A la librairie Le Bal des ardents, à Lyon

Retour au paradis

Hannes Steinert dessine et dessine encore. Depuis des années. Dès ses premiers catalogues et ses premières monographies le concernant, en 1992, on pouvait lire sous la plume d’un préfacier. ? « Let’s talk about sex ! » Parce qu’il s’agit bien de sexe. Mais aussi – et ne faut-il pas dire «d’abord» ? – d’art, et de cet art du dessin qui est le sien. Il commença par un trait proche du graffiti, suivant les contours des corps de garçons en lignes brisées, brouillées, emmêlées, et parfois des taches de couleur. Aujourd’hui un dessin plus net, évocateur d’un paradis perdu, d’un monde d’avant le péché, d’une Arcadie où se regardent, attendent, se parlent, jouent ensemble, s’aiment les garçons.

Mais toujours le sexe. Toujours visible, le pénis, sur des corps jeunes et pleins de grâce, alangui ou dressé. Kitsch ? Si l’on veut. Naïveté, gaucherie adolescente ? Peut-être. Mais dans ces paysages bucoliques ou ces paradis grecs, qu’un aigle enlève Ganymède, qu’un garçon joue au cerceau ou qu’un jeune homme, sa longue chlamyde ouverte, invite un autre à l’amour, se devinent toujours la présence forte d’Éros et les fantasmes du désir. Hannes Steinert, comme un poète le disait de ses mots, sait assurément « créer un fugace plaisir qui semble presque palpable. »

ErosOnyx dans une enquête de Têtu, par Sébastien Létard, n° 164, mars 2011

… En publiant entre deux et six livres par an, ces entreprises ne survivent que parce qu’elles ont des «exigences salariales lilliputiennes», admet une éditrice. En 2007, les fondateurs d’ErosOnyx ont même totalement renoncé à vivre de cette activité en choisissant un statut associatif.«Il fallait éviter les complications liées à une SARL», explique Erwan Orsel, attaché à la communication. Universitaires, auteurs, traducteurs, la vingtaine de bénévoles vient de fêter sa dix-septième publication. Mais sans profits. Trois ouvrages ont été subventionnés par le Centre national du livre, mais le plus souvent les recettes ne couvrent qu’un tiers du coût d’un tirage à cinq cents exemplaires. «On met la main à la poche, reconnaît Erwan Orsel. On n’a pas de salariés, donc on se répartit les tâches. On milite à notre façon

Grâce à leur engagement, les écrits d’auteurs parfois méconnus, telle Renée Vivien, restent accessibles. Rééditer des classiques de la littérature gay et lesbiennes ou des essais ambitieux sur l’homosexualité est aussi une volonté affichée par la plupart de ces maisons d’édition…

Entretien avec l’auteur des Homo Pierrot

HANDIGAY : Monsieur Lacroix, nous ne nous connaissons pas et ce dialogue mené via courriel est notre premier échange. Pourtant, après la lecture de vos quatre livres, j’ai l’impression que votre vie a été très bien résumée par votre éditeur (ou par vous ?) dans ce communiqué de presse :« Pierre Lacroix vit en Auvergne, sa province natale qu’il a quittée puis retrouvée. Ses goûts amoureux sont au coeur de son écriture. Fort du combat mené par d’autres depuis quarante ans et de l’avancée, même fragile, du droit d’aimer pour tous selon le goût de chacun et de chacune, il pense enfin venu le temps d’une écriture sans honte pour ces amours. Il est gay, il écrit, souhaitant glisser de la marge à la page sans perdre la couleur et le sel de la marge. » Qu’auriez-vous à ajouter à ce bref portrait ?

Pierre Lacroix : Surtout, Gérard, ne m’appelez pas « monsieur » : vous avez déjà écrit des choses si sensibles sur Homo Pierrot qu’il y a déjà entre nous une vraie connivence. Il en va du rapport lecteur-auteur comme de l’amour : on passe à un moment à un tel mélange de fusion qu’on peut appeler l’autre par son prénom, son petit nom, si on l’aime. Étrangers et frères. Ne me dérange pas non plus qu’on oscille après entre le « tu » et le « vous », cette exquise subtilité de la langue française qui épouse si bien les saisons des sensations et des sentiments, qui fait écho à cette alternance de symbiose et de différence qui marque tous les vrais rapports profonds entre les êtres. J’aime la façon dont vous écrivez sur moi, Gérard. N’ayez pas de crainte à m’appeler Pierre, à me vouvoyer quand ça vient comme ça, à me tutoyer quand ça vient aussi comme ça. Le beau, c’est ce qui monte sans avoir à se censurer. Les homos, filles ou gars, ont conquis cette marge douce, en marge de la société, où l’on peut épouser la peau de l’instant comme on le sent. On se fout de ce qui se fait ou ne se fait pas. Fais ce que tu sens. Faites ce que vous sentez. Moi, un homme qui écrit comme Gérard Coudougnan sur mes pages, j’aime qu’il m’appelle Pierre et je l’appelle Gérard.

Voilà qui rejoint aussi la question posée. Je me retrouve pleinement dans le portrait d’ErosOnyx et je pourrai développer jusqu’à plus soif ! Je me sens homo aux deux sens du terme, grec et latin. J’aime les êtres de même sexe, je suis donc différent de la norme hétéro, et je suis en même temps un homme qui savoure et affronte la vie, l’amour et la mort comme les autres. Il en faudra encore des pages et des pages, des films et des films, des chansons et des chansons, des documentaires et des documentaires, des entretiens et des entretiens comme celui-là, pour le faire comprendre à tous les châtrés du sexe et du coeur, mais pouvoir se mettre à poil et tout habillé de mots à la fois dans des livres comme Bleus ou Homo Pierrot, c’est la preuve qu’on avance dans le droit d’aimer qui l’on désire et d’en être fier au point d’en faire un livre qui passera peut-être de bouche en bouche, de main en main, de lit en lit, avant ou après l’amour. C’est pour ça que j’écris et que je tends craintivement des livres à des inconnu(e)s : pour que des hommes et des femmes disent peut-être un jour à quelqu’un qu’ils et elles aiment : « Tiens, lis ça, je m’y suis retrouvé(e), dis-moi si ça te fait le même effet. »

Oui, Gérard, existons au grand jour mais sauvons notre marge : ce désir décuplé, encore aujourd’hui, par l’interdit, et qui en accroît la beauté. Naître homo, vivre homo, mourir homo, c’est beau, non ? Cette douleur et ce cadeau. Ne laissons pas les bourgeois nous voler ça. Nous sommes pareils et pas pareils : la marge, c’est encore la page, mais on y écrit des choses que la pleine page de la normalité ne peut pas écrire de la même façon ! Se batte qui veut pour les mêmes droits que les hétéros ! Moi j’aime qu’on nous laisse vivre avec nos détresses et nos gloires d’homos, ne pas avoir d’enfant par exemple, ne vivre que pour le désir, l’amour tendre ou la passion, de sa puberté jusqu’à son dernier souffle, ça me va !

Attention ! Qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas : je comprends que certain(e)s aient besoin de se normaliser, de « se marier » comme des hétéros, d’avoir des enfants ! Mais moi, c’est pas mon truc, je veux garder mes délires d’adolescent, un homme à rencontrer pour vivre un amour fou, qu’il soit mon gigolo et mon âme-frère en même temps, et que je passe ma vie à le chercher, le trouver, faire bien autre chose avec lui que des gosses, le perdre, l’attendre, le retrouver, le chercher jusqu’à ce que je n’en puisse plus…. Garder toute ma vie mon corps et mon cœur de midinet homo ! Mais pardon, Gérard, ce n’est plus une réponse que je fais là, c’est un manifeste. Je suis tellement marqué par le fait d’avoir eu dix-sept ans quand des hommes et des femmes partaient au Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire ! Ils étaient eux-mêmes enfants de Rimbaud : L’amour est à réinventer, et les homos et les lesbiennes auront toujours à réinventer l’amour, à baiser la gueule aux fous de Dieu et aux Tartuffes retors, à se méfier des récupérations qui peuvent dégénérer en dépossessions, à ne jamais oublier de se battre pour vivre leur vie, exister à leur manière, la ramener toujours, à côte de la page des bien-pensants, leur belle marge politique et romantique !

H. : Pierre, puisque nous pouvons désormais utiliser nos prénoms, vous considérez-vous comme un écrivain, un romancier ou un poète ?

PL : J’écris. L’écriture ne m’a pas lâché depuis l’âge de quinze ans. Et puis, un jour, ça m’a paru montrable, à presque trente ans. Plutôt lent, le Pierrot ! Et personne n’en a voulu. J’ai continué à garder la foi du papier et de l’encre, jusqu’à ce que la publication, confidentielle, vienne enfin… à 40 ans ! Chez Geneviève Pastre. Je ne crache pas sur le communautarisme ; elle a donné vie à la première version de Bleus, réédité chez ErosOnyx (EO), et je lui dis merci. Mais vient un moment où la communauté gay vous étouffe, où l’on piaffe, où la marge veut éclabousser la page, il me fallait autre chose, un éditeur sans cloison fixe, fou surtout des livres où l’on soit libres d’être ivres de ses mots ! Je continue à avoir cette monstrueuse vanité de penser que j’ai quelque chose à gribouiller que personne n’a écrit de cette façon. Mes études de Lettres me rendent à la fois humble et confiant. Tout est dit, mais il reste toujours une manière nouvelle de le dire, de l’accorder à son temps, à son battement de cœur à soi, le colorer à l’encre de son sang. Qu’on me donne le nom qu’on pense juste, si on aime ce que je fais avec les mots. Moi, je n’en revendiquerai aucun : seuls les autres, les lecteurs en ont le droit. C’est vrai, je ne vois pas de frontière, chez les auteurs que j’aime et dont je parle dans Seul à Selves (NDLR : Homo Pierrot Tome 3), entre le roman et la poésie : ce qui me plaît, c’est d’écrire sur la vie avec des mots qui me paraissent dignes d’être portés à la lumière pour que d’autres y fassent leur nid. Là encore, je me sens terriblement double, je doute de moi et je crois en moi en même temps, je doute de tout et je ne doute de rien. Je fais cette chose si solitaire et si orgueilleuse à la fois : écrire et ne pas garder pour soi. Et puis est arrivée en 2007 l’équipée d’ErosOnyx, une poignée de fous d’écriture et d’Éros qui veulent essayer d’être totalement libres, hors des modes et jouer dans la cour des grands, avec diffuseur et distributeur : lancer des bouteilles à la mer quand on y a glissé des mots qui nous paraissent valoir le coup de l’aventure, tanguer mais pas couler, qu’elle flotte où elle pourra, la bouteille, et qui vivra verra !

Et puis, après des siècles et des siècles de dictature hétéro en littérature, à l’école et à la fac, il y a un tel océan où oser s’embarquer, en sachant d’où l’on vient, en essayant, en littérature française en tout cas, de pompeusement se rattacher au Prométhée Rimbaud, de se nourrir de Gide, de Proust, de Vivien, de Genet, de Cocteau, d’ Augiéras, de Navarre, de Guibert, mes grands phares grandioses en homopaysages d’écriture, de voir en quoi, nourris d’eux, je peux fouler un sol qu’il n’ont pas pu fouler… se sentir un Pierrot homo, incapable de séparer le cœur du sexe et penser qu’il est venu le temps où un funambule de la plume peut se risquer à monter sur son fil, bander pour la fidélité d’une passion belle et triste, triste et belle comme la vie !

H. : A côté de ces « piliers » déjà classiques, voyez-vous dans les productions les plus récentes de chacun des deux domaines, des auteurs ou des oeuvres particulièrement importantes pour notre combat ?

PL : J’avoue aimer les « classiques » et ne pas beaucoup lire de livres récents. Mais j’ai été soufflé par la gourmandise rabelaisienne de Jacques Astruc dans Sperme que les Éditions EO m’ont fait découvrir, ce texte à déclamer, ce panache de boulimique solitaire de tous les spermes de mecs du monde entier, homos et hétéros, qui, sentant la maturité venir, ne vire pas à l’aigre mais passe de la solitude gourmande du baiseur insatiable au bilan grave et chaud, « J’ai joui », et à l’amour doucement partagé avec un autre homme, pour l’amour de vieillir dans se renier. J’aime les œuvres où les homos ont un avenir après la fulgurante parenthèse de la baise.

Côté cinéma, ça ne manque pas, les beaux films récents qui mettent l’Éros homo ou lesbien au centre de la vie ! Là, je suis un boulimique, moi aussi. Par quoi commencer ?

J’aime les téléfilms anglais comme Tipping the velvet de Geoffrey Sax, d’après un roman de Sarah Waters, que j’ai découvert en DVD, si chaudement filmé, si pittoresque dans une Londres victorienne sacrément dessalée, avec des lesbiennes qui n’ont froid ni aux yeux, ni au sexe, ni aux idéaux politiques de gauche.

En DVD encore, Ce vieux rêve qui bouge d’ Alain Guiraudie : une usine qui ferme, des ouvriers qui prennent le chômage en pleine figure, mais qu’on nous montre vivants, et vivants par le sexe encore. Un jeune démonteur de machines se laisse lever par un ouvrier bien mûr, de ceux qui ont la délicatesse des chairs lourdes pour les jeunes fringants et qui font si bien l’amour, avec tout l’élan tendre de leur peur de vieillir. C’est un film audacieux et original, fait par un Aveyronnais de naissance, un film qui parle de la vie après la mort d’une usine, d’une sexualité qui n’a pas d’âge, d’une classe ouvrière qui n’est pas morte, mais en métamorphose simplement, et qui bande encore justement !

Beau à chialer, comme la dernière scène des chemises épinglées l’une dans l’autre de Brokeback Mountain d’Ang Lee : le dernier plan d’Ander, sorti cette année, un film d’un tout jeune metteur en scène basque, Roberto Caston, où un fermier taiseux, grâce à un ange visiteur, un ouvrier agricole péruvien, parvient à faire son « coming out » au milieu de la rudesse des mâles depuis la nuit des temps et avec la complicité d’une prostituée au grand cœur. C’est cru et beau comme un miracle du désir, dans la lignée du film pionnier, pour moi, de l’accouchement par deux hommes de leur désir homosexuel, dont je parle longuement dans Sous les toits de Paris : Nous étions un seul homme de Philippe Vallois, sorti en 1979. J’en profite pour dire à celles et ceux qui liront ces lignes que Philippe Vallois vient de sortir en DVD ses deux films vidéo, Nijinski et Huguette Spengler. C’est de la dentelle de vitrail autour de ces deux personnages, l’un de la danse et l’autre de la décoration décadente. Vallois cisèle deux kaléidoscopes en hommage à deux figures dont le corps, la vie et la création furent vraiment des œuvres d’art.

Enfin, ne boudons pas les valeurs reconnues : j’ai aimé que Chéreau, l’hiver dernier, dans Persécution, en pleine jungle froide du Paris d’aujourd’hui, offre à Jean-Hugues Anglade un rôle adolescent semblable au fond à celui qu’il incarnait dans L’homme blessé en 1983. Traquer un homme qu’on désire, intouchable, jusqu’à en accepter les coups, jusqu’à s’infiltrer dans son lit, s’y déshabiller et lui offrir ses fesses, parce qu’il n’y a pas d’amour fou sans acte sacrificiel, pas d’initiation aux mystères et aux tabous sans persécution. Anglade arrive à fêler le monolithe de froideur du personnage incarné par Romain Duris, qui acceptait sa vie vide, à ne même pas se rendre compte de la désolation d’impuissance qu’il offre à sa frêle et douce compagne incarnée par Charlotte Gainsbourg. La chanson Mysteries of love d’Antony and the Johnsons du générique final coule sur le film comme une si douce larme finale.

Mais pardon, Gérard, j’arrête. Les Pierrots, ça n’en finirait pas de pleurer devant les belles choses. Pas larmoyer, pleurer des larmes compatibles avec la fureur de vivre, d’écrire, de s’émouvoir, l’adolescence qui ne veut pas mourir. Je ne vous remercierai jamais assez d’avoir fait la différence dans votre article sur Seul à Selves entre larmoyant et mélancolique. On fait toujours ce que l’on peut avec ses plaies : ça ne veut pas dire qu’on les cultive. On vit avec, le plus longtemps possible, parce que ça vaut la peine, même à douleur, d’aimer et de vivre.

H. : Oui, cela vaut la peine mais encore faut-il pouvoir choisir le lieu de cette aventure qu’est la vie ! Votre choix d’un éditeur implanté dans le Cantal est-il une des conséquences des mauvaises expériences vécues à Paris ? Pensez-vous qu’une action culturelle est possible depuis d’autres lieux de la capitale de ce pays hyper-centralisé qu’est la France ?

PL : Aïe aïe aïe ! La question qui peut blesser. Comment l’aborder ? Ne soyons pas simpliste.

Avant tout, comme je l’ai dit plus haut, faisant partie dès le départ de l’aventure ErosOnyx, j’y suis arrivé avec l’intention de faire partie de l’association et d’y faire vivre mes livres. C’est revigorant, cette sensation d’être partie prenante, de prendre à la fois du plaisir et des risques. Le réseau qui se crée et grandit depuis 2007 autour d’ EO ne s’est jamais coupé de Paris. C’est encore les librairies « Les Mots à la bouche » et « Violette and Co » qui vendent le plus en France les livres d’EO. Ne crachons pas dans la soupe et n’opposons pas trop facilement Province et Paris ! Mais il fallait simplement trouver un autre air, dans un bel endroit, pour respirer autrement, dans des conditions où l’argent ne serait pas aussi crucial qu’à Paris, où l’on pourrait être petit et viable. Pouvoir stocker des livres, par exemple, ça ne coûte presque rien dans une grange du Cantal et ça coûterait les yeux de la tête à Paris, même en banlieue. Et puis un imprimeur qui vous permet trois jeux d’épreuves pour fignoler les finitions, même si la perfection n’existe pas, c’est un luxe incroyable.

Ensuite, il faut parler des horizons éditoriaux, et là, oui, il était important de prendre des distances avec la mode et ses critères terribles à Paris : notre époque semble vouloir étrangement séparer homos et lesbiennes. EO pense le contraire : la publication de Lucie Delarue-Mardrus, grâce à la revue Inverses et des oeuvres de Renée Vivien est un choix militant : les gays et les lesbiennes doivent lutter, créer et vivre en restant solidaires. J’aime qu’EO pense que nous avons beaucoup à faire ensemble et plus de convergences que de divergences.

Enfin, et toujours sur la questions des horizons éditoriaux : regardons la vitrine gay de magazines comme Têtu ou Pref, le premier plus clean, le second plus trash. Quelle place y est faite aux gays en dehors de la parenthèse d’âge où il sont soi-disant désirables par le maximum de consommateurs ? Et puis le glamour rasé ou épilé, avec juste les petites touffes qui font mâle, est-ce vraiment ce qui fait fantasmer la majorité des gays quand ils sont dans les bras d’un homme ? Où est-ce un moyen de nous rendre moins choquants, plus civilisés, plus présentables ? Il en faudrait au moins pour tous les goûts. Chez EO, même si ce n’est pas in, j’ai pu écrire sur le désir sexuel d’un adolescent de quinze ans pour son professeur de trente, du mal du pays qui peut entraîner d’atroces ruptures car Paris ne peut pas combler tous les manques, de la beauté de l’amour après quarante ans, – et les exquis Silver daddies, ne les oublions pas ! – j’ai pu évoquer les gouffres aussi, parler de la dépression où l’on patauge et d’où l’on sort, sans victoire définitive, mais avec toujours la féroce envie de vivre, d’aimer et d’être aimé. Bref, pour être gay, on n’en est pas moins victime du blues parfois et victime combative…

H. : Les lecteurs de Seul à Selves savent à peu près à quel âge ils vont retrouver Pierre, superbe victime combative. Pouvez-vous nous dire à quelle partie de sa vie s’arrêtera ce prochain et dernier volume ?

PL : Pour une fois, je vais être bref. Le dernier volume de Homo Pierrot s’appellera Rose buvard : il commencera avec le retour d’Erwan dans la vie de Pierrot et les accompagnera jusqu’au bout de leur vie. C’était le but initial de cette série : du ventre de la mère au ventre de la mort. Douce morphine de l’amour sur le rose buvard des chairs accordées. Et s’il arrivait à deux hommes ce qu’il arrive dans la mythologie à Philémon et Baucis ? Pour avoir laissé entrer le tendre et barbare Éros dans leur corps à cœur d’homos. Un conte pour enfants velus, Gérard.

H. : Oui, Pierre : pour ceux et celles qui ne veulent sous aucun prétexte raser les murs à cause de leurs goûts et qui vous remercient chaleureusement pour toutes les pistes de réflexion offertes. Nos lecteurs auront sûrement à cœur d’aller revoir ou découvrir certains des titres évoqués dans notre dialogue, ou mieux dans vos livres !

Commentaire : 22/01/2011 par Angelus (Notation : Très bien)

Beau, captivant et stimulant ! Auteur moi-même, après m’être battu avec tant d’éditeurs (parisiens), j’ai la tentation après 17 titres de tout laisser tomber… d’explorer d’autres voies… de me régénérer plus au Sud… de dépasser une homosensualité peut-être rabâchée. Le long texte de Pierrot a sur moi fait l’effet d’un baume et aussi d’un électrochoc. MERCI à lui ! Ceci dit, je n’oublie pas la question essentielle de Rainer-Maria qui ne doit pas cesser de fouailler et de hanter l’âme de tout écrivain – qu’il soit hétéro ou gay : « Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : “Suis-je vraiment contraint d’écrire ? ” Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. » Creusons, creusons… et que l’amitié ou l’amour virils nous tiennent unis, et dans la Joie !

19/01/2011 par Fredd80 (Notation : Génial)

Bigrement intéressant, vraiment ! « Des pistes de réflexion » ? Assurément ! Tout un tas de petites recherches à effectuer pour apprendre ou revoir des notions évoquées par Pierre… Revoir des films également… Quel entretien d’une densité passionnante… Je regrette vivement, pour ma part, ne pas pouvoir accéder plus aisément à la lecture de tout ouvrage… Pour des raisons physiologiques perso qui n’ont pas grande importance en regard de ce qu’il nous est offert de lire. Un auteur manifestant d’une érudition assurément « digeste ». On est vraiment animé de l’envie de « s’attaquer » à la lecture de cet ouvrage (et de tant d’autres auxquels il est fait allusion au passage, donc…). C’est toujours une expérience enrichissante que de profiter de l’enthousiasme de quiconque se tient à la disposition des autres pour offrir… On se sent chanceux, l’espace d’un instant. Pas par sociale convenance « parce qu’il le faudrait » au prétexte qu’un auteur a bien voulu nous consacrer de son temps (par l’intermédiaire de M. Gérard), mais parce qu’on le ressent. Comme une véritable envie née de la considération de l’auteur pour son lecteur. Pour résumer, je retiens ce propos de Pierre : -« Je continue à avoir cette monstrueuse vanité de penser que j’ai quelque chose à gribouiller que personne n’a écrit de cette façon. (…) Tout est dit, mais il reste toujours une manière nouvelle de le dire, de l’accorder à son temps, à son battement de cœur à soi, le colorer à l’encre de son sang ». Il me semble en effet que tout est là. Cela doit être, vraisemblablement, la gageure à laquelle est confronté l’auteur. Pour autant, je ne pense pas qu’il y ait lieu de considérer-là une vanité. Même si c’est le jeu de l’auteur que de l’envisager… OK. Je suis confiant sur le résultat. Par avance. Un blanc-seing, en quelque sorte. Pour ce qu’il vaut, bien sûr ! C’est chouette de pouvoir lire de lumineux propos comme ceux-ci. Merci à Pierre et Gérard. Fredd.

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Entretien avec un éditeur

Les Toiles roses : Yvan Quintin, bonjour et merci d’avoir accepté de nous accorder un peu de temps qui doit être compté quand on dirige une maison d’édition, même si votre attaché de presse Clément Marie l’appelle joliment une « maisonnette d’éditions ». En complément de la recension de votre dernière publication, Mythologie gayment racontée, figure une courte biographie. Souhaitez-vous y ajouter des compléments ?

Y. Q. : Pas spécialement. Je tiens d’abord à vous remercier de vous intéresser à ErosOnyx et à son « patron » comme vous le dites, bien que notre aventure éditoriale soit collective – même réduite en nombre de personnes, et qu’aucune décision ne soit jamais prise par une seule d’entre elles, sauf urgence. Mais le cas ne s’est pas encore présenté.

T.R. – De votre expérience d’enseignant, avez-vous un ressenti de frustration face à la machinerie hétéronormative qui écrase, efface, transforme la réalité des amours grecques ?

Y.Q. :Oui et non. Oui, parce qu’on ne peut jamais devant des élèves aborder à brûle pourpoint une ou des questions d’ordre sexuel, parce que, implicitement, quand on étudie tel ou tel auteur c’est la lecture et la réflexion hétéronormatives qui l’emportent, c’est vrai. Mais pas de frustration hétéronormative, toutefois, dans la mesure où la liberté d’esprit propre à un professeur et sa liberté pédagogique qui est et doit rester entière (sans qu’elle relève d’un prosélytisme gay ou d’une obsession sexuelle, bien entendu) doivent lui permettre de dire les choses comme elles sont ou comme elles étaient. Par exemple forcer le trait, dans le sens homosexuel, au sujet de l’amitié entre Montaigne et La Boétie ne convient sans doute pas, mais laisser planer le doute, faire entendre que peut-être… mais pas sûr…, faire comprendre que l’amitié entre deux hommes ne ressemblait pas à ce qu’elle peut être à notre époque (de même que les liens conjugaux d’alors ne ressemblaient pas à ceux de notre temps), était tout à fait permis quand j’enseignais. Du moins, je n’ai jamais eu à me plaindre d’une quelconque censure. En revanche, parler clairement et explicitement des rapports de Verlaine et de Rimbaud, des goûts de Montherlant, de la liberté critique de Diderot, de la vie et des œuvres de Genet, révéler à de grands adolescents la beauté des Nourritures terrestres ou l’audace de Gide avec Corydon relève tout à fait de cette liberté d’esprit et de la liberté pédagogique que je mentionnais. Tout comme dans les cours de grec s’attarder sur l’amitié si dense d’Achille et de Patrocle, sur le personnage d’Orphée dont la tradition réduit la vie à sa relation à Eurydice… Mais là-dessus, je vous renvoie à un livre bientôt dans le commerce.

Je me souviens très bien des réactions suscitées dans mon cours de latin quand, avec des élèves de prépa il est vrai, j’ai abordé les mœurs d’Antoine (vous savez, celui d’Antoine et Cléopâtre !) dénoncées par notre grand (et si prude) Cicéron. Il a été marié, le cher Antoine et à un homme en plus, quand il était jeune. Marié à un dénommé Curion par « un mariage stable et régulier » dit Cicéron ! Et le poète Catulle, donc ! Il n’y va pas de main morte, c’est le cas de le dire, pour invectiver un adversaire. Là où nous disons « Va te faire enc… », les Romains, eux, disaient « Je te jouirai dans la bouche ». Certains parmi mes élèves étaient un peu choqués, m’a-t-on dit, parmi les filles, paraît-il.

Je ne sais si mon cas est généralisable, bien sûr, et je ne le crois même pas, puisqu’un de mes jeunes collègues, parlant des rapports de Néron et d’Agrippine et des traces laissées par le fils dans la litière de sa mère, s’est fait taper sur les doigts par son proviseur, sur plainte de parents. Et c’était au lycée Louis-le-Grand !

L’idée d’introduire la sexualité dans l’Éducation Nationale a dû m’habiter bien des années avant, quand j’ai appartenu à une association (disparue depuis longtemps) dénommée AGLAE (association gay et lesbienne autonome d’enseignants – autonome pour expliciter notre indépendance de tout autre mouvement) qui malheureusement n’a pas abouti. L’entreprise se poursuit sous d’autres formes, je crois, et tant mieux, grâce à des enseignants déterminés. Je n’en sais pas davantage.

T.R. – À l’opposé, de nombreux auteurs, historiens et hellénistes ont fixé les limites de cette homosexualité aux frontières assez strictes (éraste et éromène) qui font qu’il est délicat de comparer les évolutions actuelles avec une antiquité aux codes tellement différents….

Y.Q. : La sexualité a toujours été la sexualité, la nudité a toujours été la nudité… Vous citez fort justement le numéro d’Histoire sur ce sujet. Ce sont les modalités de l’une comme de l’autre qui changent d’une époque, d’une civilisation à l’autre. Mais ce qui reste vrai, cependant, c’est que les Anciens faisaient moins d’histoires à propos des rapports entre mâles, jeunes et jeunes, jeunes avec de moins jeunes. Le mariage était une institution jugée nécessaire pour la survie non seulement de l’espèce ou d’un nom, mais aussi de la cité, de la société. Mais il serait abusif, à mon sens, de dire que les rapports entre hommes et femmes excluaient les rapports sexuels entre hommes. Sous quelle forme ? Peu de textes nous le disent explicitement, crûment devrais-je dire. Pourtant jusqu’à la prédominance « totalitaire » du judéo-christianisme (encore que Boswell à ce sujet soit plus nuancé), il n’y avait pas que de jolis éromènes et d’athlétiques érastes pour illustrer les amours grecques. Foucault dit que c’est l’époque moderne qui a inventé le fist fucking. Probable. Mais chaque époque a ses pratiques et le godemiché ne date pas d’aujourd’hui.

T.R. – Votre maisonnette d’éditions fait figure de « petite maison gay dans la prairie auvergnate ». J’aime vous comparer à H&O qui, basée à Montpellier, fait elle aussi un travail d’une incroyable audace en misant sur la très haute qualité. Votre statut associatif fait la différence et pourrait intéresser certains de nos lecteurs qui ont envie d’écrire : pouvez-vous nous donner quelques détails sur l’histoire d’ErosOnyx et sa localisation dans le Cantal ?

Y.Q. : La localisation d’ErosOnyx dans le Cantal vient simplement du fait que les premiers « aventuriers » de cette association habitent le Cantal, et aussi d’une rencontre d’idées sur la question de l’édition. J’ajouterai que cette histoire, qui a aujourd’hui deux ans et demi, a été suggérée par la directrice d’une maison d’édition spécialisée dans la littérature orientaliste, elle-même située dans le Cantal.

Créer une maison d’édition qui puisse au moins salarier un individu était et reste impensable. Mais notre but n’est pas de faire du profit, c’est de nous faire plaisir et si l’on écrit soi-même sur le vaste sujet de l’érotisme (gay en priorité), de ne pas envoyer son manuscrit à droite et à gauche, sans jamais recevoir de réponse (nous nous faisons un devoir de répondre dans les trois mois à quiconque nous envoie un texte). Le but aussi est de semer des graines et, par la recherche de textes de qualité (autant que possible), créer des liens entre les gays (et les lesbiennes) qui se reconnaissent, ne se sentent pas seuls dans les livres que nous publions, découvrent un patrimoine à eux etc. Cela n’exclut pas que nous puissions éditer des textes hétéros s’ils glorifient aussi une dimension que nous estimons essentielle dans l’être humain, la sexualité et la relation de chacun avec Éros. C’était particulièrement le cas avec Erotika de Yannis Ritsos.

Avec notre projet d’une publication si possible annuelle, intitulée Des nouvelles d’Éros, nous offrons à qui le veut et partage notre conception sur ce point, l’opportunité de voir publié ce qu’il écrit dans ce sens. Nous ne censurerons rien, du moment que le texte nous paraît avoir une qualité littéraire, une touche personnelle.

Nous voulons en outre que l’objet livre soit lui-même attrayant, beau (papier, couverture à rabats, cahiers cousus à l’ancienne…). Aurillac a une tradition dans l’imprimerie et nous avons la chance d’être toujours judicieusement conseillés par notre imprimeur (qui est une femme).

Malheureusement, le Cantal n’est pas Paris pour ce qui est des relations et des soutiens ! À bien des critiques littéraires nous devons paraître très provinciaux ou peut-être prétentieux, malgré nos titres comme ceux de Vivien, Delarue-Mardrus ou Ritsos… Et il y en aura d’autres !

Il faut ajouter que nous n’avons pas créé ErosOnyx Éditions pour le seul public gay et lesbien. Si Les Mots à la Bouche, à Paris, nous soutiennent avec régularité, il y a à Aurillac une excellente librairie qui, sans être gay (je le dis en plaisantant, bien sûr !) nous soutient aussi chaleureusement. et qui n’est pas du tout effrayée par la thématique de nos publications. Le libraire à qui nous offrons toujours un exemplaire de nos nouveaux livres, nous fait chaque fois un compliment sur leur beauté matérielle. Mythologie gayment racontée lui a ainsi particulièrement plu, mais le Sapho de Vivien aussi. Que dira-t-il donc de notre onzième ouvrage, Poèmes 1901-1910 de Vivien prévu pour novembre ? Je dois reconnaître qu’il peut y avoir eu des ratés. Ainsi de Fleur de chair dont je ne suis pas moi-même très satisfait … !

T.R. – Quels sont vos liens avec la revue Inverses et l’Association des Amis d’Axieros, dont il sera prochainement question sur Les Toiles Roses ?

Y.Q. : Après un service de presse assuré auprès d’Inverses, son directeur de publication a pris contact avec nous pour une collaboration qui, jusqu’à présent, a été fructueuse. Il s’agit de la co-édition de Nos secrètes amours de Lucie Delarue-Mardrus. Nous n’avions pas encore un an d’existence. La direction d’Inverses a dû nous juger assez sérieux pour nous proposer cette collaboration qui pourra et devrait se poursuivre.

T.R. – Tout comme H&O, vous semblez superbement et stupidement ignorés par les grands médias, gays ou généralistes : pensez-vous que votre situation hors des cercles parisiens soit la cause de ce silence ?

Y.Q. : Je le pense vraiment, malgré nos efforts et particulièrement ceux de Clément pour joindre de « grands » noms des médias parisiens. Même pas une réponse ! D’où ma réticence personnelle à faire trop d’envois de presse, même à Têtu qui nous ignore superbement. Peut-être, si suivant les conseils de notre premier distributeur (racheté par notre distributeur actuel), nous avions racheté les Éditions gaies et lesbiennes, avec leur catalogue, nous serions-nous mieux fait connaître. Je n’en sais rien à vrai dire. Nous ne l’avons pas fait parce que nos lignes éditoriales n’étaient pas du tout les mêmes et, disons-le franchement, parce que nous n’en avions pas (et n’en aurions toujours pas) les moyens !

T.R. – En contrepartie, posséder un livre édité par ErosOnyx donne l’impression d’avoir près de soi un trésor caché. Quels sont, pour ceux qui n’ont pas encore goûté à ce plaisir les moyens d’y accéder (libraires, sites internet …) ?

Y.Q. : Le bouche à oreille, le cadeau fait à un ami, le détour par Les Mots à la Bouche si l’on habite Paris, et je devrais le dire tout d’abord…. en consultant les commentaires critiques avisés comme ceux de Toiles Roses ou de Handigay !

T.R. – Vous avez récemment reçu une aide du Centre National du Livre pour votre publication du livre de Yannis Ritsos, Erotica : je suppose que cela doit avoir la valeur d’une reconnaissance officielle très gratifiante ?

Y.Q. : En effet, recevoir le soutien financier du CNL moins de deux ans après notre création, a été un grand encouragement avec, comme vous le dites, la valeur d’une reconnaissance officielle. Nous comptons récidiver !

T.R. – Vous accordez – et ce n’est pas courant – une place quasi équivalente aux amours entre filles et aux thèmes gays. Pourriez-vous nous présenter l’état des lieux du prochain colloque autour de Renée Vivien ?

Y.Q. : Je dois ici exprimer ma gratitude à Nicole G. Albert, spécialiste de Vivien, à qui je m’étais ouvert de cette idée de marquer le centenaire de la mort de Renée Vivien. L’idée lui a immédiatement plu et nous avons depuis l’hiver dernier mis en œuvre des efforts communs pour faire aboutir le projet. Le contenu du programme de cette journée du 20 novembre, à savoir « Une femme entre deux siècles » vient de Nicole G. Albert, auteure, sous la direction de qui a été récemment publié un ouvrage collectif intitulé Renée Vivien, une femme à rebours. Oui, Vivien une femme à rebours, c’est bien pourquoi nous nous sommes aussi intéressés à cette poétesse injustement méconnue. Encore que… il semble que son nom revienne peu à peu si l’on en juge par les cinq poèmes d’elle cités dans l’Anthologie de la poésie érotique et décadente (aux Belles Lettres) – elle dont le nom d’ailleurs clôt l’ouvrage – contre un seul d’Anna de Noailles !

T.R. – Il ne me reste plus qu’à vous remercier pour cette si instructive conversation. J’ose espérer que l’on ne nous accusera pas d’avoir parlé comme deux enseignants ! Nous avons cherché à faire partager les plaisirs littéraires et plus généralement humains qu’ErosOnyx s’emploie si bien à proposer au public.

Y.Q. : Sans aucun doute, j’aurais bien des choses à ajouter et à vous dire. mais vos questions m’auront déjà permis de bien faire le point sur notre entreprise que nous préférons appeler « aventure ». Au nom de notre petite équipe, je veux vous remercier pour cet entretien.

ENCORE UN TOUR DE PEDALOS

ENCORE UN TOUR DE PÉDALOS ( Je hais les gais )

Spectacle total et autodérision décapante !

Il ne manque pas d’air, Alain Marcel, de nous concocter Encore un tour de pédalos… et n’oublions surtout pas le sous-titre étrange et provocateur (Je hais les gais), plus de trente ans après Essayez donc nos pédalos : on pourrait croire qu’il y avait moins à dire sur le sujet et que les avancées du mouvement LGBT avaient annulé la charge téméraire et libératrice du spectacle de 1979. Surtout pas ! Alain Marcel sait que rien n’est définitivement gagné pour le droit d’aimer qui l’on aime, quand on aime à contre-courant de la plupart des autres, et que certaines avancées dans ce domaine, très localisées sur le globe terrestre, n’empêchent pas de mettre en garde, de rester vigilant, d’asseoir encore et toujours notre différence, notre identité, notre diversité… tout en sachant vitupérer les gais quand ils se croient aveuglément les reines ou les rois. Sans rien renier des acquis des trente dernières années, Alain Marcel fait un portrait au tendre vitriol, loin des modes, des revues branchées, des communautés métropolitaines ! Il lui fallait une nouvelle fois faire une déclaration d’amour et de satire vache aux pédalos de 2011 : qui aime bien châtie bien, selon l’adage antique, et la force d’Alain Marcel, c’est d’en faire un spectacle total, pour les yeux, les oreilles, les méninges et le cœur, un beau spectacle culotté, émouvant, hilarant, grinçant et décapant à la fois !

Car il en faut de l’audace et de l’invention pour nous embarquer dans ce spectacle à cinq garçons en scène, quatre acteurs-chanteurs-danseurs et un pianiste, côté jardin, vêtu de noir à son piano noir, spectacle sobre pour les moyens mis en œuvre, mais rehaussé par les éclairages, ciselé par les textes des répliques et des chansons – petit aparté : ErosOnyx Éditions ne seraient pas peu fières de les publier – , époustouflant de légèreté par les métamorphoses des acteurs toujours en scène, leurs talents pour dire, chanter et danser le spectacle. Épure et variété, rencontre réussie de deux esthétiques complémentaires.

Autre paradoxe constant et réussi, même si le public doit accepter de se sentir pris dans le curieux malaise de l’alternance entre charme et baffes en pleine gueule – le pari était loin d’être gagné d’avance – : Encore un tour de pédalos nous tourneboule de tendresses en vacheries, dans un enchaînement non-stop d’une heure trente où le brio du spectacle ne court-circuite jamais le doux-amer des messages.
Tendresse véritable par exemple pour le parcours du combattant des sodomites, bougres, invertis, tantes, folles, pédalos, pédés, homosexuels, avant de pouvoir tout simplement devenir homos dans les années 1970, bien avant qu’on nous gratifie de l’ambigu vocable anglofrancosaxon de gais. Le spectacle évoque sobrement, douloureusement, les martyrs du triangle rose chez les nazis et dans tous les pays conquis par les nazis, mais aussi les martyrs d’aujourd’hui, ceux de l’homophobie ordinaire et extraordinaire autour de nous, ceux de tous les fanatismes politiques et religieux qui sèment encore la terreur sur Terre : la pendaison en Iran est le pic non immergé et notoire d’un iceberg de barbarie qui nous glace toujours le sang en 2011. Iceberg dont fait partie la mise à l’index judaïque, islamique et catholique du préservatif et de ce que les religions, quand elles se fondent sur leurs dogmes et leurs saintes Écritures, nomment « culture de mort ». Oui, Alain Marcel a raison de rappeler qu’à tous ceux qui crient haineusement « Habemus Papam », il faut opposer la parole de plaisir et d’amour « Habemus corpus ».

Tendresse aussi, toute de dentelle, pour le placard où il nous a fallu passer, entre les robes ou les fourrures de maman, selon notre classe sociale : dans un ensemble de chansons savantes et prenantes, nous tenons ici à rendre un hommage tout particulier à la «petite souris de penderie, petit rat de placard », texte touchant et mélodie exquise de poésie rose et grise.
Le piano, délicatement parfois, violemment d’autres fois, souligne la gamme multiple de couleurs qui parcourent le spectacle.

Mais la tendresse, comme l’annonce le sous-titre, n’exclut surtout pas la franchise ! Les gais, trente ans après Essayez donc nos pédalos ! peuvent aussi être haïssables et, pour reprendre les termes d’Alain Marcel dans le numéro 162 de Têtu, son nouveau spectacle ne se veut surtout pas simple reflet de notre temps, mais spectacle « politiquement incorrect », créé pour l’amour des pédalos irrécupérables par quelque conformisme que ce soit justement !

Le spectacle ne donne jamais dans la bluette ou l’idéalisation : il n’épargne pas, entre autres, la jungle de la drague gaie, cet amour-propre qui hante les lieux noirs plus souvent que le besoin d’amour… Ni les marottes des folles chics et hyper droitières qui veulent que tout rapporte, les garçonnières comme les bergères Louis XV, qui vont jusqu’à s’offrir les doux services licencieux d’un livreur, en le payant avec des tickets de stationnement et se gargarisant, après son départ, de la joie fielleuse qu’il ne pourra jamais « se payer une voiture »… Le rire devient jaune devant les Marie-Antoinette de la gaytude ! Mêmes sarcasmes devant les gloussements des tantes incurables qui voient du gay partout, chez tous les présidents surtout, foi de folles hystériques…. Alain Marcel va même plus loin dans le regard porté sur les revendications de certains gais d’aujourd’hui : n’y aurait-il pas un soupçon de haine de soi rampante dans le caprice d’avoir tout comme un couple normal ? La charge est amère contre le « Marais-cage », où le dernier cri est d’avoir un bébé pour snober les pauvres ploucs qui ne sont que pédés !!!

On l’aura compris : Alain Marcel ne cherche pas à ne se faire que des amis dans le milieu gai, il monte un spectacle de poète bien décidé, comme il y a trente ans, à ne rien perdre de la saveur soigneusement observée par lui des pédalos d’aujourd’hui. Comme si être homo, c’était naturellement savoir rire de soi ? Ni folle, ni Pierrot, un esprit mêlé d’émotion et de dérision, servi ici par un talent très personnel d’artiste. Les quatre « personnages multiples » sont stupéfiants. Physiquement. Vocalement. Gymnastiquement. Chorégraphiquement. Avec ce mélange de naturel et de charme sexy selon les variations des habillages, déshabillages, et éclairages. Ils viennent d’horizons géographiques divers, ce qui donne de l’empan à la modernité du spectacle : deux blancs, un beur, un noir, trois couleurs de peau qui vont bien ensemble et cassent les frontières physiques et morales. Hymne aux homos qui passent allègrement les barrières religieuses, ethniques, sociales et psychologiques : le spectacle, on l’a compris, ne s’arrête jamais à la seule dérision, il est tout entier fait d’ouverture. Dés ses premières minutes, on nous fait passer de la haine de soi à l’amour de soi, comme si la vérité était toujours dans l’oscillation de l’émotion et de l’ironie, du chaud et du froid. L’éventail des possibilités vocales de ces quatre garçons en est aussi l’expression : ils peuvent aller des piaillements suraigus du caca de fiotes perdues au velours baryton des cuirs mâles et à la schlague virilo-tranchante des homophobes de tout poil.

Ce spectacle est un alcool qu’on peut savourer ou ne pas pouvoir avaler : c’est sa force, comme est inouïe l’énergie des acteurs et du pianiste. Comment peut-on garder le souffle ou la main, à ainsi jouer, parler, chanter, danser, changer en quelques secondes de look, de voix, de peau… ? Alcool fort et mécanisme de parfaite précision.
(Je hais les gais). Comme Genet fait dire à ses personnages : « Je te hais d’amour ». Sans doute Alain Marcel ne peut-il dire son amour que comme ça, rose et noir, caresse et trique, et toujours poésie à l’esprit vif. Bravo, les pédalos !

Homo Pierrot t. III sur le site de Handigay

Nous suivons Pierrot depuis le début de son autobiographie (tome 1 et tome 2) : le personnage a fait son nid dans la tête et dans le coeur du lecteur et c’est avec une vraie émotion que l’on ouvre ce qui est déjà l’avant-dernier tome de ce récit. Cette émotion est trop forte pour pouvoir imaginer une impasse sur l’enfance, l’adolescence (auvergnates) et la vie parisienne de Pierre LACROIX : impossible donc d’imaginer ce que ressentirait celui qui embarquerait ici, à Selves où le narrateur fixe sa vie pour se reconstruire après sa rupture avec Erwan.

Est-il raisonnable de raconter un chagrin d’amour qui se transforme en dépression nerveuse sur plus de cent cinquante pages ? Les familiers de l’auteur savent qu’il est plus souvent sujet au spleen et à la mélancolie qu’à un optimisme béat : son esprit analyse avec rigueur et lucidité tous les remous de son âme d’idéaliste amoureux.

À son service, on retrouve cette plume unique qui ralentit toujours aussi voluptueusement le lecteur le plus rapide : comment pratiquer une lecture silencieuse de ce texte alors que chacun des mots a été choisi et écrit pour vibrer de toutes ses sonorités sous la langue et dans les oreilles du lecteur ? C’est le poète en prose auteur de Bleus que l’on retrouve ici plus que le romancier des débuts d’Homo Pierrot : il a même hellénisé (p. 84) en Anaphranyl, l’orthographe du célèbre antidépresseur Anafranil (1) dans une page où l’on trouve la plus belle et la plus poétique description de la dépression nerveuse.

Pierre LACROIX n’est jamais larmoyant. De Proust à Navarre en passant par Cocteau sans oublier Augiéras, il offre aux amoureux de la littérature, à ceux qui ont construit leur différence dans les fragments de leurs semblables dissimulés ou exposés par les plus grands auteurs, un panorama personnel des oeuvres où l’amour des garçons est l’un des éléments essentiels. Il édicte ainsi p. 48 et 49 un principe d’amour de la vie, où le Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain de Ronsard est développé dans un amour de la beauté où le goût des mots et des livres occupe la première place. Sans oublier le cinéma ni la chanson, l’auteur fait ainsi le tour des arts qui, entre mélancolie et énergie de découvrir encore, ont marqué son existence.

Mais nous ne sommes pas en compagnie d’un pur esprit : Pierre a un corps dont il sait si bien décrire le vieillissement – avec de pertinentes réflexions sur les modes relatives au poil masculin ! – ainsi que les pulsions, ici libérées lors de masturbations avec supports divers.

C’est avec un artisanat très particulier que Pierrot commence une nouvelle vie. Seul à Selves, il nous faudra encore attendre quelques mois pour retrouver des plumes et la plume qui vient régulièrement nous offrir des émotions si chamarrées, même lorsque le noir en est la couleur dominante.

(1) qui sauva Philippe Labro, cf son livre Tomber sept fois, se relever huit, Gallimard

Avec un peu de retard… le dvd de LA JOURNEE DE LA JUPE

Le temps était venu pour que, bien loin d’Entre les murs, un metteur en scène courageux et une actrice qui n’a pas oublié le rôle qu’a tenu l’école dans sa vie, portent un film comme celui-là : lucide et lyrique à la fois.

Une réussite cinématographique et un moyen de prendre conscience qu’il y a encore des résistants dans l’École de la République. Bravo à tous ceux qui ont soutenu ce film et à Adjani, pas seulement star, mais toujours femme de feu qui sait prendre des risques

Rémi Lange annonce la sortie du Journal d’Omelette (avec dvd)

[http://livres-et-cinema.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/12/20/underground-meme-pas-mort-entretien-avec-remi-lange-et-sophie-blondy]

Dans Cinélivres, Jean-Max Méjean, du Nouvel Obs, autour de la sortie de Partir, dernier film de Rémi Lange, s’entretient du cinéma underground avec le cinéaste qui annonce pour juin 2011 la sortie chez ErosOnyx Éditions de son Journal écrit d’Omelette, à l’origine du film sorti en 1998. Ce Journal sera accompagné du dvd.

Voir aussi sur Google : « Underground même pas mort »

Ci-dessous Jean-Max Méjean

Réédition Nouvelle maison d’édition

Un nouvel éditeur Jacques Flament publie une réédition de Escal-Vigor de George Eekhoud avec une postface de Mirande Lucien, membre d’honneur de l’association Nix et Nox, auteure de la présentation et de l’établissement du texte de Nos secrètes amours de Lucie Delarue-Mardrus chez ErosOnyx Éditions, en 2008. .

Ce livre paraît dans la collection « Résurgences » des Éditions Jacques Flament, nouvelle maison qui se présente ainsi sur son site :

http://www.jacquesflament-editions.com/presentation.html :

« Cette nouvelle maison d’édition farouchement indépendante, artisanale, hors des circuits industriels traditionnels du livre, loin géographiquement du sérail éditorial parisien, dont la finalité est la réédition d’ouvrages rares et la mise à jour de voix nouvelles originales. »

Nous saluons la venue d’une maison d’édition sœur d’ErosOnyx qui elle, aussi, cherche à rééditer des ouvrages de qualité rares ou difficiles à trouver voire introuvables, à publier des voix nouvelles, quelles qu’elles soient, françaises ou étrangères, loin des préjugés et des modes, dans la ligne qui est la sienne.

Info Culture Montréal PQ

« J’ai joui ». Voilà l’épitaphe que souhaite avoir Jacques Astruc après sa mort. De là à faire le lien avec SPERME le titre de son ouvrage il n’y a qu’un pas à franchir. Le sperme qui éclabousse. Qui jute. Qui libère. Qui apporte la jouissance. Car ce que Jacques Astruc nous confie sans pudeur ni pruderie c’est son rapport avec le désir, le plaisir et le pénis, celui de jeunes gens et le sperme éjaculant. Pour lui « le sperme est vérité de vie contre la mise à mort du monde », allant même jusqu’à souhaiter une Internationale du sperme.

Ces écrits sont un immense pied-de-nez à tous ces ayatollahs de l’emprisonnement du désir et du plaisir, lorsqu’assouvi. Évidemment que ces ayatollahs se donne les plaisirs qu’ils défendent aux autres mais en dessous de la soutane. Attrait pour des fesses fermes, pour des bites turgescentes, pour des glands gonflés à bloc qui ne souhaitent et n’attendent qu’à être soulagés de la tension réfugiée dans les testicules au bord de l’explosion. La sexualité avec des mecs hétérosexuels qui ainsi « révèlent la femelle cachée dans leur corps de mâle » n’est rien moins que le rêve de vouloir changer le monde, d’empêcher que les corps de jeunes soldats ne viennent joncher les champs de bataille. Mais ce n’est qu’un souhait. Qu’un désir qui ne sera jamais assouvi.

Les Éditions ErosOnyx viennent encore une fois lancer une pierre dans la mare des bien pensant qui depuis des millénaires veulent contrôler le désir chez l’homme. SPERME est un retentissant camouflet aux coquerelles de sacristies, aux hypocrites qui se permettent ce qu’ils proscrivent aux autres. Il n’est qu’une mission sur terre : celle de jouir. Car, « entrer dans le jeu du désir, c’est admettre que l’on est soi ».
Hymne au sperme, par un fin gourmet des spermes du monde entier. Frénésie du jouir jusqu’au requiem du J’ai joui. Le saigner à blanc du plaisir partagé contre la partouze de sang de la guerre. Un « love and peace » revisité, audacieux et sincère.Ode ithyphallique et poétique à savourer par tous les spermophiles insatiables ! Nous dit l’éditeur.
Quel magnifique réquisitoire pour la récupération citoyenne du désir, du plaisir et de l’éjaculation! À lire absolument!

L’AUTEUR

Jacques Astruc est bibliothécaire à Paris. Il a déjà publié Au bord (2004) et Chambranle (2006) chez Sens et Tonka, Après le temps (2006) aux Éditions de Janus, Venin de rose ( 2007) chez Alexipharmaque.