BLEU D’ENCRE – Le Langage des Fleurs de Pauline Tarn (Renée Vivien), n° 27, été 2012

Ouvre cet inédit la photo de Pauline Tarn,  » une poétesse en fleurs », future Renée Vivien dont dix recueils de poèmes (1901-1910) ont déjà été regroupés et publiés en 2009 par ErosOnyx. Pour clore l’opus poétique, Nicole G. Albert, spécialiste de la littérature fin-de-siècle et de Renée Vivien, et PIerre Lacroix, ont reproduit le manuscrit original, émaillé de ratures, que leur a confié Imogen Bright, petite-nièce de l’auteure. Ce qui permet de découvrir la graphie « étonnamment mûre d’une jeune fille d’à peine dix-huit ans ».

Cette « lyricine débutante », passionnée de botanique, trouve son inspiration dans les jardins, les décors champêtres et sylvestres. Dans ce recueil, elle revendique le divin langage des fleurs si riche et complexe et le sauve de la désuétude. Elle décline leur rôle sélamique (c’est-à-dire porteur de message), soulignant leur pouvoir de transmettre des choses indicibles, de convoquer images et souvenirs, tressant un lien avec le passé. Elle nous offre un bouquet composé de trente-trois fleurs, au fil des saisons, exhalant leurs parfums capiteux, enivrants, troublants, leurs senteurs vertigineuses.
Véritable féerie de couleurs : fleurs vermeilles, rose délicat, carmin, émeraude…

Les poèmes de Pauline Tarn symbolisent des sentiments tels que le chagrin, la douleur, la résignation, l’amour, le souvenir de jours heureux, l’espérance…

Sa prédilection pour les violettes les rend omniprésentes. Pauline Tarn sait nous émouvoir quand elle évoque les violettes blanches dont la destinée est de rejoindre un défunt. Le lis évoque toujours l’innocence et la pureté, mais c’est aussi une fleur funéraire. La rose reste l’ambassadrice de l’amour et de la tendresse. Le muguet réconcilie l’homme avec les valeurs de bonté et de fidélité. La fleur d’amandier, elle, est gage de bonheur et de constance. La tubéreuse rappelle à une jeune fille son premier bal. Quant à la flore salutaire – mimosa, souci… -, elle est recommandée pour ses vertus lénifiantes.
On assiste à la métamorphose des pois de senteur : mille ailes posées, frémissantes dans un jardin au printemps ou à l’éclosion de ces constellations de blanches pâquerettes, la voie lactée des champs. Les crocus donnent le signal de l’explosion printanière. Le peintre fige l’or vivant des jonquilles sur sa toile; la blancheur des flocons d’une frêle anémone égare le musicien dans un bois rêveur et lui rappelle l’inspiration perdue. Les camélias sont associés à un soir à l’Opéra, des images d’Italie jaillissent des violettes de Parme : beaux lacs bleus dormants, merveilles de Rome …Parfois le sens est fondé sur leur appellation anglaise, comme clef du ciel pour la valériane rouge. L’enfance se reflète dans les boutons d’or et le lilas.

Ce projet fleuri nous fait découvrir toute une symbolique
personnelle des fleurs. Pauline Tarn, par son engouement, rejoint les chantres de la beauté éphémère des fleurs. Qu’elles soient aussi les messagères de nos pensées et de nos émotions ! Cet inédit de Pauline Tarn, traversé de sons de mandolines, de musique, de chants, séduit par sa fraîcheur, sa grâce, son charme et procure aux sens, par une jeu de correspondances, un festival de plaisirs tout à la fois olfactifs, auditifs et visuels.

La Muse aux violettes était née.

Nadine DOYEN

L’âme d’AUGIERAS

L’âme de François Augiéras s’en est allée le 13 décembre 1971. D’un troisième infarctus – il avait quarante-sept ans – à l’hôpital de Périgueux où, de Montignac dont l’hospice l’hébergeait comme indigent, il avait été transporté d’urgence.
Et dans la solitude. Deux ans auparavant, le divorce avait été prononcé à ses torts exclusifs. Depuis 1968, il correspondait avec Jean Chalon qui ne l’a jamais rencontré. Paul Placet, son ami si proche n’était pas près de lui.

François Augiéras est inhumé à Domme, dans un coin du cimetière, sans pierre tombale, juste quelques pierres sur sa sépulture, des fleurs quelquefois, un galet en forme de cœur, et son nom écrit avec maladresse sur une plaque fichée dans la terre. Trois personnes étaient présentes à son enterrement. Enterré comme un chien ? Non, mais comme le dernier primitif , comme « un barbare en Occident » , comme un païen mais un païen qui croyait à la survie de l’âme.

Augiéras se voulait païen, contre le christianisme coupable à ses yeux d’avoir coupé l’amour charnel de tout dépassement spirituel, d’avoir défait les liens de l’humain avec le sacré véritable que sont les forces du monde. Pour lui, la religion authentique était celle qui unit tout le vivant et les astres dans « la sainte joie de vivre » . Affaibli, miséreux balloté d’un hospice à une maison de repos, n’ayant plus que quelques mois à vivre, Augiéras revendiquait encore cette union avec l’universel : « Dans le fond, écrivait-il à Jean Chalon, je n’aime que l’aventure, j’aime l’univers ; c’est mon seul amour véritable ! Je fais l’amour avec le monde… et j’en tire des livres ! » Vivre avec le monde, c’était, pour lui, laisser s’interpénétrer un corps et une âme en communication avec le grand Tout, à la fois se laisser habiter par Éros et Pan au plus près du monde, c’est-à-dire loin de la ville, loin de la civilisation, dans le désert d’Afrique comme du Périgord noir.

L’âme d’Augiéras, c’était son corps vibrant avec le monde, un monde brut, de forêts, de sable, de pierre, de sources, de ciel étoilé, jouissant de tous les parfums, celui du thym, de la résine des pins, des senteurs âcres, aussi bien et surtout de suint, d’urine et d’écurie, des odeurs de sueur et de crasse que pouvait exhaler la peau des bergers. Loin de la « civilisation », Augiéras communiquait avec les dieux, dans une union charnelle avec le monde, son âme et son corps ne faisant qu’un dans une volupté proprement magique. Seul auprès d’un jeune arbre, il l’aimait d’amour :

À genoux au pied de l’arbre, mes lèvres sur ses douces écorces, je lui parlai tendrement en une sorte de murmure à demi-chanté, tiré du plus profond de mon être et de ma vérité (…) Je défis la boucle de ma ceinture, j’enlaçai l’arbre et je fis la femme avec lui, torse nu, les flancs serrant le tronc entre mes cuisses.

Dans son âme ainsi incarnée, son âme charnelle, féminin et masculin s’entremêlent indistinctement pour retrouver l’union première (faut-il penser au mythe platonicien de l’androgyne ?).

Dans mes rapports avec l’arbre, ce qu’il y avait en moi de femme venait des premières nuits de la terre ; ces amour des feuilles datait des premiers soirs, des premiers Paradis, et me composait un curieux caractère de magicienne. Une profonde mémoire me revenait dans un flot de plaisir.

Cette âme a une matérialité, une essence physique, elle est bien plus qu’une simple humeur corporelle ; Augiéras, abondamment, en fait un usage religieux, cultuel même. Lui-même qui nous invite à cette identification de son sperme à son âme  ou l’inverse. Lors de ses errances au Maroc, il a rencontré Alec qu’il « aima » soudain de toutes ses forces dès que leurs regards se furent croisés. Ils se retrouvent de temps en temps et, à la nuit tombante, à Agadir,
Sur une immense avancée de sable et de pierre gagnée sur l’obscurité de l’Océan, près des houles que soulève un vent chaud, je le rejoins (…) J’embrasse ses lèvres, une main sur son épaule. Après avoir essuyé sur nos vêtements nos doigts mouillés par notre âme, il reste à genoux sur le sable …
Son âme s’écoule en Afrique, en Périgord, comme en Grèce. À El Goléa, il a offert son âme, cette âme, sa liqueur profonde, essentielle de son être, comme une libation :
Les astres scintillaient (…) primaire, j’adorais l’univers, à genoux sur les pierres (…) joie très pure, je brûlais parfois ma semence…
Pascal, lors de la nuit du 23 novembre 1654, avait, lui, rejeté, repoussé son corps quand il se sépara du monde « : Joie, joie, pleurs de joie…» pour connaître Dieu, le Dieu de l’Évangile, d’Abraham et de Jacob. C’est ce Dieu-là qu’abhorre François Augiéras qui trouve son salut ailleurs :
Moi aussi, j’ai connu la souffrance ; je n’ai pas pour autant inventé un Christ pour me sauver…

À la joie de Pascal, Augiéras, lui, oppose sa « joie très pure » dans l’offrande de son sperme,
Joie de mêler ma jeune force à la force des astres et des plantes ; en moi la soudaine apparition de la joie (…) un nouvel accord de l’Homme avec le ciel.

Lors d’une rencontre précédente avec un jeune Arabe de dix-huit ans, à Ghardaïa, son désir amoureux est tel qu’il en oublie le danger de s’aventurer dans l’obscurité, pour le rejoindre, sur une crête, par une nuit chaude et belle :
La joie de serrer mon ami sur ma poitrine, d’embrasser son visage me fit oublier la peur. Il me rendit mes baisers avec tant d’amour que les larmes me vinrent aux yeux.
Si Dieu existe, je lui dirai : voilà ce qui a été pour moi le comble du bonheur. Je n’ai pas craint d’affronter la mort pour faire l’amour ainsi : la volupté que Tu avais mise dans nos corps, nous l’avons jetée sur Tes pierres près des astres.

Est-ce provocation lancée au Dieu de Pascal, au Dieu chrétien ? Il l’interpelle bien plutôt, moins pour contester son existence, que pour récuser son anathème impardonnable jeté sur le sexe dont Augiéras, lui, a fait le lien avec les forces du monde. Pour Augiéras aussi, l’amour est à réinventer !

Dans Un barbare en Occident, Paul Placet raconte leur séjour, dans les années 50, près des Eyzies où ils se sont trouvé un abri :
Pour qui se passionnait alors de forces occultes, de magie, de communication avec l’univers du ciel, notre site était privilégié (…) Tout ici parle de l’homme primitif, de ses préoccupations de chasse, de sécurité mais aussi du rêve religieux qui fut le sien.
Une nuit de novembre, Augiéras allume un bout de bougie, s’éloigne sans rien dire et, dit encore Paul Placet :
Un grand vide s’est creusé autour de moi. François restera absent un temps assez long. Il vient de retrouver les gestes du sacré, les noces de l’homme avec la terre. Il est invité par toutes les forces de la vie et va renouveler le pacte (…) Nuit de Novembre, l’unité de l’univers, celle des astres, de la terre, des hommes et des bêtes. Mon ami doit prier, étreindre la roche, dire à la nuit profonde la force de son amour, le désir qu’il a de recevoir son approbation et d’être protégé par elle. (…) mon ami, mon frère offre sa passion, celle d’un homme vivant, d’un corps chaud irrigué par le flux puissant de la vie. La chair de François gémit et palpite farouchement quand il la déchire et verse son offrande aux âmes de la nuit.

En Grèce aussi, Augiéras a ainsi offert son âme. Lors de son voyage au Mont Athos, une nuit, alors qu’il se trouve seul sur les pentes de la montagne sainte, au milieu des arbres, il se tient immobile devant le feu qu’il vient d’allumer :
Je me savais aimé, accepté par de craintives présences que mon campement sur les roches intriguait, que ces flammes attiraient. Rien en moi qui ne participât sans réserve à cette féerie nocturne : pas une lueur de christianisme ; j’étais une âme intacte depuis la Préhistoire.

Précédemment reçu dans l’ermitage d’un moine que servait un enfant qui « comme tous les enfants qui vivent seuls avec un vieillard, loin des autres hommes (…) paraissait un peu fou, heureux, très libre ! », sous son masque d’humilité servile, il avait de cet enfant deviné une « vraie nature, assoiffée de caresses, très libre, peu chrétienne ». Cette nuit-là, « fasciné par le feu, (il sentait) naître en (son cœur) un étrange pouvoir ».
Des charmes, d’une tendresse profonde, vieille comme le monde, vraie nourriture des esprits quand vient la nuit, émaner des rocs, des oiseaux et des arbres, se posaient sur mes lèvres et pénétraient en moi.
On marchait dans l’invisible torrent : d’autres nourritures m’arrivaient par les eaux ! L’enfant sortit de l’obscurité, parut devant mes flammes (…) Il semblait avoir, d’instinct, dès le premier regard échangé, deviné que j’étais un autre lui-même, capable de satisfaire sans plus attendre, tous ses secrets désirs, et d’abord l’insondable besoin de tendresse entre les bras d’un adulte, qui est le fait de tous les adolescents primitifs (…) Mes derniers tisons, presque éteints, piqués de taches rouges, n’éclairaient que sa main qui tremblait un peu, sa main charmante, que je pris soudain dans la mienne.
Il n’attendait que cela !je le sentis frémir ; un immense abandon s’empara de tout son être, une joie délicieuse.

Avec cet enfant auquel, cette nuit-là, il donne toute sa tendresse, Augiéras quitte le monde des hommes. Tous deux, cette nuit-là, ne forment plus qu’un seul être, « un brasier à force de joie (…) saoulés de bonheur (…) au cœur d’un tourbillon de lumière » :
…un accord, infiniment répété, divin, au-delà de toute musique audible, nous transportait d’allégresse, jetait notre amour vers les constellations, nous ramenait à nos cavernes (…) nous laissait entre voir plusieurs fragments de nos vies antérieures, de nos amours passées, et, plus souvent, ne se situait en aucun lieu, en aucun temps, se suffisant à soi-même au centre immobile d’un perpétuel jaillissement de flammes.

Expérience mystique, initiatique de l’amour, dans laquelle on fait don de soi, entièrement, corps et âme confondus. « Sensation de totale immobilité, d’ivresse heureuse, de légèreté… », l’extrême de la joie, tandis que les eaux du torrent filaient à vive allure le long de la roche où l’enfant et le nomade se sont étendus.
Quand je rouvris les yeux, elles emportaient vite, en aval, des brindilles, des feuilles sèches, et de longues traînées blanches, laiteuses, tirées des profondeurs de nos corps enlacés ; de longues traînées de sève humaine, qui flottaient, dansaient sur les vagues, et disparurent dans l’obscurité.

Il faut relire ces pages magnifiques de la nuit d’amour entre cet enfant emporté par « un élan de naïve sauvagerie » et Augiéras qui garde de sa présence, une fois l’enfant parti, des traces sur son visage, ses vêtements, ses mains. Échange de corps à corps, d’âme à âme, corps et âmes intimement mêlées. Depuis quarante ans bientôt, l’âme d’Augiéras ne se déverse plus de ses moelles profondes, dans les sables d’El Goléa, ni dans la Vézère, ni sur les roches du Périgord noir ni dans les eaux d’un torrent de la Montagne Sacrée. Son âme, son âme de primitif et de sauvage, un primaire si raffiné pourtant, où est-elle ? Depuis quarante ans et plus, la terre, l’eau, le sable l’ont faite sienne, absorbée, assimilée. Elle y survit et aussi dans les astres auxquels il l’a si souvent offerte. La si modeste tombe du cimetière de Domme ne saurait la contenir. Âme singulière qui vit encore dans les mots laissés derrière elle, qui chantent et nous enchantent  ou peuvent en agacer d’autres (ce qui ne lui déplaisait guère, doit-on dire), âme échappée à ce monde dans la plus grande solitude et la plus triste misère.
Ma plus belle œuvre d’art, serait-ce ma vie ? Ce que j’ai vécu, voilà surtout ce qui m’importe. C’est aussi la meilleure manière de s’élever contre les hommes.

Yvan Quintin

ILS, Franck Delorieux

En refermant Ils , me vient l’envie de retrouver une phrase des Illuminations de Rimbaud, et je la retrouve parmi celles du titre « Fleurs » :

Tels qu’un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et fortes roses.

Ils est un poème de printemps. Quand la vie pousse et entrelace ses langues, ses tiges, ses sèves. J’entremêlerai le plaisir, le bonheur, l’amour et l’écriture. Je ne vois pas d’autres raisons de vivre. (p.88). Entremêler, c’est bien de cela qu’il s’agit : l’italique et le romain. Les pleins et les déliés des corps. Les pronoms personnels, je, tu, il, nous, ils. Les baisers et les mots. Les rencontres d’hier et celles d’aujourd’hui. Les fleurs jaunes de châtaigniers et les portes cochères. La backroom et le jardin. Le stylet et la langue. Les bourgeons et les membres.

Deux corps deviennent alambic l’un dans l’autre, imbrication où les mots et les parties désignées… torse, genou, épaule, sexe, verge, bite, pine, visage, bouche, lèvre, goutte, foutre, gland, langue, cuisses, couilles, cul, bras, aisselle, pour ne citer qu’une partie de l’anatomie amoureuse… s’enroulent et se plantent dans le corps de l’autre, non pas en miroirs l’un de l’autre, mais en un enchevêtrement de vrilles végétales pour suinter la sueur du plaisir. Deux corps se boivent. Des phrases gouttent. Poétique pornographie ! Le plaisir devient litanie, psalmodie de reliefs et de creux, d’érections et de pénétrations, de phrases où les mêmes mots ne cessent de changer d’angle, comme l’œil de l’objectif ou l’incurvation de la plume, orgasme qui dure dans le livre, une fois passées les préface, dédicaces et épigraphes, sur exactement 69 pages. Fascinante fusion du brut et du savant, de la chair et de l’abstrait.
Le plaisir est roi. Pas de larmes, à peine une éraflure de sang pour écarter l’anus, pas de squelette sous la jouvence des corps, pas de traumatisme d’enfance ni d’adolescence, le souvenir d’une belle initiation qui laisse quelque chose de la fraîcheur douceâtre de l’herbe coupée. Jamais de séparation déchirante. Juste un journal intime dont on sourit avec le temps.

J’étais à un âge où l’on confond encore le plaisir et l’amour. J’entends par âge non pas le nombre des années écoulées depuis la naissance mais une forme d’esprit qui, parfois, perdure jusqu’à la mort. Pour beaucoup, l’amour justifie sinon excuse le plaisir. Le plaisir est une fin en soi. L’amour est aussi rare qu’un bel alexandrin. Comme le plaisir, l’amour apprend que l’écriture participe du bonheur. (p.45)

Maudite soit la passion chez Delorieux. Il faut des Pierrots pour bander devant les Arlequins, mais les Arlequins les fuient de peur de la tristesse après l’amour.

Je hais le malheur que je fuis de peur qu’il ne s’installe. Le malheur prend parfois un autre nom, comme un masque : la passion. Le bonheur (être en accord avec soi) et le plaisir (la satisfaction des désirs) sont les deux seules vertus qui m’importent. Je ne souhaite vivre qu’en embrassant d’un même geste l’amour, le sexe et l’écriture. (p. 50)

Ils arrête le temps par un jour de printemps des corps et des mots. Pouvoir du poète jardinier : deux hommes s’y épanouissent au sens propre et floral du mot.

… il sent que l’anus vibre, prêt à s’ouvrir, fleur, œillet bien sûr, rose ou bouquet de myosotis, tulipe perroquet qui attend la tige qui lui permettra de s’épanouir. (p.54)

Toujours le va et vient entre les corps et les mots. Quelques fleurs, c’est tout, un rehaut de couleur en l’honneur des corps blancs et noirs, patiemment déshabillés, interminablement savourés. Faire le poème et l’amour. Paradoxe souriant du poète : plus vaste est la vie, mais avec les mots pour la dire.

Il s’approche de lui, tout près, il se colle à lui. Quelques gouttes d’eau tombent de ses cheveux sur son visage. Il l’embrasse longtemps. Il caresse sa nuque. Il mange ses lèvres. Il boit sa salive. Il tend ses lèvres vers les siennes. Cela ne peut se terminer que par un baiser : il ne m’appartient plus d’user de mes mots. (p.89)

Pierre Lacroix

WEEK END, un film d’Andrew Haigh (mars 2012)

« Ce qui me motivait, c’était de raconter de façon très honnête l’histoire de deux hommes qui tombent amoureux », ainsi s’exprime Andrew Haigh, réalisateur d’un film que tout destinait au public des festivals gais et dont le succès dépasse de beaucoup ces limites. Les raisons de ce succès ? On peut s’interroger : vient-il du film lui-même et de sa façon d’aborder les amours entre deux garçons, deux jeunes hommes, mais aussi du regard du public sur ces amours ? La critique, abondante sur ce film, annonçait qu’il s’agit d’un film d’amour propre à émouvoir tous les spectateurs, homo comme hétérosexuels, que l’amour, c’est toujours l’amour et que tous peuvent s’y retrouver. C’est là une façon d’en banaliser le sujet, de rendre abordable à tout le monde une forme d’amour que la société admet mal : l’amour entre deux hommes. Si le film contribue à ce résultat , tant mieux, mais il témoigne aussi de ce qui est propre aux amours entre hommes, qu’on ne peut assimiler aux autres formes d’amour.

Les deux garçons du film se rencontrent dans un bar gay, un vendredi soir. Passablement éméchés, ils finissent la nuit ensemble. Ils ne se quitteront quasiment pas de tout le weekend. On est dans un grand immeuble de la banlieue d’une ville anglaise, Au réveil, le café les rapproche. L’un est déjà habillé pour aller travailler, l’autre, encore nu, se recouche. Ils sont déjà complices. On va les suivre dans leur vie quotidienne, « en disséquant leurs faits et gestes, en restant sobre », dit Haigh. On aime qu’il s’agisse d’hommes ordinaires, comme ceux qu’on rencontre tous les jours. Autour d’eux, des gens simples. Pas d’intrigue, de drames, d’états d’âme. Même l’homophobie qui parfois se réveille autour d’eux ne les perturbe pas, elle est ordinaire, quasi quotidienne, comme familière.
Leur amour, c’est d’abord le contact de leurs corps, épidermique, tendre, fraternel, car on ne perd jamais de vue qu’ils sont deux hommes. L’un d’eux, Glen, aimerait comprendre et entreprend d’enregistrer une confession de son partenaire, ce qui tend à montrer que ce qu’ils vivent tous les deux n’est pas si universel que cela. En faisant l’amour, ils créent leur amour, le consolident, lui donnent vie. Aucune parole, rien d’abstrait : l’odeur du corps, un peu de sperme sur la peau… Dans ce cadre urbain de grands immeubles et de béton, cet amour est comme une éclosion charnelle : une fleur, ou un de ces champignons qui soulèvent l’asphalte des trottoirs. Chacun évoque son passé, tous deux retrouvent ensemble leur enfance sur les auto-tamponneuses, en mangeant de la barbe à papa, et l’un, Glen, joue même pour l’autre, Russell, le rôle du père que celui-ci n’a pas eu pour recueillir avec le sourire le « coming out » qu’orphelin il n’a pas eu à faire : à ce point, l’amour touche au bonheur. Que ce bonheur soit éphémère passe au second plan.

L’amour entre deux garçons, l’un maître nageur plutôt timide, l’autre étudiant avancé ? Qui donc s’y intéressera en dehors des gais eux-mêmes ? Telle est la question que se pose Glen en menant son enquête. Le réalisateur se la posait aussi. Il a des raisons d’être rassuré, semble-t-il.

Film sobre, émouvant sans pathos aucun, la première qualité de Weekend repose sur le jeu des deux acteurs qui incarnent Russell et Glenn et dont la complicité professionnelle développée durant le tournage semble animer les personnages de cette histoire. Tout le contraire du « Paradoxe » de Diderot ! Le film a reçu le Grand prix et le Prix du meilleur réalisateur au Festival LesGaiCineMad de Madrid 2011.

Le film sorti d’abord à Paris, puis en province, passe encore dans une salle à Paris. Dans quelques mois devrait en sortir le DVD, du moins nous l’espérons. Je ne saurais trop le recommander à tous ceux qui auraient manqué sa sortie.

Claire Lippus

UN HOMO DANS LA CITE

Devenir soi en terrain hostile

Il y a des livres que les vrais amis vous offrent parce qu’ils sentent des affinités électives entre leur auteur et vous. Un homo dans la cité est pour moi de ceux-là.

Pour parler de ce livre et de l’écho qu’il trouve en moi, je ferai appel à ma petite expérience de planteur d’arbre dans un peu de terre et des couches de schiste. On fait un trou à la barre à mine pour que l’arbre ait assez de terre et trouve ensuite la force de plonger ses racines dans les nappes de pierre friable. Au fil des années, en n’oubliant pas de l’arroser au plus fort de l’été, l’arbre souffre mais grandit lentement, il se fait un chemin en terrain hostile, il conquiert sa croissance au prix de la souffrance. Au moment de l’écriture d’ Un homo dans la cité, Brahim Naït-Balk est à mes yeux un arbre de 45 ans dont les racines sont parvenues à se frayer un chemin et à s’encramponner à travers des couches et des couches de schiste hostile.

En l’occurrence, le schiste qui freine et endurcit à la fois la croissance, c’est d’être homo dans une famille musulmane en France, une famille nombreuse dont Brahim est l’aîné, une famille qui trime pour vivre au fil de ses déménagements dans des cités de banlieue, la cité des 3000 logements d’Aulnay-sous-Bois tout d’abord, puis la cité Danton de Sèvres. Être homo dans ce cadre, c’est haram, le péché par excellence qui ne peut que vous attirer le châtiment suprême. Parce qu’on ne peut pas cacher une sensibilité taxée de féminine à travers ses intonations, ses vêtements, ses gestes, on enfreint la hshouma la retenue honorable qui convient à tout mâle dans un monde où brutalité et virilité se doivent d’aller de pair ! Par deux fois, Brahim connaîtra le sort réservé à celui qui sent la femme, comme Abram dans le film de Peter Fleischmann Scènes de chasse en Bavière. Laissons la plume à l’auteur pour décrire l’enfer :

Jusqu’au soir où l’un d’entre eux, encore un inconnu, a voulu me pénétrer pendant que les autres, plus nombreux que d’habitude, nous entouraient dans la cave, comme s’ils assistaient à un spectacle. Je voulais que ça s’arrête, j’ai aidé le mec à me violer pour que cela ne dure pas trop longtemps et pour ne pas avoir mal. Après, ils ont tous disparu et je suis resté là un moment, allongé à même le sol de cette cave immonde.

Bien entendu, je m’en voulais. Mais je n’ai pas davantage porté plainte. (p. 61)

Au lieu de le détruire, cette violence, ce milieu dur comme la pierre, vont révéler la force de l’arbre. Tout ce qui peut l’aider à se construire, il va l’absorber dans un sauve-qui-peut farouche : grâce aux études, il devient éducateur spécialisé. Mais les couches de schiste ont la peau dure ; il faut plonger dans la schizophrénie pour survire aux soupçons dans le milieu du travail. Les escapades nocturnes de drague parisienne aident à sortir de la honte mal vécue du plein jour. Brahim développe la seconde peau de la peur, le courage de résister à un second viol par l’un des garçons de la bande de sa cité. Tout bascule ce jour-là. L’arbre sent qu’on ne le déracinera pas.

Lentement, il avance. Il rencontre un ami qui a choisi la souffrance d’avoir à se cacher. Il va choisir, lui, à 35 ans, d’en parler à la seule qui puisse le libérer vraiment de la honte, sa mère ! Et sa mère, au delà des réticences de la coutume, en vient à sentir que son fils veut vivre au grand jour le bonheur qu’il va chercher la nuit et à l’aimer ainsi. La croissance avance, avec la tristesse d’être tardive et la découverte, après une première histoire d’amour de deux ans et demi avec Ali, un jeune Marocain aussi séduisant que volage, que l’amour est mille fois plus difficile à trouver et à vivre que le sexe :

Être arabe, musulman et homosexuel, c’est déjà cumuler les handicaps pour qui veut vivre une sexualité à peu près épanouie. Mais que les deux éléments du couple appartiennent à ces catégories identitaires, et on va vers l’impossible. (p.111)

Brahim Naït-Balk n’embellit rien, ne noircit rien de son parcours de combattant : être sentimental est un nouvel obstacle. Les forces qui vous enflamment le cœur peuvent se retourner contre vous, comme l’amour parfois jaloux et castrateur d’une mère ou le mélange de désir et de soif de fidélité inspiré par un bel Ali qui a la moitié de vôtre âge quand on le rencontre et qui devient blessure, même après la séparation. Chaque fois, il faut avancer en terrain hostile, continuer à chercher, résolument et humblement, sa voie et sa voix !

Ne jamais se renier. Vivre tous ses goûts. Continuer à aimer le foot et se sentir assez fort à plus de 40 ans pour fonder avec des amis le Paris Foot gay où il entraîne une équipe composée d’homos et d’hétéros. Se libérer aussi par le micro d’une radio, par l’extension du cercle militant de bonnes ondes, ne pas se contenter de dévoiler son secret au travail mais à des inconnus que l’on aidera peut-être à se vivre et qui vous aideront aussi à mieux vivre en les rencontrant, qui sait ? : l’aventure est née à force d’endurance en 2002, sous la forme d’une émission diffusée en direct, une fois par semaine, le lundi soir, sur Fréquence Paris Plurielle 106.3, « La Voix des Sans Voix ». Elle a fini par s’appeler naturellement « Homomicro ».

Un homo dans la cité est le témoignage vivant que toute belle croissance en différence se fait dans la lenteur et la souffrance, et toujours en mal de reconnaissance et de tendresse vraie. Comme l’arbre planté dans le schiste, il lui faut cette eau du ciel qu’on appelle l’amour.

Le Langage des Fleurs dans Lesbia Mag

C’est grâce à Imogen Bright, petite-nièce de Renée Vivien, que les éditions ErosOnyx ont pu publier ce recueil de poèmes révélateur du talent précoce de Vivien. Le Langage des Fleurs, présenté par Nicole G. Albert, fut rédigé entre 1893 et 1895, alors que Pauline n’a 17 ans. Véritable œuvre de jeunesse donc, la poétesse en herbe se révèle déjà une grande amoureuse de la nature dans laquelle elle aime gambader et surtout une grande connaisseuse de la botanique et des fleurs en particulier. Ces poèmes sont pour la plupart composés d’alexandrins ou d’octosyllabes, et énumèrent environ trente-trois fleurs que Pauline habille de tristesse, de mélancolie, de légèreté, de gaîté… C’est selon… Par exemple le lilas ne pourra être traité sur le même ton que la rose ou la violette. Un ensemble de poèmes à lire absolument car ils sont annonciateurs de grand talent de « La Muse aux violettes ». Le recueil est complété par une reproduction des douze pages du manuscrit du Langage des Fleurs communiqué par Imogen Bright. On y constate une écriture « étonnament mûre » pour une jeune fille de 17 ans qui n’hésitait pas à raturer…

En librairie en mars 2012

Jacqueline Pasquier

Actes du colloque des Ami(e)s de Lucie Delarue-Mardrus : « Genre, Arts, Société: 1900-1945 »

C’est avec un grand plaisir que je peux vous annoncer d’abord la publication du volume des Actes de notre colloque « Genre, Arts, Société: 1900-1945 » qui s’était tenu à Reid Hall les 22 et 23 janvier 2010.

Cet ouvrage paru aux éditions Inverses en janvier 2012 reprend 17 des 18 contributions offertes à cette occasion.
J’ai eu le plaisir de réunir et de présenter ces articles rédigés en français ou en anglais pour l’un d’entre eux, toujours de grande qualité et souvent illustrés. De nombreux arts sont représentés: littérature, sculpture, peinture, photographie et danse, de 1900 à 1945. La troisième partie de l’ouvrage est entièrement consacrée à Lucie Delarue-Mardrus.
L’ensemble est précédé d’un éclairant avant-propos de Mme Anne E. Berger, Professeur de littérature française et d’études de genre à l’Université Paris 8.
Merci encore à toutes les personnes qui ont permis la réalisation de ce colloque, notamment Anne-Marie van Bockstaele qui a accompli un travail remarquable et Pascal Dubuis qui a permis cette publication (voir le site des éditions inverses à cette adresse: http://www.inverses.fr/numerosparus.htm).

Patricia Izquierdo, présidente de l’Association des Ami(e)s de Lucie Delarue-Mardrus.

L’Association des Professeurs de Lettres a aimé GHASELS

Les éditions ErosOnyx, auxquelles collabore notre collègue Pierre-François Lacroix et dont nous avons recensé ici plusieurs ouvrages, consacrent leur dernière livraison au poète allemand August von Platen (1796-1835), dont une copieuse introduction raconte la vie brève et tourmentée.

Écartelé entre son attirance pour la beauté masculine et une exigence esthétique, intellectuelle et morale qui lui représente l’amour charnel comme trop vil et pour ainsi dire cadavérique, von Platen trouva dans la poésie le lieu où dépasser cette contradiction, sublimer son désir et réaliser l’amour éthéré auquel aspirait tout son être. La découverte, dans le texte, du poète persan Hafiz (1320-1389), maître reconnu du ghasel, lui en offrit le moyen. Ce genre poétique très codifié, qui connut une première vogue au VIème siècle, et l’œuvre d’Hafiz avaient déjà inspiré Goethe, mais sans qu’il eût transposé la forme elle-même ni d’ailleurs la substance amoureuse. Chez Hafiz en effet, le ghasel, poème à la fois galant et mystique, célèbre une figure idéalisée composée de tous les garçons aimés. C’est ce qu’il redevient avec Platen, qui, grâce à la rencontre littéraire du poète persan, a su, par delà une vie sentimentale forcément décevante parce que forcément terrestre, se réaliser indissociablement comme homme et comme artiste. Il était donc naturel qu’aux trois éditions de ses Ghasels fût associé Le Miroir d’Hafiz : Michèle Rey y joint en outre Les Dernières Poésies dans l’esprit d’Anacréon, qui, sans rompre l’harmonie de cette édition, manifestent l’érudition de von Platen et la variété de ses influences, comme une fraternité poétique et amoureuse à travers les siècles et les civilisations.

C’est au reste la première fois que les Ghasels sont éditées dans l’ordre chronologique, la première fois aussi qu’ils sont traduits en français et il en rendre grâce à Michèle Rey, qui a accompli là un travail remarquable et nécessaire. Son introduction, qui on l’a dit, analyse l’éducation sentimentale de von Platen toute tendue vers son accomplissement littéraire, s’achève, en toute logique, sur une étude du genre et des influences ; trois pages de notes éclaircissent les références contenues dans les poèmes ; une chronologie et une bibliographie closent enfin ce précieux volume.

Romain Vignest

www.aplettres.org

DEEP END, plus 40 ans après…

Allez, plongez !

UN FŒTUS DE 15 ANS EN EAUX PROFONDES

Il faut en avoir reçu des coups, il faut en avoir fait des rêves, il faut en avoir coulé des giclées de puceau émerveillé et désarticulé, pour porter en soi DEEP END, le tourner à trente ans, en 1970, avec une poignée d’argent, un casting du tonnerre et des illuminations d’adolescent ravi, en faire une perle du fond des eaux, une perle baroque, cabossée et neigeuse !

La vie cogne dur quand on a quinze ans chez Skolimovski, qu’on s’appelle Mike, avec toujours la gueule d’ange de ses dix ans, à peine un peu de barbe et de poil sur la peau blanche, juste sa crinière d’éphèbe libre dans le vent quand il file dans Londres à bicyclette, et la mèche lourde de ses quinze ans sur des yeux myosotis : les parents préfèrent le voir parti ; les patrons l’engageraient même avec des dents de lait puisqu’il est mignon à croquer ; les bains publics, où il trouve un emploi de garçon de bain, lui font miroiter une sinécure, des murs vifs et une piscine bleutée pour mieux cacher turpitudes banales et croupissements de Styx. Mais Mike entre d’emblée dans les coulisses : les moniteurs d’écoles, quand ils apprennent à nager à leurs troupeaux d’oies blanches, s’offrent des papouilles de proxénètes. Les dames plantureuses esseulées testent le nouveau, lui tordent les cheveux et la chair, juste pour voir jusqu’où il voudrait bien leur fouiller la leur, et, si par chance elles ont joui rien que de mouiller de leurs mots et de patouiller dans cette bonne chair fraîche, elles lui laissent un pourboire… Skolimovski fait tourner caméra à l’épaule, joue sur les gros plans, braque son microscope sur le tendre comme sur le salace, bouscule son montage comme ses décors, ses acteurs et ses spectateurs, ça va vite, ça cogne, comme quand on se reçoit la vie en pleine figure et en plein corps frêle, quand on est un vrai sylphe lâché dans la jungle des adultes, un acteur-sylphe aussi, au vrai nom de sylphe d’ailleurs, John Moulder-Brown, dont Visconti, deux ans plus tard, fera le fragile frère de Ludwig dans Le crépuscule des dieux, Otto, devenu fou, bien avant son frère, fou d’avoir vu les horreurs de la guerre à Sadowa…

Mais la vie vous sourit orange aussi, de temps en temps, quand vous avez quinze ans dans le « swinging London » et que travaille avec vous, aux bains publics, une ondine aux longs cheveux roux, belle comme Marianne Faithfull chantant As tears go by, une belle fille de ce temps-là, campée par Susan Asher, une Jane à qui vont divinement les bottes noires, le maxi ciré jaune flottant et la minijupe à la Twiggy : belle et libre à se damner quand on est puceau et qu’on veut perdre son pucelage en gardant ses illusions, qu’on veut donner son corps en même temps que son cœur de diamant ! Il y a de L’homme blessé de Chéreau dans le Deep end de Skolimovski, mais avec une palette toute autre, une palette à la Jacques Demy d’Une chambre en ville. Et bien sûr, la belle est une garce légère, une bulle de rêve pour Mike qui semble tout droit sorti de sa province, comme un Polonais du temps de l’URSS qui se prendrait à la toile d’araignée des néons de Soho ! Surtout, ne pas dévoiler au lecteur de cet article l’extraordinaire chorégraphie de la scène finale au fond de la piscine, préparée depuis la goutte de sang du premier plan, et abasourdissante en même temps, à pleurer, comme pleure tout à coup la voix de Cat Stevens. Diamant, eau bleue et sang.

Et si les « addicted to love », les malades de l’amour, à quinze ans ou même davantage, restaient toujours de tendres fœtus ?

Pierre Lacroix