Aux Mots à la Bouche, le 3 novembre prochain à 19 heures

L’Anglais Oswald, âgé d’une trentaine d’années, rencontre à Budapest au cours d’une de ses pérégrinations, Imre, jeune et bel officier austro-hongrois. Tous deux portent le masque imposé aux affinités amoureuses qui n’osent se dire. Mais la confession de l’un entraîne la confession de l’autre. L’auteur (1858-1942) de The Intersexes illustre, dans son récit, l’idéal incarné d’un bonheur possible entre deux hommes.

IMRE (pour mémoire) 16 €

Parallèlement sera aussi présenté du même auteur Toutes les eaux… et autres nouvelles publié par Quintes-Feuilles, sorti au même moment.

Traduction de Jean-Claude Féray, auteur de la présentation de Prime-Stevenson dans la publication d’IMRE (pour mémoire).

De leur côté, les éditions Quintes-Feuilles ont laissé sur leur site le message suivant de Jean-Claude Féray :

« Yvan Quintin, traducteur d’Imre en français, présentera le jeudi 3 novembre à partir de 19 heures ce roman à la librairie Les Mots à la Bouche.

« J’aurais dû me joindre à lui pour présenter Toutes les eaux… le recueil de nouvelles de Prime-Stevenson sorti la même semaine qu’Imre, mais des contraintes d’emploi du temps rendent la chose impossible. Yvan Quintin m’a assuré de sa compréhension et j’espère que les lecteurs de Quintes-feuilles excuseront mon absence avec la même gentillesse.

Prime-Stevenson dont la partie la plus originale de The Intersexes a été traduite et publiée par nos soins (Du similisexualisme…), mérite l’intérêt historique et littéraire qu’un public international lui voue de manière de plus en plus aiguë. »

Jean-Claude Féray

Toutes les eaux et autres nouvelles 22 €

Pour changer, un coup de gueule : Les Garçons et Guillaume, à table !

On m’avait vanté à sa sortie le prodigieux numéro d’auteur-acteur-metteur en scène du film Les garçons et Guillaume, à table ! sorti en 2013 et aussitôt couronné de lauriers. Quand les envolées d’encens se sont calmées ─ il est vrai qu’elles ne furent pas unanimes ! ─ et qu’on découvre ce film près de trois ans après sa sortie, le brio du numéro demeure bien là mais laisse aussi le goût amer d’un numéro de dupe.

Il y a toujours un étrange mélange de cocasserie et de trouble à voir quelqu’un, ami ou acteur, femme ou homme, passer de son sexe apparent à l’autre, surtout quand les costumes, le maquillage et l’éclairage contribuent à parfaire l’illusion. La couture fragile qui sépare le féminin du masculin nous plonge alors dans un état étrange. Si c’est grossièrement fait, on rit et ça ne va pas très loin. Si tout concourt à la réussite, et même si coexistent subtilement des éléments des deux sexes, alors vient le vertige sans fond de la frontière floue entre masculin et féminin. Adieu le cliché des sexes, bonjour le flou du genre !

Guillaume Gallienne dans son film, comme Olivier Py en Miss Knife de jais noir sous les roses de la rampe, joue très bien de ce vertige-là. Déjà Charlie Chaplin, au temps du muet, nous ensorcelle en Mamzelle Charlot et Laurel et Hardy forment parfois un couple homme-femme plus vrai que nature. Le transformisme exceptionnel d’Alec Guinness dans Noblesse oblige (1949) nous laisse pantois. Il en faut peu pour que l’on passe de la gaudriole appuyée de La cage aux folles (1978) à la farce tragique de Tenue de soirée (1986).

Guillaume Gallienne, même s’il caricature sa mère, peut et sait nous faire passer d’un rire bon enfant à un sourire plus réfléchi. Quelle plus belle manière que le travestissement et le maquillage pour faire subtilement glisser son public de l’innocence enfantine du déguisement à la morale dynamitée que créent l’homme en hyper-femme, la femme en hyper-homme, l’androgynie ou la gynandrie à cloisons japonaises ?

Mais pourquoi donc Guillaume Gallienne nous offre-t-il un film d’une virtuosité transformiste à couper le souffle pour le clore en sinistre et fallacieux coming out à rebours ? On a tout-à-coup l’impression d’une bonne vieille chute propre à consoler tous ceux que le film aurait trop inquiétés : « T’inquiète pas, Maman, c’est ta perfection de femme froide qui faisait de moi ce garçon trouble de tout mon passé et de tout le film, ce garçon qui t’admirait à en vouloir devenir toi, qui se la jouait en Sissi, toute en perlouses et dentelles, rien que pour te provoquer, attirer ton attention et ton affection ! Je n’ai fait l’intéressant que jusqu’au « jour où j’ai rencontré Amandine », mon ange rédempteur qui m’a guéri de mon vilain œdipe. Mais surtout t’en fais pas, sois tranquille, tout ça c’était du cinéma, maman je suis pas pédé !!!

Alors finalement Les garçons et Guillaume, à table !, c’est quoi ? Un formidable bluff d’histrion pour nous faire retomber dans une psychanalyse de pacotille et dans la bien-pensance la plus racornie ? Un règlement de comptes des plus alambiqués avec une bourgeoise à qui on ne fera pas le plaisir d’avoir un fils homo ─ ce qui serait une épreuve certes, mais un homo c’est si artiste, si chic dans une certaine gentry parisienne… ─ ? Pourquoi Guillaume Gallienne clôt-il son film sur une scène de théâtre où il s’adresse à sa vraie mère présente parmi les spectateurs, comme si le film devenait réalité filmée pour convaincre les spectateurs incrédules : mais oui, mais oui, rassurez-vous, on peut être folle et hétéro ! Ouf ! Mais attention, Guillaume, tu as sans doute pour toi tout un public bluffé… mais n’est-ce pas jouer avec le feu que de s’offrir un coming out inversé pour snober les ploucs qui ne peuvent s’offrir qu’un coming out ?

À trop bien jouer à la fois les mamans de NAP et les bons fils hétéros jurant à maman qu’elles n’ont rien à craindre des vilaines mœurs de la plus fille de leurs garçons, est-ce qu’on sait vraiment qui l’on est, de quoi l’on est fait, de sucre comme Julio ou de gingembre comme Arno ?

Pierre Lacroix, octobre MMXVI

Dans les LETTRES NORMANDES N° 112 – 3ème trimestre 2016, revue de la Société des Écrivains normands

Jean de Bonnefon (1866-1928), maire de Calvinet, dans son Cantal natal et journaliste parisien spécialiste des questions religieuses, auteur notamment de La Ménagerie du Vatican en 1906, était un personnage original dont l’influence ne fut pas négligeable en 1905 lors de la loi de séparation de l’Église et de l’État.

Dans le sillage de Barbey d’Aurevilly, dont il savait épouser le style, ses critiques frôlaient la provocation et pouvaient être redoutées. Christian Gury, dans cet essai biographique, nous en brosse un saisissant portrait, en soulevant les masques sous lesquels l’écrivain polémiste dissimulait les mystères de sa vie. L’enquête, étayée d’une multitude de témoignages et de citations, retrace le parcours du corpulent bonhomme qui, de son propre aveu, dépassait les cent quarante kilos ! L’auteur du présent ouvrage nous présente avec humour u personnage ambivalent, non dénué de talent, surnommé « cardinal des lettres » qui a marqué son temps. (105 pages, 12,50 €).

C. Le Roy **

Sur « Hélène » dans la revue de l’APL Études Franco-anciennes n°158 Été 2016

Un éditeur dont le sigle (EO) s’adorne de cette devise « sua quemque voluptas trahit » ne peut qu’attirer son lecteur !

Voici donc l’un des dix-sept monologues de l’ensemble Quatrième dimension, monologues théâtraux mis en scène par un metteur en scène grec contemporain qui souligne la désacralisation des anciens mythes chez Ritsos.

Qui est cette Hélène ? Soyons attentifs au vrai titre (en Grec) L’Hélène
. Ce n’est donc pas la plus belle femme du monde enlevée par Pâris, la Belle Hélène d’Offenbach ; non ; c’est la vieille Hélène qui habite dans une maison désertée, au jardin en friche et que vient voir un visiteur. Et pourtant c’est elle : « Oui, c’est moi » sont les premières paroles de ce monologue. Elle est désormais très vieille, devenue fort laide, esclave de servantes qui se moquent d’elle ou la volent ; elle est sous la coupe de ces bourreaux comme Ritsos, au moment où il écrit ce monologue, en résidence surveillée à Léros sous la dictature des colonels. Elle ne voit plus personne, donc ne parle presque plus (« peu à peu les choses ont perdu leur sens (…) de même que les mots, innocents, trompeurs (…) équivoques toujours »). Elle est là, immobile sur son lit. Devant son visiteur à qui elle dit à plusieurs reprises de rester elle opère d’abord une sorte de dédoublement qui lui permet une distanciation vis-à-vis du présent puis du passé nécessaire à la libération de la parole. Seule la mémoire est encore en mouvement, une mémoire incertaine et de plus en plus confuse mais qui recompose un passé encombré et s’en affranchit : « Vraiment tant de choses hors d’usage (…) elles encombraient l’espace. (…) Ah oui, combien de combats insensés, (…) combien de défaites et de nouveaux combats pour des choses en plus décidées par d’autres en notre absence ».

La vieille Hélène veut pourtant partager avec son visiteur son secret le plus précieux, son unique trésor. Cet unique trésor, bien gardé et jamais trahi, c’est le souvenir de l’amour, de l’intimité charnelle de l’amour : « Ils étaient beaux, avec leurs grands corps puissants comme des fleuves bouillonnants (…) ; je les aimais vraiment comme si je les avais moi-même enfantés. Et même ces souvenirs « ne sont plus troublants » ; mais au-delà d’eux « un seul retient encore un souffle qui le parcourt, il respire ». C’est le souvenir du soir où Hélène est montée seule sur les murs de Troie, belle, inatteignable, comme immatérielle, moi qui n’appartiens à personne, moi qui n’ai besoin de personne, comme si j’étais (moi, l’indépendante) l’amour tout entier.’ Elle a une fleur dans les cheveux, une autre entre ses seins, la troisième à ses lèvres « qui cache le sourire de la liberté ».

C’est cette « quatrième dimension », cet « autre versant », c’est cela qu’Hélène a atteint et c’est à cette élévation de la pensée que le poète nous convie.

Evelyn Girard, été 2016

Yannis Ritsos, Hélène ; édition bilingue ; préface et traduction d’Anne Personnaz
ErosOnyx Éditions, 2016

Les Argentins se souviennent de Lorca…Rapporté par El Pais du 19 août, cet article sur une commémoration de l’assassinat de Federico.

Hace 80 años, Federico García Lorca era fusilado a manos de tropas franquistas en su Granada natal. Desaparecido desde entonces, el poeta universal no tiene una tumba sobre la que sus admiradores puedan dejar flores o mensajes, pero en este nuevo aniversario de su muerte ha recibido homenajes de todos los rincones del mundo. Desde Argentina, país que García Lorca visitó en 1933, un grupo de actores recita Poema doble del lago Edén, incluido en Poeta en Nueva York. El tributo, organizado por el Ministerio de Cultura argentino, coincide con la decisión de la Justicia del país suramericano de investigar su detención y asesinato.

« Era mi voz antigua/ ignorante de los densos jugos amargos./ La adivino lamiendo mis pies/ bajo los frágiles helechos mojados », arranca Roberto Carnaghi, para dar paso al humorista gráfico Tute -hijo del historietista Caloi- y después a la actriz y cantante Natalie Pérez y a Tini Stoessel, más conocida por su personaje de Violetta en la serie homónima de Disney. Justina Bustos y Fernando Dente completan la nómina de artistas convocados.
García Lorca llegó a Buenos Aires el 13 de octubre de 1933 en el Conte Grande y se convirtió en el gran invitado del movimiento cultural porteño durante los seis meses que permaneció en la ciudad. De la mano del asturiano Pablo Suero, el poeta se dejó querer por la capital argentina, en la que gozaba « de fama de torero », según sus propias palabras. El hotel Castelar de la Avenida de Mayo y cafés de esa histórica avenida aún recuerdan su paso por la ciudad, que durante el periodo de entreguerras era un foco de atracción para intelectuales y artistas de todo el mundo.

1936-2016 IN MEMORIAM : KOUZMINE & GARCIA LORCA

Le 1er mars 1936, dans un hôpital de Saint-Pétersbourg devenu Leningrad, mourait de pneumonie Mikhaïl Alekseïevitch Kouzmine, poète, romancier, traducteur, compositeur, dramaturge. On l’a quelquefois surnommé l’Oscar Wilde russe, à cause de son dandysme et de son goût pour les jeunes hommes. Il fut le premier poète russe ouvertement gay, dit l’excellente biographie de John Malmstad et Nikolaï Bogomolov (Harvard University Press, 496 pages, 1999) non traduite à ce jour en français (voir plus loin). Poète de la taille des plus grands, Alexandre Blok, Vladimir Maïakovski, Boris Pasternak, Josip Mandelstam, Marina Tsvetaieva, etc. Anna Akhmatova, poétesse elle-même, finit par ne plus l’estimer à cause de ce qu’elle appelait la « salacité » de sa poésie.

Il eut plusieurs amants, deux en particulier Vsevolod Kniazev, jeune hussard qui se suicida en 1913 prétendument pour une actrice et danseuse – car le malheur de Kouzmine fut souvent de tomber amoureux de garçons bisexuels – et Iouri Iurkun, poète lui-même et illustrateur.

Illusions perdues quelques années après la Révolution de 17, difficultés pour assurer sa subsistance – Kouzmine ne publia que peu, quelques traductions du français, de l’anglais, de l’italien, et en 1929 La Truite rompt la glace, son ultime recueil de poésie –, logement partagé avec Iurkun, la mère de celui-ci et quelquefois la compagne  »officielle » (mais non l’épouse) d’Iurkun, et problèmes de santé enfin. Victime d’une grippe, il fut hospitalisé en février 1936, et on le laissa dans un couloir rempli de courants d’air. Il y attrapa une pneumonie dont il mourut le 1er mars.

Depuis 1933, la sodomie consentie entre hommes était un délit férocement réprimé. Kouzmine échappa à la répression décrétée sous prétexte de « conspiration homosexuelle », mais non son compagnon Iurkun, son ‘’Antinoüs’’, son ‘’Mister Dorian’’ (comprenons Dorian Gray), qui fut arrêté en 1937 et exécuté l’année suivante.

ErosOnyx Éditions publiera au premier trimestre 2017 La Truite rompt la glace, premier cycle, écrit en 1927, d’un recueil du même titre paru en 1929. Inédit en français. À part Les Ailes, roman publié en 2000 par les éditions Ombres dans une traduction de Bernard Kreise et deux recueils de nouvelles (aux éditions Noir sur Blanc), la France ne dispose d’aucune autre traduction de Mikhaïl Kouzmine, en l’occurrence de sa poésie. Suivra en 2018, la biographie du poète par deux spécialistes, John Malmstad et Nikolaï Bogomolov auteurs de Mikhaïl Kuzmin, A Life in Art ( Harvard University Press, 1999), sous le titre Mikhaïl Kouzmine, Vivre en artiste.

Triste anniversaire aussi que celui que nous commémorons, 80 ans plus tard, en cette année 2016.

À l’aube du 18 août de la même année 1936, était exécuté près de Grenade Federico Garcia Lorca, non pas tant en raison de ses sympathies pour la cause républicaine (Lorca était peu politique), mais surtout parce qu’il était gay. Sympathisant républicain, poète et en plus de cela être homo, c’en était trop ! Dans l’Espagne à la veille de la guerre civile, l’homosexuel ne vaut guère mieux que le juif, le maure ou le gitan. « Je crois, écrivait Federico, qu’être de Grenade m’incite à la compréhension sympathique du noir, du gitan, du juif (…), du maure que nous portons tous en nous. »

Informé du danger qu’il courait lorsque se déclencha la guerre civile (son beau-frère, Manuel Fernández Montesinos, maire socialiste de Grenade avait été arrêté le 20 juillet), Federico s’était réfugié chez des amis, les Rosales, pro-phalangistes. Arrêté par des militaires et autres mutins de la droite conservatrice de la ville, puis conduit sur la route d’Alfaraz, il est sommairement exécuté avec deux de ses amis, le maître d’école Dióscoro Galindo et le banderillero Francisco Galadi, au petit matin, au pied des oliviers du ravin de Viznar. Mais il avait été violemment molesté dans la journée et la nuit qui précédèrent son exécution : l’un de ses assassins ne s’est-il pas vanté, bien des années plus tard, d’avoir « tiré deux balles dans le cul de ce pédé » (« Yo le metí dos tiros en el culo por maricón ») ?

Son corps n’a jamais été retrouvé parce que les recherches n’ont pas véritablement été autorisées par la famille.

Federico laissait derrière lui une œuvre immense, et des poèmes posthumes, plus précisément des sonnets qu’ErosOnyx a publiés, Sonnets de l’amour obscur (2015). Qui en fut l’inspirateur ? Rafael Rodriguez Rapún, mort au front un an jour pour jour après Lorca, à l’âge de 25 ans, lieutenant du côté des Républicains ? Ou bien Juan Ramirez de Lucas, un jeune homme de 19 ans en 1936, comme on l’a découvert après sa mort en 2010, à cause de qui Federico n’avait pas voulu quitter l’Espagne pour s’exiler au Mexique, comme le lui conseillaient ses amis ?

Sonnets de l’Amour obscur, édition bilingue, novembre 2014.

Deux poètes, deux poètes gays, le second plus connu que le premier, du moins en France. Victimes tous les deux de l’intolérance, du conformisme moral de droite ou prétendument révolutionnaire.

Peut-on encore dire « Plus jamais ça » et y croire ? En tout cas, l’important, c’est que vivent toujours leurs œuvres pour que la mémoire et la beauté fassent, comme le chante Barbara, « Que jamais ne revienne / Le temps du sang et de la haine ».

CONNAISSEZ-VOUS LE BLOG « CULTURE ET QUESTIONS QUI FONT DÉBAT » ?

Nous étions un seul homme : En 1943, dans le Lot et Garonne, Guy, un jeune forestier, recueille et cache dans sa ferme un soldat allemand blessé : Rolf.
N’ayant pas connu ses parents, Guy se prend d’une profonde affection pour son visiteur, et l’empêche une fois guéri de rejoindre son armée. Rolf se surprend à rester, sans réaliser tout d’abord qu’il tombe fou amoureux de son jeune ami. Les deux êtres se rapprochent, au cours de confidences, de chahuts, de beuveries, et sous le regard complice de la fiancée de Guy. Au cœur de la forêt, ces deux hommes suivent un parcours de doutes, d’angoisses et de violence avant de donner enfin libre cours à leur passion.
Nous étions un seul homme, c’est l’illustration d’une relation amoureuse à deux, dans un contexte particulièrement hostile.

Guy (Serge Avedikian) est un jeune paysan qui a fuit l’asile psychiatrique quand il a entendu dire que l’occupant allemand (nous sommes en 1943 dans la campagne du Lot-et-Garonne) exterminait les fous : pas si fou que ça, il faut admettre.

Un jour, il recueille Rolf (Piotr Stanislas), jeune soldat allemand blessé, qu’il soigne et nourrit dans la bâtisse isolée ou il se tient lui-même à l’écart. Les deux garçons sont le jour et la nuit : brun et blond, sale et propre, instinctif et rationaliste, ignare et cultivé. Avec beaucoup de sensibilité et de justesse psychologique, Philippe Vallois nous montre comment ces deux êtres si dissemblables vont se rapprocher, communiquer, se comprendre, s’aimer enfin.

Pour Guy, l’Allemand est l’assassin, et il ne se prive pas de le dessiner et de l’inscrire sur les murs ; pourtant, il s’oppose à ce que Rolf le quitte pour rejoindre son unité. Des deux garçons, on se rend compte que c’est Rolf qui est homosexuel, et qui sait ce que signifie une relation entre garçons. Guy a de temps à autre une fille qui vient le voir et le soulager de ses désirs, et le contact physique avec Rolf n’évoque d’abord rien en lui de sexué : Philippe Vallois semble, à ce propos, être un partisan convaincu de l’homosexualité latente du contact sportif, de l’érotisme refoulé du sport. Le jeune paysan dans son innocence n’acceptera de passer à l’acte que lorsqu’il comprendra que c’est le seul moyen de garder son compagnon et que son attachement à «l’Assassin» n’est rien d’autre que de l’amour. Cet amour dont le prix sera la mort de l’un des amis, tué par l’autre dans une scène très belle et très émouvante, dans un geste d’amour désespéré.

Avec ce film, Philippe Vallois a réalisé un film qui va droit au cœur. À découvrir ou à revoir.

Le DVD de ce film est disponible dans l’essai de Didier Roth-Bettoni :  » Différent ! « Nous étions un seul homme » et le cinéma de Philippe Vallois « , Éditions ErosOnyx, Collection Images, 108 pages, mars 2016

ISBN : 978-2918444282, 23€50

Jean-Yves ALT

À PROPOS DE YANNIS RITSOS…

Yannis RITSOS : Hélène
(Préface et traduction du grec par Anne Personnaz, bilingue, éd. ErosOnyx, 15 €)

Après sa détention dans le camp de Léros, sous la dictature des « colonels », c’est sur l’île de Samos, en résidence surveillée à Karlovassi, que Yannis Ritsos écrit Hélène (1970), l’un des dix-sept grands poèmes du recueil Quatrième dimension. Ce monologue théâtral est dédié à la mémoire de sa sœur aînée Nina, renommée pour sa beauté, devenue folle après avoir vécu dans sa jeunesse une aventure amoureuse rocambolesque. Hélène, fille de Zeus et de Léda, épouse infidèle de Ménélas, enlevée par Pâris, allumeuse du terrible incendie qui ruina le royaume de Troie, a été représentée de manière très différente, par nombre d’artistes et d’écrivains, s’inspirant librement du mythe antique. Ritsos la met en scène, vieillie et chancelante, endurant injures et outrages. Elle qui a brisé les chaînes de la vie conjugale comme de la patrie, la voici hors du temps mythologique, décatie, séquestrée dans sa maison naufragée… Le poète joue avec humour sur la distanciation et les anachronismes. Face à un visiteur impromptu qui l’a connue ou aimée autrefois, Hélène, devenue totalement étrangère aux jeux et plaisirs de l’amour, quasiment immatérielle, tente de se souvenir, de reconsidérer son existence, de rassembler ses morts. Ce sont ses dernières paroles. Elle meurt le soir même alors que disparaît le visiteur. Elle avait laissé échapper de ses lèvres sa dernière fleur, métaphore spirituelle de la poésie et de la résistance*…

Dès le seuil, en attendant qu’on lui ouvre, le visiteur est saisi par l’état de délabrement de la maison, les ferronneries rouillées, l’abandon apparent. L’intérieur est à l’avenant avec les mauvaises odeurs de moisissures et d’urine, la poussière, les toiles d’araignées… Face à sa vieille idole assise sur son lit défait, il ne reconnaît que ses yeux. Devant sa stupeur, elle lève le dernier doute. Oubliée de tous, elle doit se réhabituer au langage : « j’en suis presque arrivée / à oublier les mots. » Thanatos a supplanté Eros. Elle est du côté des cendres du temps et des ombres. Elle se dit délivrée de ses morts : « il est passé le temps des rivalités ; les désirs se sont taris. » Les héros familiers d’antan sont devenus des étoiles, « sans que leur image soit gravée dans le verre / sur un miroir de métal, […] comme / par ce jour paisible criblé de soleil et de mâts, quand le combat avait faibli, et que le frottement des cordes mouillées sur les poulies retenait haut le monde, comme le nœud d’un sanglot arrêté dans une gorge de cristal…» Empreinte encore de lyrisme, cette voix mourante se perd dans les trous de mémoire, les trous dans les mots, plongeant dans l’anonymat tous ces morts autrefois si proches. Comme saisie de schizophrénie, Hélène, exilée dans ses vieilles parures, voit les objets s’animer, ses robes se dresser, tels des fantômes : « Une malle s’ouvre d’elle-même, en sortent de vieilles robes, elles bruissent, se dressent droites / elles flânent sans bruit… » Les morts réapparaissent en une danse macabre muette : « les morts […] rôdent dans les chambres, leurs beaux habits, leurs belles chaussures / vernies, bien lisses, et sans bruit pourtant comme s’ils ne posaient pas les pieds par terre… » Les servantes rient, haïssent et parodient leur maîtresse impuissante qui délire : « J’ai croisé, à nouveau, / la nuit […] mes anciens amants avec des barbes blanches, / des cheveux blancs, des ventres dilatés, comme s’ils étaient / engrossés déjà par leur mort… » Des sensations olfactives renaissent : « j’avais la sensation qu’un beau flacon de cristal s’était brisé, / et que le parfum s’était répandu dans la vitrine poussiéreuse… » Les servantes alors se moquent de plus belle, se revêtent des voiles dorés de leur vieille maîtresse, s’emparant d’un miroir « qu’elles ont saisi comme une civière » ! Les images, voit-on, annoncent peu à peu le dénouement, comme si toute la brocante environnante, bibelots, bijoux, colifichets…, « choses […] accumulées avec tant d’avidité », se transformaient en décor funéraire. Emportée par ce vertige du vide autour d’elle, Hélène renverse les stéréotypes, raisonne par aphorismes et jugements désabusés : « Ô, la pensée / nous vient tard à nous les femmes […] Les hommes, par contre, / ne s’arrêtent jamais pour penser, – il se peut qu’ils aient peur […] des poltrons, des vaniteux, des affairés, qui avancent dans l’obscurité… » Le seul souvenir qui la hante conjugue encore Eros et Thanatos dans un tableau saisissant, presque cinématographique ; elle se revoit sur les remparts de Troie, nue sous ses voiles, tandis qu’en dessous les rivaux s’affrontent, Troyens et Achéens ensanglantés, et Pâris agonisant. Elle domine le carnage, « avec une fleur entre [ses] seins, et une autre à [ses] lèvres qui cache le sourire de la liberté… » Déjà, défiait-elle la mort : « Je m’offrais comme cible ». Quant au retour à la vie conjugale, elle n’avait nullement renoncé aux revendications féministes. Jusqu’à la provocation : « Ménélas […] était devenu nerveux […] Quand il mourut, il me manqua beaucoup – me manquèrent surtout ses menaces imbéciles. » A l’évocation de la dernière fleur tombée des lèvres, la parole se fige. Didascalie en guise d’épilogue : le visiteur dans la nuit se perd dans le gouffre de l’escalier : « comme s’il descendait dans un puits profond… » Les cris des servantes donnent l’alerte. La police pose les scellés tandis que le fourgon s’éloigne vers la morgue ! « Une lune fallacieuse » éclaire les statues, toutes, représentant Hélène dans son intacte beauté. Le visiteur désemparé s’interroge : « Où irait-il à présent ? »

Hymne à la beauté, peut-être, mais pas à celle qu’on croyait. Avec le naufrage affectif et physique d’Hélène, c’est encore à la poésie que Ritsos reste fidèle, celle qui rend à l’homme humilié sa dignité et qui seule le réconcilie avec le monde.

Traductrice éminente de l’œuvre de Ritsos, Anne Personnaz, dans sa préface, apporte un intéressant éclairage contextuel. Elle y rappelle notamment ces mots brûlants du poète, captif à Léros, clamant deux ans plus tôt dans son recueil Pierres, répétitions, barreaux : « Nos seuls titres, trois mots : Makronissos, Yaros et Léros. Et rappelez-vous que nos vers furent écrits sous le nez des gardiens, et la baïonnette toujours sur notre flanc. »

*L’homme à l’œillet (hommage au dirigeant communiste Beloyánnis, fusillé le 30 mars 1952, un œillet à la bouche)

Michel MÉNACHÉ

Dans LA MONTAGNE du 17 juillet 2016

DÉFENDRE LA MÉMOIRE DE JEAN DE BONNEFON ?

C’est la question à laquelle Christian GURY, avocat honoraire à la Cour d’appel de Paris et essayiste érudit, a répondu avec panache, lors de la conférence qu’il a donnée à la salle des fêtes de Calvinet, vendredi soir, à l’invitation de François Danemans, maire, et de l’association Nix&Nox.

Devant une soixantaine de personnes, l’auteur a présenté en détail la personnalité fantasque de l’ancien maire de Calvinet, type de l’excentrique de la Belle Époque dont l’aplomb et le culot ne tenaient pas uniquement à ses 145 kilos, mais à une culture indéniable, mâtinée de ragots et de rumeurs.

Jean de Bonnefon pouvait tromper ses interlocuteurs et ses lecteurs. Beaucoup d’entre eux ne le pardonnaient pas au dandy qu’il était, surtout quand il s’agissait d’hommes d’Église, dont il connaissait tout de la vie personnelle. La vraisemblance de ses écrits et de ses reportages était telle qu’on avait grand peine à y opposer un démenti autrement que devant l’institution judiciaire.

Jean de Bonnefon fut un éclaireur de la République. Si sa participation à l’élaboration de la loi de Séparation de l’Église et de l’État de 1905 peut laisser dubitatif, il eut l’audace dans sa commune de remplacer la croix de la fontaine publique par la statue de la Liberté éclairant le monde.

Le conférencier, auteur de L’étrange Jean de Bonnefon ou le journalisme à l’estomac, récemment publié dans la collection Documents d’ErosOnyx Éditions, apporte une lumière et une couleur saisissantes sur le polémiste né à Aurillac, non seulement sur sa vie parisienne, mais aussi sur son mandat de maire de Calvinet de 1908 à 1928.

Jean de Bonnefon n’aurait-t-il pas encore beaucoup de leçons à donner à notre époque ?

Les sources, nombreuses et inédites, renforcent l’attrait et l’intérêt de cet ouvrage.

➢ L’étrange Jean de Bonnefon ou le journalisme à l’estomac par Christian Gury est publié aux Éditions ErosOnyx. En vente à Aurillac à la librairie Point-Virgule, à Calvinet à la superette 8 à 8 et dans toutes les bonnes librairies et sites de vente en ligne.

Je me souviens du film de Stephen Frears, My…

Je me souviens du film de Stephen Frears, My Beautiful Laundrette , sorti en France le 3 septembre 1986. Je m’en souviens tout spécialement parce que, plus qu’un autre, à ce moment précis de ma vie, il m’a profondément marqué et ce indépendamment de ses qualités intrinsèques.

Il ne s’agit pas en effet ici de donner une critique proprement cinématographique du film que, d’ailleurs, je ne tiens pas à revoir, ma mémoire m’ayant suffisamment conservé, outre un certain nombre de scènes, ce qui en constitue à mes yeux l’essentiel : l’effet qu’il a eu sur moi, cet impact sur ma sensibilité et mon imagination qui m’est encore perceptible aujourd’hui.

Sans doute s’est-il produit alors ce genre de conjonction assez mystérieuse, et peut-être au fond inexplicable, entre une œuvre de fiction et une existence à un stade donné de son évolution. Une sorte de connexion immédiate, évidente, la rencontre soudaine et parfaite d’une œuvre et de celui qui la reçoit, comme une reconnaissance de l’une par l’autre qui ne pouvait survenir qu’à ce moment-là, entre cette œuvre-là et cette personne-là.

En 1986 j’ai vingt-six ans et je vis seul à Paris. Je sais depuis toujours que je suis homosexuel mais mon éducation, mon tempérament, l’absence également d’un modèle positif auquel me référer ne m’ont pas préparé à vivre ce qu’au plus profond de moi je recherche : l’amour des garçons.

Même si cela fait plusieurs années que j’ai échappé au contrôle de mes parents, moi leur seul enfant, même si je vis dans la capitale après avoir quitté un Bordeaux assoupi, encore étudiant, je reste dans un relatif isolement, entouré seulement de quelques camarades d’études, filles autant et peut-être plus que garçons.

En réalité je préfère la solitude -ce face à face singulier avec soi-même- pour la liberté exceptionnelle qu’elle procure. Rentrer seul dans mon studio et, une fois la porte refermée, sans témoins, sans regards extérieurs, sans contraintes hormis celles que je me donne, savoir que je suis totalement libre. De rêver allongé sur mon canapé, de lire, d’écouter de la musique, d’écrire, de nourrir cette voix intérieure qui ne me quitte plus depuis l’âge dit de raison, aux alentours de ma septième année, et que je n’entends pleinement que seul. Mais sur cette ligne de crête où tout est plus intense, où le moindre événement prend une importance cruciale, où d’innombrables sollicitations risquent à tout instant de rompre le cercle magique, il faut être fort et je suis faible. Je veux moi aussi descendre dans l’arène.

J’ai soif de rencontres, les garçons m’attirent, je les désire et en même temps je suis tenaillé par la peur, je n’ose aller vers eux. Me retiennent toutes ces caricatures, ces clichés qui traînent partout, aggravés de mes propres préventions dues à l’ignorance et à la honte. Des histoires sordides me reviennent en tête, des remarques, des jugements, tout un ensemble de paroles prononcées comme autant de mises en garde, de menaces. L’homosexualité, c’est la marge, c’est la relégation, c’est l’opprobre. Et ça peut être le crime, le gigolo ramassé au coin de la rue et qui vous poignarde sous la douche pour vous voler. Si je veux malgré tout vivre ainsi, si tout mon être me crie que je suis entièrement, définitivement gay, je dois d’abord abattre ces murailles mentales. Je dois d’abord me vaincre moi-même.

C’est alors que je vais voir au cinéma My Beautiful Laundrette de Stephen Frears. Et que j’ai une révélation. Non, l’amour entre deux garçons que précisément tout oppose – la couleur de peau, le milieu social, les engagements – ne conduit pas fatalement à l’échec, au chagrin, au drame. Ni suicide ni mort violente. Au contraire cet amour est possible malgré tous les obstacles qui se dressent devant lui, qu’ils soient individuels ou collectifs. Le bonheur est aussi pour Omar et Johnny. Il n’y a plus de « douloureux problème », de handicap particulier à surmonter. Deux garçons s’aiment naturellement, voilà tout. C’est un magnifique pied de nez à tous les déterminismes qui pèsent sur nos vies et trop souvent les orientent, qu’ils soient sociaux, politiques ou religieux.

Après ce film je ne suis plus le même. Je me sens plein d’espoir, enthousiaste, délivré d’un énorme poids. L’interdiction est tout à coup levée, la peur envolée. Ma vie, la vie à laquelle j’aspirais depuis si longtemps, est devenue facile, comme si le film avait changé ma perception des choses et des êtres, comme s’il m’avait transformé. Je sors, je fais des rencontres, je suis heureux. Libre d’une liberté, certes, autre que dans la solitude mais qui me manquait cruellement. J’ai l’impression, quand je me retrouve avec tous ces garçons qui partagent mon désir, et plus que cela, une façon d’être, un état d’esprit, quand je danse au milieu d’eux ou bois un verre en leur compagnie, qu’après des années d’exil je suis de retour chez moi. Dans « my beautiful laundrette ».

André Sagne
14/07/2016