Au BRADY, le 7ème genre présente :

Le 27 février La Reine Christine de Rouben Mamoulian

Le 20 mars Nettoyage à sec d’Anne Fontaine

Le 24 avril Go fish de Rose Troche

Le 22 mai Vivre me tue de Jean-Pierre Sinapî

Le 19 juin Zero Patience de John Greyson à l’occasion de la sortie du livre de Didier Roth-Bettoni autour de ce film.

http://le7egenre.fr/

Dans feu YAGG ce mot d’Éric Garnier sur IMRE

Edward Prime-Stevenson // IMRE (POUR MÉMOIRE) / EO Éditions / 129P. 17 E.

Dire qu’il aura fallu attendre 110 ans pour que ce court roman, magnifiquement traduit par Yvan Quintin, nous parvienne enfin ! Avec une présentation de Jean-Claude Féray et l’avant-propos de James Gifford, auteur de l’édition nord-américaine.

Deux hommes de classe aisée se rencontrent à Budapest, dont est originaire le plus jeune des deux, Imre. Oswald, anglais trentenaire, le premier, est subjugué par ce jeune homme tout en retenue. L’attirance sera-t-elle réciproque ?

Au-delà des masques que tout « inverti » d’alors (le terme homosexuel est à peine né) devait porter, le roman offre une magnifique analyse des sentiments qui peuvent rapprocher deux hommes. À tel point qu’on pourrait croire qu’ Imre est un manuscrit gay que le grand Zweig n’aurait pas osé ébruiter…

Écrit et publié confidentiellement en 1906, quelques années avant Maurice de Forster, ce roman de la recherche tendue et passionnée du bonheur, a beaucoup à nous dire , encore de nos jours. Son intemporalité élégante et profonde est un bonheur sans prix !
EG

Mathieu Lindon a lu « IMRE, pour mémoire »

Lire en ligne
http://next.liberation.fr/livres/2016/12/09/1906-gay-happy-end-a-budapest_1534269

1906, GAY HAPPY END À BUDAPEST
Par Mathieu Lindon
— 9 décembre 2016 à 18:36

Outre ses qualités propres, Imre, sous-titré Pour mémoire, est un document dans l’histoire littéraire de l’homosexualité. Paru en 1906, il est le premier roman américain mettant en scène une histoire d’amour entre hommes avec happy end. Son auteur est (sous le nom de Xavier Mayne) Edward Irenæus Prime-Stevenson, né en 1858 et mort en 1942, type même du «gentleman homosexuel de la Belle Epoque», écrit Jean-Claude Féray dans sa présentation qui précise que cet héritier voyageur «fut un observateur privilégié de la prostitution masculine en Europe». Dans sa notice du Who’s Who de 1913, Prime-Stevenson se dit aussi l’auteur sous pseudonyme «de plusieurs études importantes concernant une branche spéciale de la psychiatrie sexuelle».

Sa grande œuvre sur ce point, The Intersexes, fut dédiée à Richard von Krafft-Ebing avec qui il en avait discuté. Dans son avant-propos, James J. Gifford écrit pour sa part que «Imre est bien « un mémorandum », un rapport pour mémoire, un document qui résume les termes d’un contrat ou d’une transaction – ici, les discussions de paix avec soi-même et d’épanouissement entre deux êtres qui ont été isolés par leur « différence »». Comme l’intrigue présente un Anglais voyageant à Budapest et y rencontrant un militaire indigène, Jean-Claude Féray cite aussi la phrase finale d’un paragraphe de The Intersexes sur «le caractère éminemment sensuel de la musique magyare» – dans Imre, la musique apparaît un moment «comme l’art suprêmement névrosé, typiquement sexuel, pernicieusement homosexuel» : «Et le Magyar est un type racial distinctement sexuel.»

L’humour n’est pas la caractéristique du texte mais une discussion entre le narrateur et Imre en arrive à cette phrase concernant une position philosophique et qui pourrait s’appliquer à bien d’autres : «Essayez et vous aimerez ça, comme dirent un jour des cannibales à un prêtre forcé de les regarder manger son évêque.» Le texte s’emploie à décrire les masques que doit se fabriquer en société l’homme qui aime les hommes. Imre dit à quelle réserve il s’oblige dans sa correspondance : «Quant aux sentiments – des sentiments ! dans des lettres à mes amis ! -, eh bien je ne peux tout simplement pas placer ça là-dedans ni en exprimer.» Le récit est cependant un texte de l’aveu : aucun des deux personnages n’ose d’abord exprimer ses goûts et sentiments à l’autre de crainte de le perdre, comme ça leur est déjà arrivé. «Le Masque – l’éternel Masque social pour les homosexuels – ce Masque que l’on porte devant ceux qui nous sont les plus proches et les plus chers, sans quoi nous sommes perdus et rejetés !»

L’intrigue consiste à amener les protagonistes à se raconter. Les trois chapitres sont titrés «Masques», «Masques et un visage», «Visages-cœurs-âmes». Il y a quelque chose d’une malédiction dans «cet émoi sexuel détesté» mais les personnages vont finir par joyeusement faire avec, encore que Imre, comme le signale James J. Gifford, soit «un récit presque exclusivement intellectuel». Ce n’est pas dans ce texte que Edward Prime-Stevenson déploie sa connaissance pratique de la prostitution masculine européenne.

Décrivant ses goûts et comment il en est venu à les accepter, le narrateur décrit surtout comment son époque les rejette. L’amour physique entre hommes ? «C’était alors plus que jamais une horreur sans nom – une atteinte à la civilisation, à la santé mentale, au sexe, à la Nature, à Dieu !» Plus loin : «Je pris conscience que j’avais toujours appartenu à cette fraternité secrète, à ce sous-sexe, ou super-sexe.» Imre, lui, en appelle pour se mettre à nu à la féminité d’une façon qui ne fait pas l’affaire aujourd’hui (et se fait reprendre par le narrateur) : «Je suis plus féminin dans mes réactions – de plus faible étoffe. Je le ressens avec une certaine honte. Vous savez comment une femme dit « non » quand elle veut dire « oui ».» Mais c’est le narrateur qui évoque la terreur et la honte que suscitent en lui ces homosexuels qui n’ont pas la masculinité nécessaire, qui ne portent pas le masque : «Ah, ces êtres ouvertement dépravés, nocifs, sans vigueur, grossiers, efféminés, pervers et déficients dans leur nature morale, jusque dans les tissus mêmes de leurs corps !» On voit comme c’est toujours compliqué de mettre la main sur une sorte de militantisme que le temps n’invalide pas. Le texte prend cet élément en compte.
«En matière de savoir, comme dans beaucoup d’autres domaines, le monde commence à évoluer (devrait-on dire revient en arrière ? ) vers l’intelligence, la justice, l’ouverture des cœurs, mais avec tant de zigzags, tellement à contrecœur ! Ce n’est pas encore l’air du temps !»

Mathieu Lindon

AU BRADY, LE 12 DÉCEMBRE, GARÇON D’HONNEUR, DANS LE CADRE DU 7ème GENRE

GARÇON D’HONNEUR

Célèbre pour ses succès hollywoodiens comme Tigre et Dragon ou Le Secret de Brokeback Mountain, Ang Lee est moins connu pour ses films taïwanais tournés avant son installation aux États-Unis. Pushing Hands, Garçon d’honneur et Salé Sucré constituent une sorte de « trilogie officieuse » autour du déracinement, une thématique parmi beaucoup d’autres dans cette comédie profondément humaniste.

Un projet que le réalisateur mettra plus de cinq ans à réaliser en raison de la frilosité des producteurs à investir dans un film qui aborde l’homosexualité. Garçon d’honneur sera pourtant le plus gros succès du box-office taiwanais et le fer de lance d’une série de films LGBT produits en Asie dans les années 90. Le film a obtenu l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1993.

Notre invité : Bastian Meiresonne, réalisateur et critique de cinéma, directeur artistique adjoint du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul (FICA).


Entrée : 8.50€ >> 6.50€ en réservant dès maintenant sur http://www.lebrady.fr/pl/lbdjyhsac

Carte Brady : 6€ (5 places valables 6 mois, carte utilisable pour 1 ou 2 personnes à une même séance. Réservation en ligne des places sans frais)

Adhérents 7e Genre: 5€ (réservation avec code promo internet adhérent et sur présentation de la carte sur place)

Cartes UGC Illimité et Le Pass acceptées (ouverture des ventes 1h avant la séance sous réserve des places encore disponibles)


Le 7e genre
Le ciné-club qui défie les normes

Retrouvez nous sur:
www.le7egenre.fr

Centre Simone de Beauvoir : Delphine SEYRIG et Ulrike OTTINGER

Jeudi 1er décembre 2016 à 18h
au Forum des images (Paris)
Salle 50

Ulrike Ottinger est cinéaste, peintre, photographe, metteuse en scène, figure de la scène underground berlinoise et du nouveau cinéma allemand.

Née en 1942, Ulrike Ottinger débute comme peintre à Paris avant de retourner l’Allemagne, où elle tourne son premier film en 1972. Son œuvre, singulière et anticipatrice, donne à voir un univers queer dans lequel la fiction et le documentaire s’entremêlent dans un défi constant aux normes sexuelles et genrées. Son travail ne se limite pas à la réalisation : photographe, scénariste, productrice, opératrice, décoratrice, costumière, Ottinger prépare ses tournages en composant des storyboards qui sont des livres d’artiste. Les œuvres de Ulrike Ottinger ont été montrées notamment à la 3e biennale de Berlin (2004), à la Documenta 11 à Kassel (2002) et à la Biennale de Venise (1980). Des expositions personnelles et rétrospectives de ses films ont notamment eu lieu au Centre Pompidou à Paris (2010), au Musée Reina Sofia, Madrid (2004), et au MoMA de New-York (2000).

Lors de ce séminaire en forme d’entretien, Ulrike Ottinger reviendra sur sa collaboration avec Delphine Seyrig dans les années 1980, sur son travail avec les actrices, ses choix de décors, costumes, mascarades et scénarios, ainsi que sur la question de l’archive qui sont au cœur de son travail. Ulrike Ottinger a tourné plusieurs films avec Delphine Seyrig : Freak Orlando (1981), Dorian Gray im Spiegel der Boulevardpresse (1984) (photo ci-dessous), Johanna d’Arc of Mongolia (1990) et le court-métrage Superbia (1986).

Le séminaire « Exposer Delphine Seyrig ? »a lieu dans le cadre du projet de recherche et d’exposition éponyme à venir qui vise à repenser la personne et les œuvres de Delphine Seyrig (1932-1990) dans le présent. Actrice, réalisatrice, féministe et co-fondatrice du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, Seyrig est une figure singulière dont la trajectoire croise celle de l’histoire du cinéma, du théâtre, de la vidéo et du féminisme.

Ce projet du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir est organisé par Nataša Petrešin-Bachelez, Nicole Fernández Ferrer et Giovanna Zapperi avec le soutien de Travelling féministe, le Forum des Images et la Fondation de France.

Voir aussi l’article « Connaissez-vous Ulrike Ottinger ? » dans notre rubrique « coups de cœur ».

UN ANGE À SODOME de Claude Achille Clarac, alias Saint Ours

Michel Rachline (1933-2012), ami proche de Jacques Prévert, écrivain et critique littéraire (il a participé à des émissions littéraires comme « Radioscopie » de Jacques Chancel ou « Apostrophes » de Bernard Pivot) écrivait à propos Un Ange à Sodome, recueil de nouvelles de Saint Ours :
« Dans ce livre, Sodome représente l’homosexualité sublimée. Ici, l’ange, c’est l’homme […] Au matin, la Beauté danse ; à la fin, c’est elle qui rend à l’ange son visage d’homme, le seul visage qui ressemble à celui d’un dieu. Ce livre est inoubliable. »

Pourtant, et malheureusement, on a oublié Un ange à Sodome, publié en 1973 chez Guy Authier éditeur. Sera-t-il à nouveau publié avec l’autorisation de l’ayant-droit de Saint Ours, nom de plume de Claude Achille CLARAC (1903-1999) ? Le recueil comporte sept nouvelles, toutes passionnantes et superbement écrites. Ambassadeur de France au Moyen-Orient, au Maroc, en Asie, Claude Clarac a écrit et publié sous le pseudonyme Saint Ours ces nouvelles dont l’inspiration est entièrement homosexuelle. S’il dissimulait ainsi sa propre homosexualité, en raison de sa carrière de diplomate, le silence qui a suivi sa mort en 1999 n’a pas permis que lui soit attribué ce seul ouvrage littéraire dont il fut l’auteur. Roger Peyrefitte n’ignorait pas l’identité de Saint Ours, mais ne l’a jamais ouvertement révélée. Sans doute le mariage (blanc) de Clarac, en 1935 à Téhéran, avec Anne-Marie Schwarzenbach, riche héritière, voyageuse, lesbienne à la belle allure de garçon, a-t-il contribué à épaissir ce silence autour de l’auteur d’Un ange à Sodome. Ainsi à l’occasion d’une quinzaine récemment consacrée à Anne-Marie Schwarzenbach, organisée par le Centre culturel franco-allemand de Nantes, Claude Clarac fut-il associé à cette aventurière illustre dans une exposition sous l’intitulé « Achille Clarac et Anne-Marie Schwarzenbach, deux rebelles ». Une autre exposition lui fut consacrée à lui seul, mais exclusivement des « dessins et photographies de l’ambassadeur ». De son livre il n’était pas question.
Les sept nouvelles, Journal d’un Ange, L’enlèvement de Ganymède, Le château des sables (Oukhaidour), L’écurie des Centaures, Le juge et l’assassin (sans rapport aucun avec le film du même titre de Bertrand Tavernier, en 1976), Chronique d’une saison des pluies, Le Bout du Monde, ont chacune un cadre différent : la Sodome biblique où un ange à la beauté renversante est envoyé par Jéhovah, la Troade où vit le bel adolescent Ganymède, un désert oriental, le Siam, l’Anjou, Marrakech…

Si l’auteur fait des emprunts aux mythes bibliques ou grecs dans les deux premières nouvelles, il en réinvente totalement la trame romanesque. Ainsi l’ange qui, sous des traits humains, mais sans expérience des amours terrestres, fait étape à Sodome, succombe-t-il au charme du jeune page Youssef : « (…) nos doigts se touchèrent. Je fus soudain bouleversé. Le cœur que Dieu m’avait prêté se mit à battre follement, ma gorge s’étrangla d’une angoisse dont je ne comprenais pas la cause et une sournoise impatience se nicha en même temps au fond de mes entrailles. » (p. 32). À la cour d’amour qui, semblable aux banquets de la Grèce antique, se tient chez le prince, on devise de l’amour. La plume de l’auteur s’abandonne à des élans lyriques : « Trouverai-je des mots pour célébrer ce dont tu me combles, ô mon bien-aimé ? Je ne sais que me taire quand j’approche ma lèvre de la tienne, car seul importe alors le miel de ta salive et mes yeux s’éblouissent lorsque, plongeant dans les tiens, ils y voient monter la crue de ton désir. » (p. 44). L’ange saura « se désenchanter des cieux » pour accepter l’amour humain des garçons, quitte à se perdre dans le « péché ». On ne peut tout citer de ce texte admirable qui nous fait rencontrer des Sodomites heureux, hospitaliers envers les étrangers comme Tristan, un grand barbare blanc à la chevelure fauve, qui a fui son pays à cause de son amour des garçons, ou comme Alexandre qui préfère « le menton qui râpe et les cuisses velues » aux jeunes gens, aux adolescents, aux gamins dont « la raie du cul sent (encore) le lait ». Dans ces cours d’amour on parle même du prépuce qui « protège le bouton de rose, exquisément sensible, qui ne se découvre qu’à bon escient et symbolise ce qu’il y a de plus délicat dans l’émotion de l’amour. » (p. 42). Le juge et l’assassin rapporte une rencontre amoureuse plus sombre : une nuit, un juge aborde, sur le Champ-de-Mars, André qui sera son assassin. « En répondant à cet appel d’un monde trouble, écrit-il dans son journal, le « Cahier rouge » trouvé après sa mort, je m’avance vers un destin qui m’attire autant qu’il me trouble. » (p.127). Il y relate la première nuit passée avec lui : « Cette nuit-là fut en vérité mémorable. Le fut-elle aussi pour André ? Peut-être après tout. Il mettait à s’ouvrir une frénésie de violence qui n’était qu’un paroxysme de virilité. … Nu, traversant ma chambre avec la précise légèreté qui ne l’abandonnait jamais, il se serait fait hacher plutôt que d’avouer que le plaisir lui remuait déjà les entrailles […] » (p. 128). Quand, dans Chronique d’une saison des pluies, le narrateur délaisse Somnuk, l’adolescent qui s’occupe de ses plantes, il s’intéresse à Wangchaï. « Je pratiquais depuis longtemps Wangchai (…) Le besoin de volupté que j’étais sans doute le seul à lui donner le ramenait toujours chez moi. Cet homme si masculin, si admirablement musclé, si baiseur de filles éprouvait un plaisir délirant à me faire jouir en lui. » (p.147).

Dans une langue riche et toujours maîtrisée, Achille Clarac, alias Saint Ours, sait susciter l’attente et l’intérêt de son lecteur. Il raconte, par exemple, encore une rencontre dans Le Bout du monde, c’est-à-dire la drague d’Antoine, jeune étudiant, à Angers. « Je rêvais aux hasards qui nous avait échoués l’un contre l’autre […] Une aventure ? Il avait pourtant fallu un singulier concours de circonstances pour que je croise Antoine, et le conduise aux Ponts-de-Cé. J’effleurai ses cheveux et sa bouche si légèrement qu’il ne s’éveilla pas, mais puisqu’il fallait que cette minute s’écoulât, je posai ma main sur son sexe comme si j’avais voulu capturer un oiseau. La volupté qui le gonfla lentement dans ma paume dissipa peu à peu l’engourdissement de son sommeil […] je sus qu’il ne dormait plus. » (p.189). « Six années passèrent… », mais nous ne rapporterons pas ici la fin de cette nouvelle qui ressemble tant à la vie.

Comme on le voit, Saint Ours ne s’effraie pas de dire la vérité des rapports charnels, avec à la fois une crudité voulue et une délicatesse poétique, avec en fait beaucoup de vérité. La littérature lui aura donné l’occasion de donner libre cours à l’homosexualité que sa carrière diplomatique (comme son époque) l’a obligé à dissimuler toute sa vie. Ses mots disent avec la plus grande justesse ce qu’il en est de l’amour véritable, de la communion des corps : « Qu’il est difficile, lit-on dans la dernière nouvelle du recueil, d’attribuer à ce fils de famille de dix-huit ans l’érotisme dont je témoigne ici ! Les actes de l’amour, leurs finesses, leurs délires sont de la plus haute poésie, mais ils ont été souillés avec tant de persévérance, que les mots qu’il faut pour les décrie en restent avilis. Est-il possible de les réhabiliter ? Et, si je n’y parviens pas, serai-je taxé de pornographie ? » (p. 205).

A-t-on mieux formulé la question de la « littérature homosexuelle » trop facilement et souvent qualifiée de pornographie en effet ?

Livre inoubliable, en effet. À lire si on le trouve, d’occasion évidemment. Un livre à ne pas oublier !

Voir aussi sur le Bulletin Trimestriel Quintes Feuilles :

https://www.quintes-feuilles.com/wp-content/uploads/BTQ-F3.pdf

Ci-dessous Claude Clarac en 1935 et Claude Clarac avec Anne-Marie Schwarzenbach

D’Edward I. Prime-Stevenson, quelques nouvelles

Au même moment qu’Imre (pour mémoire) a été publié aux éditions Quintes-Feuilles, un recueil de cinq nouvelles d’Edward I. Prime-Stevenson, Toutes les eaux et autres nouvelles… La première d’entre elles donne son titre au recueil.

Ces nouvelles sont ici présentées pour la première fois en français, dans une traduction de Jean-Claude Féray. La sixième, Sébastien au plus bel âge, aurait été directement écrite en français – nous savons que l’auteur parlait plusieurs langues, jusqu’au hongrois si l’on en croit le récit qu’il donne de sa rencontre à Budapest avec un jeune lieutenant de l’armée impériale.

Il n’en subsiste plus qu’un fragment. Didier Denché l’a sinon recomposée du moins insérée dans un récit qui, brodant autour de ce fragment avec vraisemblance, rend hommage à la créativité de Prime-Stevenson et à la beauté garçonnière qu’il a tant célébrée.
272 pages – 22 € – ISBN : 978-2-9551399-2-9

LE 7ème GENRE, « le ciné-club qui défie les normes »

Un lundi par mois, au cinéma ‘Le Brady’, le ciné-club ‘Le 7e genre’ propose des films de toutes époques, tous pays, tous styles, des grands classiques à redécouvrir aux œuvres plus confidentielles, qui questionnent les genres et les sexualités minoritaires. Toutes les projections sont suivies de débats en présence d’invité(e)s d’horizons divers (réalisatrices-teurs, scénaristes, actrices-teurs, critiques, enseignant-e-s etc).

http://le7egenre.fr/

https://www.facebook.com/leseptiemegenre/

https://www.facebook.com/leseptiemegenre/photos/a.409041072526334.1073741829.406937962736645/1156626427767791/?type=3

THÉO ET HUGO DANS LE MÊME BATEAU en DVD

Olivier Ducastel et Jacques Martineau sont, il y a peu, revenus sur les écrans, après quelques années de silence, avec Théo et Hugo dans le même bateau, film formidable au double sens du mot, fatal et passionnant, double sens qu’on trouvait dans le titre de leur premier film Jeanne et le garçon formidable (1998), déjà centré sur les thèmes de l’amour fou et du sida. On retrouve ici leurs leitmotive : personnages à jamais sentimentaux, funambules, en quête de tout ce qui alimente l’amour d’aimer, de tout son corps, de tout son cœur, l’amour de vivre, l’amour de lutter, ardents, inquiets, solidaires de tous les défavorisés de la jungle sociale, jamais résignés, jamais blasés, jamais froids. Théo et Hugo sont interprétés par deux acteurs radieux, François Nambot et Geoffrey Couët, sensuellement fiévreux, graves sans cynisme au fil d’épreuves mais aussi de cadeaux de la vie contés en temps réel. Le premier plaisir du film, c’est de voir que Ducastel et Martineau nous reviennent sur les écrans liés à Théo et Hugo dès le générique, indéracinables adolescents, marqués peut-être mais lumineux.

Autre évidence, dès la première vision de ce film au titre qui fait joliment chanter ses trois o, Ducastel et Martineau ont un style de plus en plus fort, de plus en plus original : la scène d’ouverture restera dans la mémoire des cinéphiles tant elle est réglée, comme une chorégraphie, au millimètre près et provoque un impact sensuel et émotionnel inouï, tandis que le poing serré du temps réel qui renvoie à un modèle revendiqué, Cléo de cinq à sept (1962) d’Agnès Varda, donne au film une tension narrative subtile en évitant que se dilue l’intérêt du spectateur après l’uppercut de l’ouverture. Tension du fantasme où se glisse silencieusement l’amour dans les vingt premières minutes, puis tension de l’amour à mort, coup de théâtre de la révélation par Hugo de sa séropositivité, Hugo que Théo a pénétré sans capote dans la chaleur de la transe, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent : le film nous tient en haleine tandis qu’avancent les personnages, en funambules, sur le fil d’une tendre tension qui jamais ne cassera, jusqu’à un dénouement libre comme l’envol d’Éros.

Tour de force de la scène d’ouverture : elle parvient à abolir la couture entre romance et porno. Elle sent la sueur, le sperme, le plaisir et peu à peu un mystère que le spectateur devine plus qu’il ne le voit, car les regards et les érections changent lentement de cap : un coup de foudre naît entre Hugo et Théo en pleine bacchanale. La chair et la passion vont bien ensemble quand Éros décoche sa flèche imprévisible. Vingt minutes de cinéma réglées comme du papier à musique… électronique. Montage en plans larges et rapprochés où les acteurs ne peuvent pas échapper à la magie totale de l’attraction-attirance : ce sont bien leurs corps, ce sont bien leurs yeux. Tempo hallucinant d’une musique très haute, saccade électrique, battements à la folie du sang, du cœur et des coups de butoir d’une pénétration des âmes comme des corps. Un ange passe dans le chaos. Nirvana des chairs et romantisme en même temps de l’apparition du prince qu’on attendait. Ducastel et Martineau arrivent au tour de force que le cinéma a tant de mal à réaliser : mêler le tendre au cru. Alain Guiraudie, dans son film L’inconnu du lac (2014) avait déjà approché ce mystère, dans l’Arcadie d’un lieu de drague, avec la musique du vent dans les peupliers : c’était puissant, le coup de foudre en pleine scène de sexe se faisait aussi en un jeu de regards mais différent ; le bel ogre lançait à son petit Poucet un regard à la Genet, « je te hais d’amour », que la suite du film confirmerait jusqu’au fondu au noir de tous les rêves et de toutes les boucheries aussi. Rien de tel chez Ducastel et Martineau : backroom urbaine, musique dopée aux poppers, chaud-froid de l’audace de marier le rouge au bleu, inserts à la Pierre et Gilles de tableaux d’anges en majesté nimbés de l’éclair blanc du coup de foudre. Le bel amour peut naître au jardin des délices : l’Éros de Guiraudie est sombre, l’excitation qu’il inspire pourra aller jusqu’au couteau du beau serial-killer, tandis que Ducastel et Martineau fixent le spectre lumineux d’un Éros qui donne envie de vivre autant que de baiser. Le point commun, c’est qu’ils parviennent à faire se fondre, par l’invention d’un style, ce qu’il est judéo-chrétien mais clair et simple d’appeler le cœur et la chair. Ducastel, dans ses entretiens autour du film, fait référence à Patrice Chéreau et à son film Intimité (2001) : oui, on voit à quoi il fait allusion, à l’intimité du couple homme-femme de ce film, à leurs corps qui se cherchent longuement, goulûment, à la sueur, au grain réaliste des peaux, au noir des poils et au détail tendre et cru des sexes, à cette larme aussi qui coulera dans un clair-obscur de chanson de Marianne Faithfull qui joue aussi dans ce film, larme exquise de rupture du cœur quand le couple décide de ne plus se voir. Moins ténébreux aussi que Chéreau sont Ducastel et Martineau, mais dans la même impulsion corps à cœur. On n’est pas près d’oublier la caverne rouge de l’ouverture de Théo et Hugo dans le même bateau, sa transmutation du porno en romance, qui ne perd rien de sa crudité, ni d’oublier le staccato hallucinant, les flammes de cette caverne où passe, comme chez Platon, l’Idée de l’amour fou, celle qui vous marque au fer rouge et qui fera de vous à vie un obsédé érotomane et romantique.

Difficile, après un tel zénith en ouverture, de maintenir l’attention et l’intérêt du spectateur. Difficile de faire durer l’amour après l’amour, quand le brasier ne peut que s’éteindre et qu’il reste la réalité rude à regarder en face. C’est un second tour de force du film d’avoir placé là une déambulation en temps réel dans Paris, entre quatre et six heures du matin. Temps réel revisité par rapport au modèle de Cléo de cinq à sept puisqu’il aura les couleurs assourdies mais estivales d’un Paris nocturne gayfriendly et scandé par une horloge à chiffres numériques, mais fidèle en esprit puisque la flânerie dans Paris va se révéler initiation douce-amère à la mort approchée et par contrecoup appétit de vivre décuplé. Pas le temps de souffler pour les amants et les spectateurs. Après le ravissement du coup de foudre, vient le choc de la double révélation : Hugo est séropo et Théo l’a aimé  » bareback ». Les cœurs battent par intermittence. Hugo, un peu plus âgé, Rastignac qui a déjà affronté Paris, « plus clairvoyant face au désir », comme le dit Martineau dans un entretien, réagit avec fureur, tandis qu’une tempête silencieuse couve sous le crâne de Théo, parisien certes mais plus naïf, novice dont cette nuit était la première en sex-club. Petit à petit, il en viendra, en silence toujours, à se sentir coupable d’avoir oublié le risque dans le feu de l’action. On assiste à une véritable « passation de responsabilité », pour reprendre l’expression du numéro 200 de Tribu Move où, sous le titre « Un conte moderne, sulfureux et fantasmatique », l’auteur JMC interviewe, avec beaucoup de sérieux mêlé d’humour, Geoffrey Couët (Théo) et François Nambot (Hugo) aussi complices – mais plus délurés ! – dans l’interview que dans le film. Pas de coupable. Deux larrons solidaires dans le même bateau : le titre prend là sa couleur d’aventure optimiste, de refus du chacun pour soi, de pari romantique : le sida ne tue pas l’amour fou. Au contraire. Il fait mûrir, gomme les sentiments de malédiction, de reproche et de culpabilité pour créer une vraie belle solidarité face à la maladie et à la mort possible. Hugo, le sage clerc de notaire, n’en devient que plus épris de voir Théo l’ingénu s’attacher à son corps et à son sort. On retrouve la couleur chaude que Ducastel et Martineau donnent à chacun de leurs films, même dans L’arbre et la forêt (2011) où la musique de Wagner et la beauté des grands chênes parviennent à mettre en sourdine l’atroce souvenir d’un « triangle rose » échappé aux camps de la mort nazis.

Cet optimisme face au glauque est bien l’estampille de Martineau et Ducastel. Dans leur univers filmique, on est aux antipodes de Le droit du plus fort de Fassbinder. L’amour n’est jamais chez eux « plus froid que la mort ». Ils sont deux à la défier. Et cela va se confirmer dans la chaleur de la nuit parisienne, dans les rencontres que vont faire les amants soucieux d’affronter ensemble l’épreuve du test. Dans la jungle de la ville, pas une rencontre qui soit désespérante. Pour un seul vieillard acariâtre rencontré en salle d’attente à l’hôpital Saint-Louis, d’autres figures de la nuit donnent du cœur au ventre aux deux flâneurs inquiets de ce glaive du sida qui pèse désormais sur eux deux : un Syrien en exil, vendeur de kébab, une urgentiste rassurante et efficace, une sexagénaire croisée au petit matin dans le métro, habitant Yvetot comme l’écrivaine Annie Ernaux –admirée des réalisateurs –, obligée de se lever tôt et de trimer à plus de soixante ans pour se faire une retraite décente… tout sent la solidarité de classe révélée par la nuit, de ceux qui doivent veiller, se coucher tard ou se lever tôt, le partage de la galère, la foi en un humanisme des laissés pour compte qui se disent ensemble « a working class hero is something to be », comme dans la chanson de John Lennon reprise par Marianne Faithfull… Les cyniques peuvent sourire, il faut un certain courage en 2016 pour afficher un romantisme politique aussi candide et résolument lumineux. Dans son interview avec François Nambot pour Tribu Move, Geoffrey Couët raconte « toute la partie autour du canal de l’Ourcq qui se tournait la nuit. Il y avait beaucoup de toxicos et de SDF autour de nous, et du coup, on a régulièrement dû arrêter des prises à cause d’insultes, de cris, de jets de bouteilles, de menaces… ce genre de choses, quoi ! Comme c’était une petite production, c’est Jacques Martineau qui nettoyait nos caleçons et chaussettes, tous les soirs, avec sa machine à laver. Donc ce film est un peu un hommage à cette machine qui a rendu l’âme durant le tournage… » Rien de tout cela effectivement dans le montage final du film et toujours cette volonté de Ducastel et Martineau de rester idéalistes : les machines à laver peuvent rendre l’âme, pas la gauche, la vraie, ferme et solidaire contre les inégalités sociales ! Pour eux, le mariage pour tous n’a pas définitivement réglé la « question gay » en donnant la fausse impression que tout serait désormais gagné. La vigilance reste de rigueur, encore et pour toujours. Sourira qui voudra de leur combat, comme on a beaucoup souri, pour l’encenser après sa mort, de l’âme d’enfant du poète Jacques Demy dont on méconnaît le film le plus engagé Une chambre en ville, quasi maudit dès sa sortie !

Candides sans doute mais lucides aussi, Ducastel et Martineau. La dernière scène laisse ouverts tous les espoirs sans oublier l’incertitude qui accompagne tout espoir. Bien sûr il y a le sida qui aujourd’hui encore n’a pas dit son dernier mot, loin de là. À sa façon, le film est une ode poétique au préservatif. Et puis il y a la vie, « on s’aimera… et après… on se quittera… comme tout le monde… » Rien de simpliste, un conte initiatique, oui, mais pas une fin de conte « cucul la praline », comme disait Jean-Louis Bory. Le film va de l’avant, énergiquement, résolument, avec un clin d’œil au mythe d’Orphée qui ne doit surtout pas se retourner pour ne pas perdre son Eurydice. Mais la fleur bleue de Ducastel et Martineau a ses coups de blues. Que Hugo demande à Théo de lui montrer son sexe au repos, n’empêche pas qu’on se dise : « On se quittera… comme tout le monde ». De l’éblouissant vitrail érotique de son ouverture à la délicatesse feutrée et poignante de sa fin, Théo et Hugo dans le même bateau est un film beau à plus d’un titre : sa foi en l’amour « cul à cœur », sa résistance aux forces de l’argent – merci à Épicentre pour la production de ce film, comme de Stand (2015) de Jonathan Taïeb, et pour la distribution vidéo de L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie cité plus haut, La duchesse de Varsovie (2014) de Joseph Morder ou encore Et maintenant (2013) de Joaquim Pinto, pour ne citer que quelques titres de leur catalogue –, et sa résistance aux forces de la maladie et de la mort ; beau aussi de faire une place aux dangers qui menacent tous les ardents : « on se quittera… comme tout le monde ».
Faire un film à quatre mains comme celui-là, n’est-ce pas encore une façon de se faire l’amour et d’en donner, de l’amour et de l’espoir, à tous les rêveurs lucides des salles obscures, filles et garçons, hommes et femmes, qui en ont tant besoin ?

Pierre Lacroix, octobre 2016

IL EN A PLEIN LA GRAPPE, CE GRAND CHANTEUR-POÈTE-LION DE SCÈNE, NICOLAS BACCHUS !

Les disques de Nicolas Bacchus – en studio ou sur le vif – ont la douceur raffinée du carton de leur pochette (qu’on appelle « digipack »), trois couleurs dominantes, blanc, rouge et noir, et des titres alléchants :

Balades pour enfants louches, 2002 (CD)
À table !, 2005 (CD)
La VerVe et la Joie, 2010 (CD)
Devant tout le monde !, 2012 (CD+DVD)

Il a une voix chaude, mâle, moirée d’inflexions sensibles. Les musiques et les mots nous enjouent et nous injectent tour à tour la rage et le bourdon, il s’engage et il le paie parfois, il va de coups de rouge en coups de noir, comme ses pochettes et ses galettes, sur des textes qui demandent de tendre l’oreille tant ils sont ciselés. Le bien nommé Bacchus, depuis plus de quinze ans, nous verse de chaudes mais aussi de graves et lucides ivresses qui font de ses chansons un cocktail doux-amer, de disque en disque et de scène en scène, puisqu’il se donne régulièrement devant tout le monde, de Paris en province, en Suisse, en Belgique, au Québec… Il a le feu et la bande de vrais amis qu’il faut pour continuer, et il continue, accompagné parfois d’autres poètes de la chanson comme Juliette, Anne Sylvestre, Agnès Bihl, Yoann Ortega…

Grand rhéteur, grand rhétoriqueur, Bacchus sait peloter les mots, les tordre et les triturer en bougres de mixtures. Goûtons par exemple quelques strophes prises au hasard de la chanson D’Alain à Line de l’album À table ! :

Entre les draps de lin
On voit les bras de Line
Mêlés à ceux d’Alain
Dans des poses câlines

Dans les poses qu’a Line
On devine qu’Alain
Hier déflora Line…
… Ondée d’un blanc venin

Car Line sans câlins
Sans qu’Alain la câline
Est un corps orphelin
Alors qu’elle est fée
Line

Grand peloteur de mots et peloteur homo dès ses premières chansons, tendrement, comme dans Ton fils (…dort avec moi) parmi les Balades pour enfants louches :

Dans une boîte un peu glauque
Pire qu’au pire cinéma
Ça s’voyait l’un comme l’autre
Qu’on n’avait rien à faire là
On est sorti marcher
Pour entendre nos voix
Et au lieu d’se quitter
On s’est embrassé, comme çà,
C’est drôle, mais ça ressemblait
À des rêves d’avant
Quelque chose qu’on cherchait
Tous les deux depuis longtemps
On s’est trouvé tout con
On s’est serré plus fort
Nos cœurs ont des raisons
Que vos raisons ignorent

Peloteurs de mâles, Bacchus a plus d’un grain à sa grappe, qu’il chante suavement les saunas, plus fougueusement les feux follets qui ne font que passer et les brasiers qui vous sucent de leurs flammes en rose le sang de l’âme :

Si je taquine les femmes en prose
Je rêve à l’homme en vers
Et contre tout
Quand crépitent les flammes en rose
À l’endroit, à l’envers
Baisers tabous

(paroles de Thomas Petiot)

Écoutons ce que donne la rencontre du gourmand lutineur de mots avec le maître-queue militant de Filet mignon :

Choisis ton filet
Choisis ton mignon
Bien rose, et sans plus attendre
Voyons

Parfois, doucement
Retourne-le pour
Atteindre ses replis les
Plus crus

S’il est trop nerveux
De tes doigts fiévreux
Rends-le plus souple à ta main
Offert

Mets ton grain de sel
Entends-le frémir
Et réserve-toi les sucs
Qu’il sue

(…)

Lors, dans ces humeurs
Fais fondre l’oignon
Que tu auras effeuillé
Sans larmes

Ça sent la sauvagine sauce Bacchus ! Pour faire mouiller les princes charmants, Peau d’Âne a changé de recette…

Enfin, pour arroser le festin, on a le rouge politique d’un engagement forcené qui ne change pas de cap : notre larron n’a pas peur d’oser se sentir « libertin guidant le peuple » (les dessins de Piérick du livret de La VerGe et la Voix,… pardon, La VerVe et la Joie, accompagnent avec truculence et mordant les textes inspirés). Oui, il n’est pas frappé d’amnésie, Nicolas Bacchus, à la différence de ceux qui sans vergogne se disent encore de gauche en 2016 : dans son spectacle aux Trois Baudets gravé sur le DVD de Devant tout le monde !, il rappelle avec ironie que la Gauche, la vraie, n’est pas que paroles en l’air, que le septennat de François Mitterrand s’est ouvert sur l’abolition de la peine de mort, la retraite à soixante ans, la dépénalisation de l’homosexualité, les cinq semaines de congés payés, la semaine de 39 heures au lieu de 40… entre autres broutilles ! Le point d’orgue de l’album La VerVe et la Joie n’est rien moins qu’un cri de rage au premier degré, repris jusqu’à se mettre la gorge en sang dans le spectacle des Trois Baudets : il s’agit de la chanson La fin du bal du Russe Vladimir Vissotski dans l’adaptation française de Maxime Le Forestier :

Pourquoi, je voudrais savoir pourquoi, pourquoi
Elle vient trop tôt la fin du bal
C’est les oiseaux jamais les balles
Qu’on arrête en plein vol !

Dès ses débuts en public, dans ou entre ses chansons, Nicolas Bacchus n’élude rien, ni les sans-papier, ni la bonne conscience facile des galas caritatifs, ni le droit d’évoquer sur scène sa vie privée pour que peut-être quelqu’un(e) ose, en sortant du concert, aimer selon ses goûts… Avec le temps, il sait qu’il est de plus en plus important de trouer la joie des concerts de chansons qui soient des balles en plein vol pour faire songer à la barbarie qui avance, aux réfugiés qui vont au bout du désespoir pour ne pas crever, à la chasse autorisée par les fous de leur soi-disant dieu, par les principes de leur Bible, de leur Coran ou, tout simplement, de la plate coutume sans imagination, craintive devant la liberté, haineuse de toute différence. Comment ne pas penser au massacre de Charlie-Hebdo quand on lit, sous la plume de Nicolas Bacchus – en 2012 ! – :
« … y’a la vraie vie qui rattrape, les canards sauvages se font de plus en plus rares. La chasse est ouverte. » ?
Oui, ils doivent se défendre et rester sur le qui-vive, les canards sauvages qui « zigzaguent avant que la mitraille ne retombe en chape de plomb ». Il chantera à Toulouse, au Bijou, les 29, 30 et 31 décembre prochains. Bacchus, nous y serons !

Pierre Lacroix, pour ErosOnyx Éditions, octobre 2016