Si vous allez à Clermont-Ferrand, un salon de thé… La BerGamoThée

A Clermont-Ferrand, un endroit différent. Dès la porte franchie, on s’y sent bien. Différent aussi qu’on prenne le temps de manger, de manger autre chose, différemment, en buvant des thés dont le nom seul donne envie de les goûter. La BerGamoThée n’est d’ailleurs pas qu’un salon de thé, pas qu’un restaurant, c’est aussi un endroit où, au sous-sol, dans une salle confortable, meublée de canapés profonds, aux murs tendres décorés cet hiver de personnages troublants comme une strip-teaseuse entièrement faite de dessous féminins recyclés, on peut trouver des livres, voir une exposition, écouter des poèmes ou des chansons…

Dans YAGG du 12 décembre 2015, GARCIA LORCA

Sonnets de l’amour obscur, Federico Garcia Lorca, Eros Onyx, 80 p., 15€.
Traduction nouvelle d’Élodie Blain

Entre nous deux, de ton cœur à mon cœur
Un souffle d’étoiles, un frisson de plante
Une épaisseur d’anémone évente
Un an tout entier d’obscure douleur.

Quatrain extrait d’un des onze sonnets du grand poète espagnol, délibérément tué à 38 ans, en 1936, par les nervis de Franco, parce que Républicain (un vrai, pas à la sauce sarko) et homosexuel. Présentée dans un écrin bilingue de très belle facture par ErosOnyx, cette part de l’œuvre du poète et dramaturge toujours célébré quand Franco est exécré, passionne pour au moins deux raisons: la beauté de fiévreux sonnets d’amour lyrique, teintés de surréalisme, et par la postface indispensable d’Yvan Quintin.

Yvan Quintin démonte (avec quelle acuité!) les tentatives récurrentes de faire de Lorca un poète hétérosexuel, comme ce fut entrepris pour les sonnets de Shakespeare! L’éditeur illustre les sonnets de reproductions de magnifiques toiles érotiques de Luis Caballero… Un grand petit livre dont on comprend que les 500 premiers tirages aient déjà trouvé aficionados…

Comme j’ai peur de perdre la merveille
De tes yeux de statue, et l’inflexion
Que vient souffler la nuit à mon oreille
Rose sauvage, ta respiration.

HANNES STEINERT : une rétrospective à Sindelfingen (Allemagne)

HANNES STEINERT : une rétrospective à Sindelfingen (Allemagne)
71063 Sindelfingen (près de Stuttgart)
Tel.: 07031/94 392

Hannes Steinert expose jusqu’à la fin mars une rétrospective de ses œuvres. L’artiste se consacre aux sujets classiques, nature morte, paysages, vues de villes, humains, en particulier sous l’angle homoérotique. Sous vitrine, on y trouve aussi, comme le montre la photo ci-dessous, les livres qu’il a illustrés chez ErosOnyx et ailleurs.

On remarquera en haut à droite H comme…, au premier plan Mythologie gayment racontée et Une semaine, sept jours, au-dessus, vu à l’envers, Amours garçonnières.

Les autres titres sont des publications allemandes dont la plaquette Plaisir d’amour, édition trilingue, publiée à Hambourg en 2008, chez Mannerschwarm Verlag.

galerie@sindelfingen.de
www.galerie-sindelfingen.de
www.facebook.de/GalerieSindelfinge
Tel.: 07031/94 392

STAND (2014) de Jonathan Taïeb

Ce serait déjà tout à l’honneur de Jonathan Taïeb de nous rappeler, à l’époque du « mariage pour tous » en France et dans vingt autres pays du monde – selon Wikipedia au jour où sont écrites ces lignes -, qu’on tabasse à mort les gays russes, surtout depuis qu’a été promulguée en Russie, sous l’impulsion de Vladimir Poutine, en juin 2013, une loi punissant tout acte de « propagande pour les relations sexuelles non traditionnelles devant mineur », loi qui est vite devenue un véritable appel au meurtre et un véritable outil de déculpabilisation pour une homophobie radicale à l’œuvre en Russie bien avant 2013.

Le film évoque de loin au début et reconstitue plus en détails à la fin une scène de passage à tabac qui pourrait bien se terminer par un crime. Cette scène, Jonathan Taïeb, comme des milliers d’internautes, l’a vue se dérouler pour de vrai dans une vidéo diffusée sur un site russe, vidéo approuvée par des foules de “likers”. Ce choc fut l’idée de départ de son film pour alerter l’opinion internationale sur la banalisation de cette barbarie insoutenable et pourtant encouragée par la loi russe de juin 2013.

Dans le film, dans un paysage de taïga enneigée, quatre hommes d’âge mûr et sans masque barbouillent de bleu le visage d’un jeune homme et lui défoncent de coups de poings et de pieds le visage, le crâne et le corps. Il faut savoir que le bleu, au début du XXe siècle, était la couleur liée aux homosexuels, en fait un bleu très raffiné, puisque le mot “golouboï” qui les désignait avec une élégante ironie teintée de mépris semble venir de “goloub”, le pigeon, par référence à la couleur gorge-de-pigeon, faite d’un mélange de bleu ciel, de rose mauve, de violet et de gris… Mais on est loin de ce raffinement proustien avec les homophobes assassins de la Russie contemporaine montrés dans le film Stand, puisque la tête de la victime y est passée à la peinture bleu cru. Un bleu troué de sang. Un corps et un visage bourrés de coups.

Déjà pour son militantisme, il faut voir ce film tourné clandestinement en Ukraine, à Kharkov et dans ses environs, à quelques kilomètres de la Russie, avec une équipe des plus réduites. Les lieux ni les dates n’étant jamais précisés, cette Russie devient en fait une terre universelle et intemporelle qui justifie la phrase de Jonathan Taïeb prononcée lors d’une interview donnée au magazine Qweek, en décembre 2015 : « Malheureusement, des homophobes violents, il y en a partout. » Projeté au Festival Chéries-Chéris en novembre 2014 à Paris et dans les festivals LGBTQ les plus renommés, partout où il était projetable, le film a reçu le soutien d’Amnesty International, est sorti en salle à Paris au printemps 2015 un peu fugacement et confidentiellement mais le voilà, depuis novembre dernier, disponible en DVD chez Épicentre films, distributeur cinéphile et hardi, à citer et encourager, au même titre que Carlotta, Outplay, Wild Side, KMCO, Blaqout, Shellac… sans oublier Potemkine et peut- être quelques autres. Comme le dit le visuel du DVD de Stand, ce film est d’abord un film coup de poing contre la haine et il fallait oser le tourner là où cette barbarie est commise régulièrement et impunément à visage ouvert !

Mais Stand ne vaut pas seulement par sa militance percutante. Il a aussi le troublant pouvoir de ne pas nous laisser tranquilles avec cette seule révélation – déjà atroce en elle-même – que, sous certains homophobes, se cachent des assassins en puissance et en attente de lois qui puissent donner à leurs crimes impunité et même vanité de les commettre. Stand invite le spectateur consentant à une réflexion sur les enjeux de l’engagement moral et politique, les voies diverses de la prise de conscience d’un crime légalisé, la répercussion de cette prise de conscience sur notre rapport avec les autres, et tout particulièrement avec l’autre dans le cadre du couple. L’engagement est-il compatible avec la solidarité et l’amour partagé ? Ne nous voue-t-il pas à la solitude ? Pour reprendre le jeu de mots d’Albert Camus – jeu de mots qui n’est pas une pirouette pour éluder la question – dans une des nouvelles de L’exil et le royaume, l’engagement véritable ne nous oblige-t-il pas à être constamment en péril, tour à tour solidaire et solitaire ?

Stand commence dans le feu de l’action : Vlad et Anton sont en voiture quand ce dernier, derrière la vitre, aperçoit une scène de violence que la caméra, de l’intérieur du véhicule, laisse off, mais que l’on devine aussi terrible que celle, in, à laquelle la caméra nous fera assister à la fin du film. Un choc contre la carrosserie, au début du film, sonne comme un appel au secours. Anton hurle à Vlad qui est au volant de s’arrêter mais Vlad a ses raisons de préférer s’éloigner. Et pourtant Vlad n’est pas un lâche : quand le couple des deux garçons apprendra qu’une agression commise dans leur ville s’est achevée par la mort à l’hôpital d’un jeune homme, sans qu’on puisse connaître ni les coupables ni le motif du meurtre, le couple fera immédiatement le lien avec le souvenir tout frais de la bagarre qui ouvre le film. Vlad se lancera avec la même ardeur qu’Anton dans l’enquête qui pourrait seule délier les langues et faire éclater l’unique motif homophobe d’une mort aussitôt frappée d’omerta. Même la mère de Nikolay, la victime, se mure dans un chagrin qui a sa part de honte, comme si son fils avait mérité son sort dans une Russie redevenue aussi crapuleuse que l’URSS des purges et des camps au temps de Staline, avec aujourd’hui l’approbation de l’église orthodoxe.

La prise de conscience de cette crapulerie ne se fait pas de la même manière chez les deux hommes : on pourrait la dire plus intellectuelle chez Vlad, plus instinctive chez Anton, plus cérébrale chez le premier, née en plein cœur chez le second, comme montée de ses tripes. Ainsi va s’insinuer au fil du film et de l’enquête dans le froid d’une ville triste – déjà oppressante en elle-même – un autre poison, intime celui-là, le poison d’un mépris qui va croissant, le mépris d’Anton à l’égard de Vlad. Le clin d’œil à l’ouverture du film de 1963, Le Mépris, de Godard, avec son fameux blason érotique de Bardot demandant à Piccoli s’il aime telle ou telle de son corps qu’elle détaille de la voix pendant que la caméra les caresse, ce morceau d’anthologie, Jonathan Taïeb nous en donne une brève version garçonnière, en nous laissant contempler, dans une lumière tamisée également mais en plan fixe, la nudité d’Anton couché comme Bardot sur le ventre et posant une ou deux questions semblables à Vlad. Or, ce clin d’œil n’est pas que cinéphilique. Anton, progressivement, pris dans l’étau d’une obsession et d’une culpabilités diffuses, rejeté par son père, incapable de la distance pourtant lucide de Vlad, en vient à vouloir passer à l’action directe, au besoin d’infiltrer le milieu homophobe avec un micro fixé à même la peau. Son isolement progressif le coupe de plus en plus de Vlad, sans pouvoir le lui dire, pour ce qu’il ressent comme la lâcheté de la scène d’ouverture. La quête d’Anton devient de plus en plus solitaire même si l’on voit Vlad, assailli d’angoisses devant la détermination suicidaire d’Anton, le seconder comme il peut. Un mépris longtemps refoulé se glisse entre eux.

Lors d’une fête où il s’est saoulé pour enterrer ou libérer ses démons, Anton lance au visage de Vlad qui vient de le rejoindre : « Je ne peux plus continuer comme ça. Tu comprends, tu as tué un homme ». Vlad lui répond par un coup de poing en pleine figure mais rien n’est exorcisé. Au contraire, Anton avance dans son labyrinthe intérieur où l’entraîne un étrange besoin de mise au clair et de sacrifice mêlés. Le choix des deux acteurs est d’ailleurs éloquent : le visage d’aventurier tatar d’Anton tranche avec la beauté slave de Vlad, plus sage, même s’ils ont en commun le feu clair de leur yeux. Jamais Taïeb ne souligne, ne clarifie, dans ce film souvent nocturne où la caméra titube et s’agite, portée par le metteur en scène comme Anton porte son micro, dans l’anonymat d’une mission secrète à accomplir. Taïeb nous laisse libres d’aller jusqu’où nous voulons dans un mystère psychologique aussi dense, dans la tête d’Anton, que la noirceur sociologique d’une ville où le luxe de quelques hôtels côtoie la misère qu’Anton vit et assiste dans son travail d’aide ménager pour personnes âgées, une ville dont la jeunesse est fascinée par l’Occident, menacée aussi par de noires filières du crime comme celle qui se met petit à petit en place dans Stand. On est loin de la tolérance qui a prévalu en Russie dans les années 1990 et 2000, quand le public français voyait des films de Pavel Lounguine qui pouvait encore dénoncer la montée de groupes fascistes à Moscou dans son Luna Park (1992) ou encore la dictature d’Ivan le Terrible dans le somptueux tableau de l’horreur qu’est Tsar (2009). On frémit d’ailleurs de se demander ce que l’ordre policier qui se met en place peut réserver à cet Eisenstein de la Russie d’aujourd’hui.

Anton, avalé par son propre gouffre, veut se jeter dans la gueule du loup et accepte la proposition d’Andrey, garçon mystérieux dont nous découvrons dès le début du film qu’il en est la voix off (visiblement gay comme Anton qui lui avoue pendant un dîner en tête à tête : « Le désespoir, c’est d’être gay en Russie », mais le vivant tout autrement : « … et moi, j’avais du recul sur ce qu’il me disait ». Cet ange noir a été vaguement informé de la « quête » d’Anton par une amie commune, Katya. Il sent son « âme égarée » et accepte d’ « apporter une pierre à son édifice », d’être « le messager qui le relie à son destin ». On nous montre sans l’once d’une réprobation la vertigineuse dualité de ce gay qui va se révéler pourvoyeur d’appâts pour les tabasseurs de pédés. Et Anton consent à être un de ces appâts pour savoir comment fonctionne le piège et ressentir aussi le calvaire des victimes, non seulement il y consent mais il désire l’ordalie. Il n’a peur de rien, Jonathan Taïeb, ni de semer les énigmes dans son film qui est un puzzle de plus en plus organisé et passionnant au fil des visions, ni de déplaire aux militants manichéens de la cause gay. Comme Alain Guiraudie avec L’Inconnu du lac, il explore des gouffres devant lesquels on reste béants et un homo avec sa caméra peut devenir Virgile dévoilant à Dante les arcanes des Enfers de la réalité.

Et l’on reste avec ses questions, avec la peur de leurs réponses. Quel motif profondément enfoui a pu pousser Anton à devenir la proie volontaire des quatre monstres à visage découvert de la fin du film, à affronter le calvaire en une sorte de Christ profane qui a dit un jour à Andrey : « … ils ne m’auront pas, même s’ils me tuent » ? Comment Andrey, visage franc et écharpe rouge, qui conduit Anton sur les lieux du supplice et lui crie « Cours ! » quand les écorcheurs se montrent, a-t-il pu se faire doublement complice, d’Anton bien sûr comme la voix off nous y prépare, mais des criminels aussi qui le laissent filmer la scène pour qu’elle devienne sur le Net une ce ces “safari parties” qui font leur gloriole ? On rejoint là le point de départ de l’idée du film : qui a pu filmer la vidéo de la Toile sans crainte d’être inquiété ? Un simple complice des homophobes qui n’aurait peut-être pas pris le risque de les filmer à visage découvert, par crainte d’une enquête même de moins en moins risquée après la loi poutinienne de juin 2013 ? Ou un hallucinant stratège du milieu gay qui a vu – dans la double complicité périlleuse avec les bourreaux et une victime consentante pour des raisons à jamais complexes – un moyen de mettre des images à la portée des internautes du monde entier, de ceux qui se régalent de l’horreur filmée pour de vrai mais aussi de ceux qui pourront prendre conscience et donc réagir ?

Réagir comme Taïeb qui tient à la fois d’Anton et de Vlad, de la blessure à vif du spectacle du crime, comme s’il l’avait vécue dans sa chair et voulait la faire vivre à son public dans la longue scène de chasse et d’acharnement de l’avant-dernière scène du film, mais aussi de la réflexion plus distanciée qui permet d’organiser l’existence périlleuse d’un film incroyablement culotté, tourné à la barbe des bourreaux et montré dans des pays où les droits de l’homme ont encore un sens. On est face à un film de militant et d’artiste à la caméra constamment inventive : par exemple dans la toute dernière scène, la caméra est dans les yeux d’Anton, elle passe du knock-out sur des croûtes sanglantes de neige à un très lent redressement qui tient de l’exploit, et se fait dans la solennité vigoureuse de l’ouverture du Tannhäuser de Wagner, musique qui nous saisit après un film sans musique, résurrection d’adolescence vive pour échapper au silence de la mort frôlée et permettre à Anton ce qu’il n’arrivait pas à faire avec Vlad : « stand », « se mettre, se tenir debout » !

Pierre LACROIX février 2016

« Amour perdu » de William Cliff, Le Dilettante, 2015, Prix Goncourt de la Poésie Robert Sabatier 2015

Amour perdu est paru au printemps 2015 chez un éditeur de livres soignés et singuliers, Le Dilettante. Dans la vitrine des Mots à la Bouche, le livre aimante.

Avant même de l’ouvrir, j’aime son format de poche et sa couverture à grands rabats. Une couverture rouge au lettrage manuscrit. Sur le fond vermillon, une diapositive Kodak dont le négatif est devenu positif, un corps en noir et blanc. L’un des rabats nous apprend qu’il s’agit de l’auteur dans les années 80 : William Cliff, en slip de bain, offre aux lecteurs la silhouette de sa fière maturité, entre des herbes sauvages et un fond maritime. On recule dans le temps : la diapositive, les lettres à la craie, le mot perdu…Il est beau, le baigneur de cette plage non loin d’Ostende, dans la virile délicatesse de sa pose de statue, en une contre-plongée qui le nimbe de joncs, de vagues et de ciel. Le kouros qui pose, tête inclinée, est bien vivant, cheveux longs sur le front et dans le cou, torse glabre, slip noué à la taille, au-dessus de la bosse du sexe, par un lacet blanc qui invite à le dénouer. William Cliff, sur un plateau de télévision, un soir, m’avait déjà fait penser à l’Ascylte de Fellini-Satyricon, le brun des deux éphèbes toujours en chasse de nouveaux horizons, de nouveaux plaisirs, jusqu’à ce que les ahurissants voyous, le blond et le brun, viennent se fixer, au dernier plan du voyage, sur une immense fresque fissurée. Oui, c’est bien ça, la photo sur la couverture d’Amour perdu le dit encore, il y a de cet Ascylte en William Cliff.

Narcissisme de cette couverture, diront les chagrins de corps et d’esprit. Surtout pas ! Un retour plutôt sur une grâce physique perdue peut-être mais offerte pour toujours sur cette couverture, jeunesse de chair, de soleil et de grand ciel qui se donne là, à toutes les mains qui ouvriront ce livre, une jeunesse qui ne veut pas mourir et dont les poèmes du livre vont garder le vif, comme la fresque fanée et pourtant vive dans le vent de la fin du film de Fellini.

À lire Amour perdu à haute voix, on déambule dans une galerie de diapositives d’un passé plus ou moins lointain, dont la présence est chaudement vivante grâce à l’alchimie des vers, alchimie bizarre d’une poésie à la fois ancienne de tournure et pourtant nouvelle, travaillée et bourrue, lissée et fricassée, rimée et libre de son absence fréquente de ponctuation, libre surtout de ses enjambements qui peuvent parfois casser un mot sur deux vers, caresseuse et violente, portée par un lexique de couleurs, de mots crus rehaussés par leur rareté, hantée par l’ordure du beau et le beau montant de l’ordure, tantôt à tire d’aile, tantôt vouée à la mouise, une poésie où l’ange et la bête n’en finiraient pas de s’étreindre tendrement et brutalement, à s’en extasier et à s’en désarticuler !

Né en 1940 à Gembloux en Belgique, fils d’un dentiste qui dut plomber beaucoup de dents pour faire vivre une famille de neuf enfants, nourri d’un humanisme gréco-romain passé par le tamis catholique, étudiant au parcours difficile, peut-être déjà trop sensible et sensuel pour un parcours d’étudiant cérébral, William Cliff s’affirme en rédigeant un mémoire de Licence sur le poète catalan Gabriel Ferrater (1922-1972) qui devient son maître en une poésie qui ne se coupera jamais du quotidien. Raymond Queneau ouvrira les portes de la maison Gallimard à ce garçon bouillant et obstiné, résolu à vivre sa vie comme à écrire sa poésie. William Cliff est aussi romancier et traducteur, auteur d’une œuvre féconde depuis 1973. S’attarder sur Amour perdu est pour moi la belle occasion de célébrer l’éternelle adolescence d’un poète qui, à soixante-quinze ans, loin d’être l’ombre de lui-même, demeure d’une élégiaque verdeur.

Au fil des poèmes de cet Amour perdu, se dessinent les spleens et les idéaux qui travaillent Cliff, son univers déroutant de paradoxes et fascinant de par ces mêmes paradoxes, où la chair et le catéchisme s’entrepénètrent en un amour obscur et lumineux, perdu et sans doute pas vraiment perdu, pas seulement perdu.
Il a su dépasser la vergogne silencieuse à laquelle sont toujours voués, en province surtout, les garçons amoureux des garçons.

Hélas ! j’étais si malheureux alors
que je ne pouvais pas le moins du monde
penser donner quelque bonheur alors
que je rampais moi-même dans la honte
[ Louvain ]

Et puis, il y a ces mots variés qui, dans le recueil, nous peignent le fond de détresse sur lequel s’est toujours détachée la fureur de vivre chez Cliff.

je remercie ce bar nocturne qui
souvent m’a soulagé quand la géhenne
de quelque ennui horrifiait ma nuit
[« The Slave »]

car que faire ? que faire ? quand l’amour est morte
et referme sur nous de toute part sa porte ?
[Sa baraque]

car dans la vie on aime que vous happent
certaines choses un peu dégoûtantes
qui font sortir de l’ennui ordinaire
[ Une ville]

à Buenos Aires dans la rue où j’er-
rais en traînant mon horrible cafard.
(…)
Hélas ! juste avant je m’étais branlé
tout seul dans ma chambre et fort déprimé
je ne me sentais vraiment pas d’attaque
[Buenos Aires]

Certains soirs le cafard me prend et me ravage,
quand l’hiver se prolonge et pèse et que la ville
est noire et que ma chambre est noire et que le temps
qu’il reste à vivre semble un long sombre couloir
[Le cafard]

Le temps, bien sûr, en plus de l’ennui, devient de plus en plus, avec le temps, l’obsession lancinante.

je sens mon vieux vaisseau faire eau de toute part [Frédéric]

et que par votre amour mon âme soit contente
et n’ait plus à pleurer le temps qui comme un trou
horrible s’ouvre devant ma route implacable
[Le Rédempteur]


Oh ! tu es fatigué aujourd’hui tu ne veux
pas venir dormir contre mon être qui flanche
sous le temps qui a tant maltraité mon cheveu
qu’il est devenu blanc comme la cendre blanche
[Olivier]

dommage que j’aie peur que tu ne voies mon âge
sinon je te prierais de revenir chez moi
[Longs cheveux]

ensemble nous levions à travers la fumée
nos verres pour y faire noyer la pensée
trop claire qui nous crie lorsque la nuit commence
:
« Ami, viens par ici, c’est ta dernière danse. » [La Dernière Danse]

Mais, pour échapper au cafard et au temps, il a toujours été infatigable fugueur, William Cliff.

à cause qu’on voyait dans mes yeux cet éclat
angoisseux de l’enfant qui est parti léger
et qui espère que l’on sera bon pour lui
[ En ce temps-là]

Et justement, la vie a été bonne pour lui. En voyages, en bains de villes et de soleils, sur les traces du vagabond impénitent, en pays comme en amants, à la mémoire de qui William Cliff tressa en 1990 une couronne de dizains inspirés de la Délie de Maurice Scève : Conrad Detrez.

je sentais le bonheur exister sur la terre
la propreté partout luisait comme le verre,
il me semblait qu’ici l’on vivait la vraie vie.
[Le Brésil]

plus j’avançais dans la tourmente urbaine,
plus je sentais revenir mon bonheur
[Fin de semaine]

je vais désormais par toutes les villes
cherchant ton corps dans mes millions de frères
.[Buenos Aires]

Ton corps dans mes millions de frères : on est là au cœur de la quête incarnée et surnaturelle à la fois du vagabond des sens que fut et que reste William Cliff. Chez lui, se perdre dans la merveille des autres hommes – sans nulle crainte des périls – c’est toujours frapper à la porte de quelque chose de plus grand qu’il est déjà beau de pressentir. C’est par le corps qu’on entrevoit Dieu. Il y a toujours un fond de catéchisme dans sa gourmandise sensuelle. Ce leitmotiv, il le réinvente sans fin en une langue de la révélation et de l’organique, du sacré et du cru inextricables.

Quoi de plus doux pour apprendre quelqu’un
que de connaître son organe intime :
alors la fascination qu’il nous donne
de douloureuse devient chose bonne.
[Un rhétoricien]

nous frottions nos rêves sur la viande
de ces cuisses grandes dont l’élégance
nous fascinait tant que toute la vie
nous l’aurions passée dans cette infinie
envie de sentir nos lèvres pulpeuses
sur la peau de ces cuisses enfin mises
à la merci de nos pieuses muqueuses.
[Un louis d’or]

Et pourtant je l’adore presque avec terreur
(car on ne peut adorer que Dieu ici-bas),
(…)
Son entrecuisse sombre où je fais des suçons !
[Olivier]


et nous qui touchons ton être
et le mangeons tour à tour,
nous remercions la Terre
de l’avoir fait naître un jour :
béni soit le grand miracle
qui t’a fait sur terre naître
(…)
Qu’à jamais reste en notre âme
le souvenir de ta peau

(…)
Oui, que reste ta présence
En notre âme et qu’à jamais
Ton souvenir nous encense
[Un Anglais]

Dieu sait sur quel lit nous avons été
Serrer la nudité de nos corps d’hommes !
[Un calviniste]

Et au matin quand nous sortions du lit,
nous avions des érections merveilleuses
par tous les rêves qui s’étaient blottis
dans tous les plis de nos tendres muqueuses,

Ensuite nous allions chanter les laudes
du Créateur lequel fait le soleil
tous les matins les uns après les autres
réémerger ses enfants du sommeil
[Collège de la Hulle]

Ah ! le corps de l’homme est parfois si bien bâti !
oui, rien qu’à le croiser on l’aime comme un frère
tant qu’on remercie Dieu qu’il nous ait imparti
de naître et de souffrir sur la planète Terre

[Beauté du corps humain]

Merveille du corps humain, certes, mais qu’on n’aille pas croire que William Cliff n’aime que les éphèbes helléniques, académiques et hygiéniques. Tout comme, pour connaître l’autre en amour, il faut lui donner sans honte tout son corps, tous les dehors, tous les dedans, toutes les humeurs, tous les goûts et toutes les odeurs de son corps, désirer, chez Cliff, c’est aller vers des présences qui répondent à des affinités, bien sûr, des partenaires de débauche, mais surtout savourer tout du corps aimé, comme s’il fallait passer par toutes les réalités d’un corps pour y goûter vraiment, pour en avoir l’extatique révélation. Les crudités du vocabulaire sentent bon comme sentent bon les zones les plus obscures des corps déshabillés, offerts au désir, libres de leurs masques et de leurs habits. On dit « je t’aime » avec son orteil mieux qu’avec ses lèvres. La transe est toujours gluante. La sueur, les poils et le sperme ont alors la même odeur que le cœur.

Sa chemise bleue était trempée de sueur [Une chemise]

et combien saccadantes étaient ses gluances [Pittsburgh]

gloire à Dieu pour tes deux bras
quand ils s’ouvrent vers le haut
pour qu’on lèche n’est-ce pas ?
j’aime tant que tu gémisses
en sentant dans mes muqueuses
ta belle queue paresseuse
se gonfler et se dresser

(…)
et combien bon est ton cœur
avant qu’il jette son sperme !
[Un Anglais]

Ensuite je suçais ce jeune homme moderne
qui m’envoyait dans la gueule ses jets de sperme

[Jeune homme moderne]

Un Français s’en est pris à mon anatomie
un gros Français du Nord de passage en Belgique
et qui avait (disait-il) l’avide manie
qu’on arrose son torse de fouttre érotique.
[Un Français]

avec ton beau corps d’Italien couvert de poils [Raphaël]

Jean Sturm je me souviens
de tes pieds qui puaient,
de ton beau corps suant
d’où sortait ton odeur,
je voyais tes orteils
dans tes sandales sales
[Jean Sturm]

Alors entrèrent de jeunes adolescents
avec entre leur jambes leur sexe qui pue
(…)
L’un d’eux ouvrant des yeux sombres comme des gouffres
avait autour du corps une auréole d’ange
[Au restaurant]

Les arbres sont des poils de l’aisselle du ciel
mais je préfère les tiens (…)
Et j’avais désiré les lécher pour avoir
leur odeur et le goût de ta transpiration,
c’est que tout semble bon dans ta chair printanière,
la profondeur de ton regard me navre, la
gentillesse de tes lèvres me fait rêver
que je pourrais un jour peut-être t’embrasser
et tes fesses, ton torse, et le trou de ton cul…
[Jeune voisin]

N’avoir peur de rien dans sa transe. Aimer ce qui nous damne puisque c’est de la boue que montent les anges, qu’il faut passer par les viscères pour aller jusqu’au cœur, croiser des charognards de messe étrange, des maronnes de charmants salauds pour voir plus haut. Et tant pis si la réalité écœure parfois, si l’on croyait à l’amour et qu’on s’est senti prostitué. Et tant pis si l’on croise parfois des crapauds dans les bars des flots noirs

(…) où certains voudraient ne pas montrer la chute
qu’ils font pour combler leur fondement trop humide

[Le règne des crapauds]

Tant pis si l’on regrette un soir d’avoir fait tous les voyages et que le monde n’ait plus la vertu de vous faire rêver et désirer toujours. Car ce qui reste au fond du creuset du grand œuvre de la vie et du grand œuvre de la poésie, c’est l’or du rêve, la foi en ce qu’on a perdu mais entrevu. William Cliff n’est pas un jouisseur banal, pas un Casanova fellinien au sperme froid. Il sait, le soir venu, que bien des rencontres auraient pu aller plus loin, qu’il cherchera toujours l’Amant, qu’il aimerait pouvoir dire nous, qu’il faut souvent se résoudre à du conditionnel quand on aimerait bien faire surgir le présent de son passé.

Tu étais un garçon solide et orgueilleux
qui n’avait pas besoin de relation durable
par quoi tu es parti comme un rêve qui passe
sauf qu’aujourd’hui, trente ans après, je m’en souviens.
[Raphaël]

Nous dormirions ensemble enlacés peau à peau,
nous entendrions la respiration de nos torses,
nous aimerions la chaleur de nos corps, nos mains
ne se lasseraient pas de nous aimer l’un l’autre.

Au matin nous nous donnerions de gros baisers
tu aurais du café pour tremper tes tartines,
tu partirais avec un beau sourire aux lèvres
la lumière du ciel brillerait sur ton être
. [Longs cheveux]

William Cliff n’est pas seulement le garçon solide et orgueilleux que fut le Raphaël célébré plus haut. On le sent toujours entre le rêve d’une fidélité impossible et les fabuleuses parenthèses d’une seule nuit qu’il a vécues et chantées sur toute sa lyre. Là est peut-être son mystère insoluble, son adolescence forcenée malgré les ans. Je regrette et je ne regrette rien. Je convoque dans Amour perdu tous ceux avec qui j’aurais pu aller plus loin.

En écrivant ce vers sur cette table
j’aimerais tant te voir représenté
pour serrer encore ton corps délectable
et m’enivrer de ton étrangeté !
[Un calviniste]

J’ai joui et j’ai vu, à travers tous mes amours perdus, le Dieu de chair et d’âme que jamais l’on ne fixe puisque, selon l’adage gidien des Nourritures terrestres : « Chaque créature indique Dieu, aucune ne le révèle. »

Oui, mais voilà, Cliff est plus doux que Gide car, dans tout le recueil comme dans le dernier poème d’Amour perdu, il y a toujours ce flottement tendre du regret, cet aveu poignant d’une solitude mi-vide mi-sapide. Cette singulière sapidité des vers de William Cliff, j’aimerais que cet hommage, pour la goûter, en tente d’autres.

J’ai beau lancer vers tous les horizons
mes appels, personne ne me répond
(…)
Alors, tant pis, mon âme, prends la route
de ce désert béant que tu redoutes

bois ce calice avec tranquillité
puisqu’il est à tout homme présenté,

sache le rendre à ta bouche sapide
et non pas vil et hanté par le vide.
[Solitude]

Pierre Lacroix, décembre 2015

Rencontre avec Jacques Astruc aux Mots à la Bouche

Jacques ASTRUC sera aux Mots à la Bouche le jeudi 4 février 2016 pour présenter sa trilogie en S majeur : Sperme, Strip hotel et son tout dernier titre, Sushi.

Que l’on aime ou pas la cuisine japonaise, les gourmets d’Éros comme de la plume de Jacques Astruc apprécieront ce délicieux dernier petit opus, sous je joug de l’empire des sens, paru dans la Collection Poche Éoliens.

ISBN 978-2-918444-27-5

72 pages

9,50 €

Le 8 mars 2016, au Café de la Mairie, Place Saint-Sulpice, Paris VI°

Le 8 mars 2016 l’auteur sera présent à une présentation-lecture de Sushi au Café Littéraire « Les Mardis de Saint-Sulpice ». La présentation sera faite par Catherine Neykov.

SOIRÉE ÉROTIQUE autour de la trilogie en S de Jacques Astruc, parue aux Éditions ErosOnyx : Sperme (2010), Strip Hotel (2011) et Sushi (2016).

De 20h30 à 22h au Café de la Mairie, place Saint-Sulpice, 75006 Paris. L’auteur lira en personne ses textes, avant une séance de signature.

CONNAISSEZ-VOUS ULRIKE OTTINGER ?

Connaissez- vous Ulrike Ottinger ?

Née en 1942 en Allemagne, sur les bords du lac de Constance, elle fut peintre et photographe à Paris dans les années 60. Puis elle se lança, au début des années 70, dans une prolifique et ahurissante carrière de cinéaste charnelle autant qu’intellectuelle, dont nous retiendrons ici trois films où apparaît Delphine Seyrig, maîtresse de cérémonie le plus souvent : Freak Orlando (1981), Dorian Gray dans le miroir de la presse à sensation (1983) et Johanna d’Arc of Mongolia (1988), dernier film de la carrière de l’inclassable actrice française disparue trop tôt en 1990.

Chaque film d’Ottinger nous convie à un voyage où il faut nous défaire des conforts du réalisme et de la raison. Qu’elle nous invite à Freak City où défile, devant Orlando/Orlanda (interprété/e par Magdalena Montezuma), une kyrielle de monstres qui traversent les siècles et passent de la malédiction à un gigantesque bal de kermesse, ou bien qu’elle nous invite à entrer dans les secrets d’une presse à sensation qui manipule les foules fascinées par la vie tumultueuse d’un/d’une Dorian Gray androgyne (interprété/e par le top model Veruschka von Lehndorff, au genre si ambigu) ou encore qu’elle nous entraîne dans les wagons somptueux du Transsibérien, puis du Transmongolien où Lady Windermere (interprétée par Delphine Seyrig), ethnologue, tient un salon d’élégances fin-de-siècle, tout en exquises conversations, succulences culinaires et spectacles décadents de music-hall berlinois, avant que les voyageuses ne tombent entre les mains d’amazones de Mongolie, aussi fabuleuses que raffinées, chaque film d’Ulrike Ottinger est un voyage en fantasmagories.

Cirques de monstres truculents, décors urbains industriels ou intérieurs, tous transfigurés par des éclairages dignes des fêtes foraines du Prater, théâtres ouvrant leurs rideaux sur de vivants paysages réels, contes de fantaisie pour adultes où se côtoient humains et animaux, hermaphrodite, sœurs siamoises et gays bardés de cuir, dogues dalmatiens conduits par des nains nus à la peau assortis au pelage de leur chien, princesses en habit de perles rouges perchées sur des chameaux seigneuriaux, bacchanales queer que les autorités religieuses ne parviennent jamais à exorciser, royaumes d’artiste où se construit un nouvel ordre sexuel, où s’abolit la frontière entre féminin et masculin, on n’en finirait pas de recenser le somptueux caravansérail de la démiurge Ottinger. Ses plans sont construits en tableaux vivants où l’artifice le plus délicat rencontre les paysages grandioses et vierges du désert, de la steppe, des rouleaux de vagues… On admire le luxe des détails – étoffes des costumes, coupes de mets rares flottant sur l’eau d’une fontaine, maquillages époustouflants d’élégance ou de bizarrerie. Laideur et beauté sont ici consubstantiels. C’est vraiment à une révolution des règles politiques, morales, sexuelles et esthétiques que l’on assiste, à chaque lente et longue cérémonie que propose un film d’Ulrike Ottinger.

Pourquoi vouloir mettre de l’ordre dans le désordre baroque ? Serait-ce risqué de proposer comme clefs de l’univers ottingerien une enfance passée de l’autre côté du miroir grâce au cinéma, les fantasmes d’un désir en permanente révolution et le triomphe enluminé d’une toujours vivifiante ”nymphocratie” ?

François Nozières, septembre 2015

Les films d’Ulrike Ottinger ne passent malheureusement pas en salles ni ne sont disponibles sur DVD. Mais on trouvera dans le commerce ou en ligne le DVD de La nomade du lac ( 2013) documentaire-portrait de l’artiste, réalisé par Brigitte Kramer, disponible en version allemande avec sous-titres français.
Bientôt peut-être, chez ErosOnyx, un livre accompagné du DVD d’un des trois films avec Delphine Seyrig ?

Voir aussi à la rubrique « Événements » l’hommage rendu à Ulrike Ottinger et Delphine Seyrig par le Centre Simone de Beauvoir le 1er décembre 2016.

Dans FUGUES (Montréal, Québec, vol. 32, n°4) juiilet 2015

Magnifique livre de Kent Neal, un auteur américain qui réside maintenant à Lyon où il écrit dans la langue de Molière. Le présent ouvrage se veut une collaboration avec Dorian Jude, pour les illustrations, et François Mary pour la transposition graphique des textes, qui ont ainsi créé un objet qui captive tant la vue que l’esprit.

Poésie structurée à partir de la part d’insaisissables d’un instant : les folles pensées qui nous habitent le temps d’un battement de paupières. Dans cet univers en constante mutation, tout n’est que précarité et l’auteur s’attache donc à décrire ces moments périssables avant qu’ils ne soient oubliés à jamais.

« La première réplique, c’est la carte d’embarquement.
Mais sera-t-il d’accord pour prendre l’avion avec toi ?
Tu ne sais combien de temps durera ce vol.
Ami, amant, amour.
Tu ne sais pas où l’avion vous emmènera.
Vas-y, dis-lui la première réplique. » (La première réplique)

Benoît Migneault

Un connaisseur !

Ce livre contient l’analyse du film SEBASTIANE par Didier Roth-Bettoni, le plus fin connaisseur en France de Derek Jarman, « queer et martyr », comme le dit son sous-titre, artiste et militant fauché par le sida en 1994, grand poète de la pellicule encore peu connu et reconnu en France, « leader qui manque » pourtant comme l’écrit Roth-Bettoni.

S’y ajoute, écrite par Yvan Quintin, une présentation détaillée du vrai Sébastien et de la tradition religieuse, puis esthétique et enfin homo-érotique qui ont fait de lui un saint pas comme les autres, déchiré entre le profane et le sacré, la chair et l’absolu ou peut-être le symbole des deux entrelacés dans la posture désirable de son martyr (voir couverture du livre, un plan du film de Jarman). S’y ajoute encore, toujours par Yvan Quintin, la traduction des dialogues latins du film (mais oui, Mel Gibson n’est pas le premier à avoir eu l’idée de tourner un film à sujet antique en latin!), traduction plus scrupuleuse que les sous-titres français du film sorti en 1975. Là encore Jarman sait mêler l’invention d’un peplum hypersensuel (interdit aux moins de 18 ans à sa sortie… il est à déconseiller aux amateurs de peplums familiaux) et le cérémonial d’un sacrifice porté par la musique de Brian Eno.

Gourmets de version latine érotique, à l’heure de la triste suppression du latin et du grec à l’école, ne pas s’abstenir ! Si je rajoute que le DVD que je viens de découvrir avec le livre, est en version respectant le cadrage original, sans découpe de censure à la différence d’autres éditions italiennes ou allemandes, et la seule à proposer à ce jour les sous-titres français d’origine, n’hésitez pas : ce livre-film est une pépite comme d’ailleurs tant d’autres livres rares et soignés des collections variées des éditions ErosOnyx (EO pour les connaisseurs !)

Signé : François
Posté le 17 juillet 2015 sur le site de la Fnac

http://livre.fnac.com/a6460277/Didier-Roth-Bettoni-Sebastiane-ou-Saint-Jarman-cineaste-queer-et-martyr#specifications