FORÊT, Ducastel et Martineau, 2010 : à voir

Ducastel et Martineau ont le courage de regarder les gouffres en face et d’en faire un film pudique, sobre, tout de retenue, pour mieux permettre de dominer les gouffres, comme, dans le film, la contemplation quotidienne d’un bel arbre a permis à un homosexuel du camp de concentration du Struthof, en Alsace, d’échapper à la mort, jour après jour, de continuer à supporter de vivre face à l’horreur et puis, un jour, de retrouver le goût de vivre.

Il faut saluer le courage de ce couple cinéaste, Harmodios et Aristogiton de la pellicule, d’avoir résolu de continuer à faire entrer à leur façon le grand public dans la découverte de ce qu’encore aujourd’hui tant de gens refusent de croire : oui, on a arrêté et tué des homosexuels, pour la seule raison qu’ils étaient homosexuels, tué à petit feu ou dans la plus exorbitante des cruautés, en Allemagne d’abord et puis en France, quand les nazis y ont pris le pouvoir de 1940 à 1944. Au départ, Ducastel et Martineau ont lu le bouleversant témoignage recueilli par Jean Le Bitoux : Moi Pierre Seel, déporté homosexuel, paru chez Calmann-Lévy en 1994. Avant eux, Martin Sherman en 1979 avait créé sur le sujet une pièce intitulée Bent, avec Richard Gere, rôle repris par Bruno Cremer à Paris en 1982 et portée à l’écran par Sean Mathias en 1995 (disponible en DVD). Ensuite, Christian Faure en avait tiré un film, diffusé sur France 2 en 2004, avec pour titre Un amour à taire, une réussite. Ducastel et Martineau décident aujourd’hui de reprendre le sujet à leur manière, en imaginant une autre moyen de survivre pour un Pierre Seel qui deviendrait sylviculteur, marié, père de famille, poignant et déchiré jusqu’à son dernier souffle sans doute, mais vivant.

Il faut le préciser tout de suite : le personnage central du film est interprété par Guy Marchand, remarquable, sensible et écorché, comme le connaissent déjà ceux qui l’ont vraiment regardé et écouté, un Guy Marchand aux antipodes de son rôle dans le Loulou de Maurice Pialat où la douleur de son couple raté lui faisait traiter le Marais de « quartier de pédés », un Guy Marchand jouant un homme apparemment gâté par la vie mais qui ne peut supporter aucune forme de mensonge, aucune trace d’hypocrisie. Et c’est sur un mystère que le film commence : un père n’a pas voulu se rendre aux obsèques de son fils. Dans le climat lourd après l’enterrement, dans la belle demeure, il y a ce secret de famille, ce cadavre dans le placard qui pèse. Il y a ceux qui comprennent, ceux qui refusent de comprendre et ceux qui essaient de chercher à quoi peut bien tenir cette apparente monstruosité. Lentement, subtilement, élégamment, Ducastel et Martineau lèvent le voile sur ce secret : c’est la monstruosité bien réelle de l’Histoire qui explique l’apparente monstruosité de cet homme. Sa vie, il la doit à sa force de vieux chêne face à la tempête et à la compréhension de quelques êtres vrais, sensibles, autour de lui. L’arbre cache une forêt de gouffres que le personnage central ne peut encore supporter qu’en écoutant en sauvage, à tue-tête, Wagner, sa puissance, sa violence musicale : elle lui permet l’ascension, l’échappée aux précipices, parce que l’Allemagne, c’est aussi ce souffle de vie, ce romantisme au delà de l’obsession des noires forêts et des charniers. Françoise Fabian et Catherine Mouchet, respectivement épouse et belle-fille du sombre héros central, ont l’une l’amour grave et l’autre le détachement tendre qu’il faut pour comprendre et aimer toujours.

Pudeur de la compassion au-dessus des gouffres, c’est la qualité de ce film et le choix très maîtrisé de ses metteurs en scène. L’horreur n’est pas montrée comme dans Un amour à taire, cité plus haut. Le Struthof n’est vu que de l’extérieur, plus d’un demi-siècle plus tard, sans « flash back ». On pourrait qualifier cette approche de bourgeoise, de trop éthérée, de sublimée. Mais il y a plusieurs manières d’être devant le choc atroce de l’Histoire, de le regarder en face, de le dire, de le filmer. Ducastel et Martineau ne sont sans doute pas, selon le mot de l’éditeur Carlotta, « enfants de Salo » comme le fut Pasolini dans son dernier film. Mais ils sont bien enfants de l’horreur et osent à leur façon la dire, la dominer, la faire connaître, pour que jamais elle ne revienne. Les cinéphiles choisiront, mais ce qui est beau chaque fois, c’est l’ardeur de ne pas éluder, le besoin d’exorciser.

ANDER, un film à voir

Ils ne sont pas si fréquents les films qui font éclore le miracle de la rose rouge au cœur de la vie quotidienne la plus scrupuleusement dépeinte d’un milieu géographique et social d’aujourd’hui. L’avènement d’un bel amour entre hommes dans la rudesse de la montagne basque, cet audacieux mariage du réalisme paysan et du conte, c’est la grande réussite de ce premier film remarquable du jeune espagnol Roberto Caston, qui nous arrive en France début 2010, après avoir reçu deux prix bien mérités : celui des Cinémas Art et Essai européens au Festival de Berlin 2009 et celui de la Violette d’Or – oui, cela existe ! – du Festival Cinespaña de la même année.

Tout commence dans le réel le plus brut, dans un silence sans musique que le film conservera jusqu’au bout, puisque la seule vraie musique du film sera celle des cœurs et des corps accordés. Ander, la jeune quarantaine, mène une vie réglée de mâle comme les autres, dans une ferme du pays basque : double travail rude aux champs et à la ville, père mort depuis longtemps, mère vigilante mais despotique, coutumes ancestrales sur les épaules, rares échappées de plaisir pour se vider les bourses avec une étonnante prostituée, Reme, au corps généreux et au cœur immense, mère d’un enfant mélancolique dont elle attend en vain le retour du père…

Or, quelque chose vient briser cette vie figée depuis la nuit des temps : Ander se casse une jambe… et toute sa vie en sera fracturée ! Il engage un ouvrier agricole péruvien, modeste et silencieux lui aussi, mais mystérieusement seul et beau. Rencontre. Le mariage de la jeune sœur d’Ander qui va donc aussi quitter la ferme, puis la mort de la mère quelque temps après, laissent le champ libre à la montée progressive du désir le plus enfoui, le plus tabou. La transgression, évidemment, ne pourra se faire que petit à petit, dans un chassé-croisé de tendresse et de violence et dans la conquête douloureuse de la différence face à la loi des autres. Mais Ander a eu sa double visitation libératrice : celle de José, l’ange brun à la peau mate et satinée, et celle de Reme qui offrira aux deux amants sa chaude complicité de Marie-Madeleine, puisqu’elle sait toute la laideur du monde et comprend les rares et vrais appels d’amour.

Tout est fruste dans ce film, décors et personnages, rares paroles et gestes brutaux, mais, paradoxalement, un vrai cœur rouge bat dans cette brutalité. C’est de ce monde taiseux et animal que va fleurir la beauté tendre et romantique de la dernière scène : la pluie dehors, une lampe qui s’éteint dans une ferme où l’amour d’une putain et mère au grand cœur a trouvé refuge et où l’amour interdit a désormais le droit de faire son lit !

Françoise Hardy-LA PLUIE SANS PARAPLUIE

Cœur battant, œil perçant de part en part comme la voix, voix frêle et pas si frêle qu’on le dit souvent, farouchement vive, beau brin de midinette encore et toujours farouchement adolescente, capable d’être, dans les paroles comme dans les mélodies, plaie vive et couteau tranchant.

Depuis ses premiers disques, depuis, par exemple, Dans le monde entier à la mélodie si suavement et sensiblement susurrée, en 1965, en français, en anglais, en allemand, en passant par un album de cordes écorchées comme La question en 1971, par le long et languide lamento de paillettes éparpillées dans le blues de la nuit qu’est la chanson Star de 1979, par un blues comme Partir quand même, en 1987, avec ses longs couteaux qui vibrent et ses mots d’alcool et de mercurochrome sue la plaie incurable, et surtout depuis l’étonnant album Le danger, en 1995, jusqu’à ce nouveau titre aujourd’hui, en rimes d’élégie et de comptine, La pluie sans parapluie, du Clair obscur aux sources vives de Tant de belles choses qui la font tenir debout, croire en un au-delà et avoir le goût de vivre, de chansons d’effroi comme Dix heures du soir en été jusqu’aux duos sentimentaux de son album Parenthèses, il y a quelque chose de douloureusement élégant, de tragiquement chaud, de toujours poignant sans mièvrerie dans les chansons de Françoise Hardy. Fièrement grave, jamais larmoyante. On ne se lasse pas de l’avancée lilas de sa voix, tour à tour ardente et fragile, dans les orages électriques ou les nappes de cordes brumeuses de la musique qui porte et enveloppe la voix sans l’étouffer. La pluie sans parapluie est un chant d’ondine sous l’averse, chant paradoxal, altier et tendre, qui attend toujours secrètement son beau chevalier Hans, entre les cordes du cœur éclaté et le fondu enchaîné rouge et noir de l’autre côté du ciel.

La mélancolie, toujours là comme marque de fabrique, jamais comme un artifice, une pose, mais comme le prix qu’il a fallu payer depuis longtemps pour la pureté et l’innocence meurtries. Françoise Hardy, battue des vents et des orages, mais droite et toujours élégante, sensiblement sobre sous les gouttes de musique et de pluie, avec ses paroles ciselées, un peu d’air et de brume teinté d’elle, et parfois, si puissant d’être rare, comme un cri.

Écoutez-la, toujours nouvelle et toujours elle, Françoise Hardy. Écoutez, dans Noir sur blanc, sa voix fuser
Si à mon cou vous veniez
vous pendre
Haut et court

puis se faire à nouveau doucement câline
Sachez que tout
Ne tient qu’à vous
Viendrez-vous ?

sans oublier, dans le même album, la version gothique de cet appel, Memory divine, une chanson écrite en anglais et composée par Jean-Louis Murat pour la Dame au blanc visage, qui dit, entre autres beaux mystères
I need to lick a late late late passion
et qu’on pourrait peut-être oser traduire par
Il faudrait à ma langue une ultime passion

Pierre Lacroix

Habemus corpus

Au cri «Habemus Papam» nous répondons «Habemus corpus» !

L’échange de baisers du kiss-in du dimanche 14 février 2010, à la Fontaine St-Michel à Paris, prolongé sur le parvis de Notre-Dame où il était initialement prévu, n’était-il pas une manifestation d’amour et de paix ? Dans la pure tradition chrétienne du « Aimez-vous les uns les autres ».

Au cri des catholiques intégristes lançant leur «Habemus papam» pour condamner avec haine cette manifestation pacifique, EroxOnyx Éditions, son équipe et ses auteurs opposent un autre cri «Habemus corpus» !

Les gays et les lesbiennes aussi savent le latin, et pas du latin d’Église. Et en plus « Habemus corpus », ça rime !