Hommage à Werner SCHROETER, le roi des roses

Le Roi des Roses de Werner Schroeter

Le film, sorti en Allemagne en 1984, est passé en 1991 à Paris, à l’ Épée de Bois, chaleureuse petite salle du Quartier Latin qui s’était pour l’occasion pavoisée de roses rouges.

Werner Schroeter est à facettes multiples comme tous les baroques. Le Roi des Roses est un conte gothique en décor méditerranéen, charnel et mystique, un film où l’artiste orchestre superbement son leitmotiv : la beauté cruelle, de fleurs et de sang, des amours interdites.

Peintre sur l’écran, comme Luis Caballero est peintre sur ses toiles, les deux hommes ont en commun le goût du péché laissé par une éducation religieuse et la fascination pour les destins de martyrs, Christ et Saints de La Légende Dorée, corps rongés par la maladie ou les si longues épines de l’amour impossible. Les deux artistes partent d’un matériau brut pour atteindre un somptueux maniérisme de poses, d’éclairages, de palettes. Leur univers est théâtral, exacerbé, constamment écartelé entre agonie et orgasme.

Dans Le Roi des Roses, tourné au Portugal, nous ne saurons pourtant jamais où nous sommes, ni à quelle époque exactement. Lieux et temps se fondent en chromos d’album foisonnant où le primitif le dispute à l’extrême sophistication. Primitif à première vue le décor : on est dans un étrange Éden rocailleux, au bord de vagues lancinantes. Mais tout est artifice dans ce cadre apparemment primitif : on y entend dans la bande-son beaucoup de silences mais aussi plusieurs langues, de celles des personnages à celles des voix de la bande-son, chansons et arias d’opéras. Nombreux sont les arts qui s’y entrecroisent, populaires ou classiques, des comptines jusqu’aux grandes orgues et airs d’opéra, de naïves images pieuses jusqu’aux sculptures vivantes ou tableaux décadents et surréalistes de certaines scènes. On y entend des prières napolitaines, des extraits des poèmes d’Edgar Poe et d’autres de Pablo Neruda dits par leur auteur. Le Roi des Roses est une orgie de toutes les beautés dont l’art est capable.

On y erre à travers une forêt de symboles, entre des fresques évoquant le Qattrocento et les piliers d’une architecture baroque où s’accouplent des visions de beauté et de laideur, de bien et de mal, de vie et de mort. Lieux désertiques écrasés de soleil comme une biblique Palestine. Jardins en fleurs sous la lune comme les roseraies persanes de Saadi. Plages nocturnes battues des vagues où se baignent nus les deux héros du film, loin des intérieurs si élégants qu’ils en sont inquiétants, étouffants. Une bergerie, paillée de frais, à rôles multiples : étable de la Nativité, église rustique avec les sonnailles de brebis pour musique, mais aussi surprenante prison pour un brun jouvenceau. Poutres tendues de toiles d’araignées et chapelles fleuries de rouge. Danse des phalènes aux rayons de la lune et plongée angoissante, au fond glauque des eaux, d’un crapaud mystérieusement encagé. Blanche fontaine purificatrice et chair humaine trouée, sang giclant par toutes les veines. Roses fraîches et roses desséchées. Roses épanouies et roses mutilées, parcourues de crapauds, minées par un cancer secret. Roses gorgées de sève et roses gorgées de sang. Toute la création, dans Le Roi des Roses, est montrée dans sa fatale dualité : la nature y est pétrie d’idéal et de damnation.

Un personnage hiératique orchestre ce pictural chaos : Anna, une femme allemande, veuve apparemment, mère d’un fils né de père arabe, belle comme une Madone frêle, rousse comme une magicienne, se révèle progressivement avoir jeté cette malédiction de mort sur la vie, sur les élans vitaux de la nature qui l’entoure, et donc sur le désir de son fils, Albert, qu’a visité un ange de toutes les tentations, le brun et pâle Fernando. Or, Albert protège de sa dévotion, cache, emprisonne et nourrit Fernando consentant, dans la bergerie évoquée plus haut. Si Anna et son fils sont unis dans la passion de leur roseraie, qu’ils cultivent à l’écart du monde, Anna vend les roses, les soigne quand elle les sent menacées ou les arrache. Albert, lui, se contente de les aimer, tout en cherchant la rose idéale. Mère et Vierge au désert, entourée d’enfants qu’elle attire et prend par l’épaule, Anna est à la fois l’idole adorée de son fils et la mère castratrice de la tradition chrétienne. Elle devient furie maléfique, offrant de l’argent à l’ange visiteur pour qu’il s’en aille, quand elle tremble que son fils fait homme ne succombe aux vertiges de la chair. Elle est enfin Vierge tremblante mais apaisée, quand les amants de la bergerie, vibrants d’attirance et de culpabilité, altérés d’un désir que n’ont pu apaiser ni les vagues ni les caresses d’eau lustrale, incapables de vivre la chair comme un appel innocent, s’unissent dans le martyre consenti : Albert greffe ses roses rouges dans les veines offertes de Fernando qu’il entaille et laboure. Elles deviennent ainsi roses mystiques, bouquet de sang offert à la mère et à la divinité.

Saint Sébastien percé de fleurs en guise de flèches- comme l’avait déjà illustré, avant sa mort en 1970, Yukio Mishima photographié par Eikoh Hosoe dans leur Ordalie par les roses, hymne pictural à Éros et Thanatos, œuvre nipponne riche de références aux arts occidentaux – le Roi des Roses de Schroeter est un beau garçon nu, troué de roses rouges, dans les bras de son amant bourreau vêtu de noir. Hostie sanglante déposée et enlacée parmi d’autres roses, l’ange visiteur est devenu christique : c’est devant cette image, pieuse et barbare, mystique et sensuelle, que viennent pour faire une prière les enfants du village.

La chair, dans Le Roi des Roses, ne peut se vivre que dans l’ordalie : dans une scène où les caresses d’ Albert, jointes à celles de la caméra, peuvent laisser croire un moment au plaisir enfin cueilli sans remords, Albert empoigne le sexe de l’ange comme pour l’arracher. L’unique fusion se fait dans le sang, dans un crépuscule enflammé de roses, dans une ascension religieuse de musiques et de voix. La bande-son tout entière fait écho à ce glissement de l’amour profane à l’amour sacré, sous les yeux de la Vierge et Mère. On passe du roucoulé sensuel de Mélina Mercouri à la voix d’apothéose et de passion de Maria Callas. La chair conduit au Golgotha, à l’offrande de son corps au couteau du sacrifice, pour se racheter du mal et s’unir dans le sang. Rachat ambigu, car il s’accomplit avec l’autre, par le couteau de l’autre, par ses roses qui vous pénètrent de partout et vous fouillent plus profond que jamais l’amour.

On pense aux derniers plans du Sebastiane de Jarman, mais Le Roi des Roses est un Saint Sébastien à la Werner Schroeter. L’amour de la Mère et l’amour des garçons, la chair et Dieu y sont réconciliés en un sublime supplice où les roses rouges tiennent lieu de flèches. Le Roi des Roses est un poème visuel et sonore, beau d’une beauté qui ne vieillira pas, beau de son souffle baroque, beau comme le péché.

Pierre Lacroix

RENEE VIVIEN HELLENISTE dans la Revue de l’Association des Professeurs de Lettres, par Monique KANTOROW, mars 2010

Sapho , texte grec et traduction par Renée Vivien (réédition), ÉrosOnyx, 2009, 175 p.

Les Kitharèdes , texte grec et traduction par Renée Vivien (réédition), ÉrosOnyx, 2009, 175 p.

Les hellénistes connaissent la poétesse Sapho grâce à la traduction de Théodore Reinach et au commentaire d’Aimé Puech dans l’édition des Belles Lettres. À cette édition austère et savante il faut ajouter celle de Renée Vivien en 1903 dont on doit saluer la réédition. L’ouvrage attire d’abord par sa jolie couverture reproduisant le tableau L’Hymne à la mer d’Alphonse Osbert (1857-1939), mais aussi par sa typographie attrayante qui met bien en valeur les fragments du texte grec.

À la différence de l’édition des Belles Lettres, les fragments ne sont pas numérotés et ne sont accompagnés d’aucun apparat critique. Cependant, la traduction de Renée Vivien n’a rien à envier à celle de Théodore Reinach. Elle est même quelquefois plus moderne, plus précise : par exemple, au vers 2 de l’Ode à Aphrodite, la traduction de doloplokè par « tisseuse de ruses » nous paraît meilleure que « ourdisseuse de trames » de Reinach ; « dont le trône est d’arc en ciel » pour poïkilothron’ (v. 1) est plus poétique et plus exact que « dont le trône étincelle » de Reinach et rend mieux dans le composé le sens de poïkilos « bigarré ». Cette traduction atteste les qualités de philologue et d’érudite de Renée Vivien. Cependant l’originalité de l’édition est ailleurs : les textes traduits sont accompagnés d’extraits d’œuvres poétiques, non seulement de Catulle – déjà cité par Reinach – mais aussi de Swinburne ; ils sont surtout suivis de poésies composées par Renée Vivien elle-même et inspirées des vers antiques.

Lorsque les fragments de Sapho se réduisent à un seul vers, celui-ci est souvent développé par une composition originale, véritable cadence musicale à partir d’un thème. La composition a parfois son origine dans des recherches érudites : ainsi à la suite du vers astérôn pantôn ho kallistos (p. 65), « De tous les astres le plus beau « , Renée Vivien s’appuyant sur une glose d’Himérus selon lequel ce fragment est détaché de l’Ode à l’Étoile du soir, Hespéros, écrit un hymne à Hespéros.

Si l’édition de Théodore Reinach n’apporte pas un éclairage particulier sur la personnalité du traducteur,mais tout au plus sur son érudition et la précision de son travail, il en va tout autrement pour Renée Vivien : l’avant-propos de l’édition ÉrosOnyx D’une Sapho l’autre est d’une facture toute différente de l’introduction des Belles Lettres (biographie, histoire du texte dans l’antiquité, etc.), car la Sapho grecque y est présentée sous le regard de « notre Sapho 1900 », et cette présentation nous permet de mieux apprécier la préface et la brève biographie qu’écrivit Renée Vivien en 1903 ; elle y exprime son enthousiasme pour une poétesse avec laquelle elle entretient un rapport privilégié. Aussi comprend-on mieux l’importance des compositions poétiques de Renée Vivien : en fait, selon Jean Desthieux, Femmes damnées, Ophrys, 1937, pp. 10-11 « elle n’imitait pas seulement Sapho, mais se croyait Sapho réincarnée ». On peut ainsi découvrir ou redécouvrir la poétesse helléniste qui fréquenta les savants Théodore et Salomon Reinach, fut l’amie de Nathalie Clifford Barney , connut aussi Liane de Pougy, Pierre Louys et évolua dans un milieu où on célébrait l’amour antique, « l’Éros féminin »
La traduction de Sapho comme celle des Kitharèdes permet à la moderne Sapho de dépasser sa marginalité en faisant revivre et en prolongeant un Éden grec : il s’agit d’une antiquité idéalisée, d’un monde de beauté et d’amour à l’opposé des préjugés bourgeois.
En 1904, Renée Vivien publie les fragments de poétesses grecques contemporaines de Sapho sous le titre Les Kitharèdes ; ces poèmes, comme ceux de Sapho, sont suivis de la traduction personnelle de l’éditrice et de ses propres compositions poétiques inspirées de ces fragments. Ce recueil est une sorte d’hymne à la gloire des « sœurs » oubliées de Sapho : Korinna, Myrtis, Eranna, Damophyle de Pamphylie, Nossis, qui furent les premières disciples de Sapho. Signalons tout particulièrement le fragment 11 (p. 99) de Nossis Sur Sappho dont la traduction est suivie de dix compositions lyriques se présentant comme des variations librement inspirées par les quatre vers de Nossis, variations qui célèbrent Kupris et l’amour féminin. Ainsi sont prolongés et exaltés les fragments traduits et cette exaltation est également sensible dans les préfaces qui présentent les poétesses méconnues ; elles étaient déjà peu connues en leur temps et, comme Sapho, mentionnées surtout à l’époque hellénistique. L’helléniste anglais K. J. Dover, dans son ouvrage Greek homosexuality (Duckworth , 1979) consacre sur les 203 pages de son livre un seul sous-chapitre aux femmes (pp. 171-184, Women and homosexuality ). Les poèmes de Sapho et de ses sœurs occupent en fait une place réduite dans la littérature grecque antique.

La découverte en 1870 des Tanagra mentionnée à juste titre par Marie-Jo Bonnet dans l’avant-propos de l’ouvrage témoigne certes d’une admiration pour les couples de femmes, mais ces statuettes sont bien moins nombreuses que les peintures sur vases figurant l’homosexualité masculine qui, elle, a droit de cité. Dover d’ailleurs signale un épigramme hellénistique d’Asklépiade contre l’homosexualité féminine, « étonnant, dit Dover, venant d’un poète qui célèbre son propre désir homosexuel ». « Étonnant » ? Pas tellement, pensons-nous. Paul Veyne, dans un ouvrage collectif Les mystères du gynécée (Gallimard, 1998) indique que, si l’art hellénistique n’ignore pas le plaisir féminin, la condition générale de la femme la réduit au gynécée où elle a tout loisir de rêver. Cependant, selon la préface des éditions Budé, il existait des écoles de musique et de poésie dirigées par des femmes, et la présentation de Sapho d’ÉrosOnyx nous apprend que Sapho a peut-être rempli une fonction officielle d’organisatrice de cérémonies cultuelles et culturelles (p. 9).

Les Kitharèdes que Sapho appelle ses « hétaïres » ont eu, étant poétesses, le rare privilège d’échapper à leur condition et de pouvoir exprimer sur le mode lyrique leurs amours. Leurs semblables, sans talent poétique, enfermées dans le gynécée, n’eurent pas cette chance. Elles auraient pu dire comme le lion de La Fontaine (Fables, III, 10) :

« Avec plus de raison, nous aurions le dessus,
Si mes confrères savaient peindre
»

On rendra donc hommage à Renée Vivien pour avoir « ressuscité » les poétesses antiques et aux éditions ErosOnyx de leur avoir assuré une seconde renaissance. On peut dire que Sapho et les Kitharèdes, devenues contemporaines de Renée Vivien et de ses amies qui se rêvèrent en elles, séduiront des lectrices et lecteurs de notre époque en leur permettant de dire comme Monique Wittig (citée en exergue de Sapho) « Gloire à Sappho dans les siècles des siècles ». C’est cette renaissance qui fait, pensons-nous, l’intérêt des traductions de Renée Vivien. Elles nous permettent aussi de découvrir ou redécouvrir les autres œuvres de la nouvelle Sapho et de faire revivre son époque, celle de Nathalie Clifford Barney, Élisabeth de Grammont, Liane de Pougy, mais aussi de Pierre Louys, de Salomon et Théodore Reinach, tous fervents admirateurs à des titres divers de la Grèce antique.

Renée Vivien en se présentant comme l’héritière des poétesses de Lesbos et de Mytilène peut grâce à elles revendiquer hautement son homosexualité. La Grèce est alors pour elle un paradis mythique – imaginaire, diront certains hellénistes – mais surtout un paradis perdu ; cependant Renée Vivien aurait pu dire, comme Marcel Proust : « les seuls vrais paradis sont ceux que l’on a perdus ».

Si l’antiquité recréée par Renée Vivien est bien une antiquité idéalisée, nous n’aborderons pas la question de l’homosexualité réelle ou supposée de Sapho et de ses compagnes. Nous respecterons ainsi la pensée de la traductrice en renvoyant le lecteur à la préface « D’une Sappho l’autre » de l’édition ErosOnyx. Signalons pourtant, s’agissant des Kitharèdes, la note 23 de l’article Sapho dans le Petit glossaire raisonné de l’érotisme saphique par Claudine Brécourt-Villars (J.-J. Pauvert, 1980) : « Il n’est pas inutile de noter que par ses traductions Renée Vivien accentue délibérément l’aspect homosexuel de l’œuvre (…) Renée Vivien, inévitablement imprégnée du manichéisme judéo-chrétien, peut difficilement rendre l’originalité d’une pensée grecque qui lui est étrangère. » Cela n’enlève rien bien sûr à l’émotion poétique que ressent la traductrice et qui inspire ses propres poèmes.

En conclusion, la réédition des traductions de Renée Vivien pourra séduire des Saphos contemporaines esthètes et cultivées, sensibles au charme des poèmes antiques et des compositions qui les prolongent.

Nous en conseillons la lecture, en complément de l’édition des Belles Lettres, aux enseignants et aux étudiants qui auraient Sapho à leur programme. Ces deux ouvrages peuvent également intéresser élèves et enseignants des sections Arts Plastiques des Lycées : ils apporteront un certain éclairage à l’étude des œuvres d’art contemporaines de Renée Vivien et de ses amies. M.-J. Bonnet cite dans l’avant-propos des Kitharèdes les peintres Salomon et Osbert dont L’hymne à la mer est reproduit en couverture de Sapho. On peut également penser à charles Ricketts et aux préraphaélites : Burne-Jones, George Watts, Rossetti et particulièrement à ses tableaux Venus Verdicordia (1864), Ligeia Siren (1873) .

Nous proposons enfin aux lectrices et lecteurs de Sapho et des Kitharèdes de prolonger le rêve antique en visitant la villa grecque Kérylos de Beaulieu sur Mer que fit construire sur les rives de la Méditerranée Théodore Reinach. Les hellénistes puristes la jugent parfois avec sévérité. On peut cependant admirer l’enthousiasme créateur avec lequel le savant mit son immense fortune au service de son idéal grec, comme Renée Vivien mit son talent au service de son paradis perdu.

Hommage à Jean LE BITOUX

Jean Le Bitoux est mort le 21 avril 2010. Avec lui disparaît l’un des pionniers du militantisme homosexuel. Toute l’équipe d’ErosOnyx Éditions a voulu, à l’unanimité, saluer sa mémoire. Fils de bonne famille, c’est dans la rébellion contre le milieu familial que Jean Le Bitoux s’est fait homme pour rester fidèle à ce qu’il était. Nous ne rappellerons pas ici ce que tout le monde sait sur sa vie publique, mais seulement le conseil que Simone de Beauvoir lui donna, alors qu’engagé dans les mouvements gauchistes et autres des années 1970 il y percevait une forte homophobie ambiante : « Si le mouvement révolutionnaire a du mal à vous accepter, vous n’avez qu’à être plus révolutionnaire que les révolutionnaires. » Jean Le Bitoux en était déjà convaincu.

ANDER, un film à voir

Ils ne sont pas si fréquents les films qui font éclore le miracle de la rose rouge au cœur de la vie quotidienne la plus scrupuleusement dépeinte d’un milieu géographique et social d’aujourd’hui. L’avènement d’un bel amour entre hommes dans la rudesse de la montagne basque, cet audacieux mariage du réalisme paysan et du conte, c’est la grande réussite de ce premier film remarquable du jeune espagnol Roberto Caston, qui nous arrive en France début 2010, après avoir reçu deux prix bien mérités : celui des Cinémas Art et Essai européens au Festival de Berlin 2009 et celui de la Violette d’Or – oui, cela existe ! – du Festival Cinespaña de la même année.

Tout commence dans le réel le plus brut, dans un silence sans musique que le film conservera jusqu’au bout, puisque la seule vraie musique du film sera celle des cœurs et des corps accordés. Ander, la jeune quarantaine, mène une vie réglée de mâle comme les autres, dans une ferme du pays basque : double travail rude aux champs et à la ville, père mort depuis longtemps, mère vigilante mais despotique, coutumes ancestrales sur les épaules, rares échappées de plaisir pour se vider les bourses avec une étonnante prostituée, Reme, au corps généreux et au cœur immense, mère d’un enfant mélancolique dont elle attend en vain le retour du père…

Or, quelque chose vient briser cette vie figée depuis la nuit des temps : Ander se casse une jambe… et toute sa vie en sera fracturée ! Il engage un ouvrier agricole péruvien, modeste et silencieux lui aussi, mais mystérieusement seul et beau. Rencontre. Le mariage de la jeune sœur d’Ander qui va donc aussi quitter la ferme, puis la mort de la mère quelque temps après, laissent le champ libre à la montée progressive du désir le plus enfoui, le plus tabou. La transgression, évidemment, ne pourra se faire que petit à petit, dans un chassé-croisé de tendresse et de violence et dans la conquête douloureuse de la différence face à la loi des autres. Mais Ander a eu sa double visitation libératrice : celle de José, l’ange brun à la peau mate et satinée, et celle de Reme qui offrira aux deux amants sa chaude complicité de Marie-Madeleine, puisqu’elle sait toute la laideur du monde et comprend les rares et vrais appels d’amour.

Tout est fruste dans ce film, décors et personnages, rares paroles et gestes brutaux, mais, paradoxalement, un vrai cœur rouge bat dans cette brutalité. C’est de ce monde taiseux et animal que va fleurir la beauté tendre et romantique de la dernière scène : la pluie dehors, une lampe qui s’éteint dans une ferme où l’amour d’une putain et mère au grand cœur a trouvé refuge et où l’amour interdit a désormais le droit de faire son lit !

IDYLLES SOCRATIQUES vu par « Culture et questions qui font débat »

Idylles socratiques (Les Néoplatoniciens), Luigi Settembrini

Luigi Settembrini et les garçons, Luigi Settembrini et les femmes, Luigi Settembrini et la morale… Dans son récit qu’il attribua à un dénommé Aristée de Mégare, l’auteur italien du XIXe siècle cherchait-il à rédiger son portrait secret ? L’érudite postface de Domenico Conoscenti (spécialiste de l’auteur italien) ne peut répondre de manière infaillible à cette question.

Les deux jeunes héros du récit de Luigi Settembrini – Dôros et Calliclès – évoquent les élèves de Socrate. Si le philosophe était plutôt laid, au contraire des deux éphèbes athéniens du récit, il s’est, comme eux, marié et aurait eu des enfants. Ces mariages ne sont pas une vocation tardive, mais une convention de bon aloi accompagnée du respect pour la mère de leurs enfants.

Cette fable – titrée à l’origine « I Neoplatonici » – questionne le plaisir que l’homme ressent avec un homme ou avec une femme :

« Je crois, dit Dôros, que c’est précisément parce qu’il [le plaisir ressenti avec une femme] est enivrant et qu’il trouble la raison. Cette ivresse est à l’origine de toutes sortes de difficultés […] : les jalousies, les dépenses, les enfants, les ennuis domestiques, qui ne se produisent pas après l’autre plaisir. Ce dernier est toujours serein et égal, et sans aucun gaspillage. C’est pour cela qu’il convient plus au sage. » (p. 27)

« Calliclès épousa Psyché et Dôros épousa Ioessa. Chacun vécut dans sa propre maison, eut des enfants, une famille, et fut respecté par ses concitoyens. Les deux amis ne suivirent plus les préceptes de Platon, notamment celui qui prévoit le partage des femmes, mais suivirent les lois de leur propre patrie et de l’amour. C’est pourquoi chacun d’eux aima et honora sa propre femme. » (p. 50)

Ces répliques rappellent l’échange entre Callicratidas l’Athénien et Chariclès de Corinthe, dans le dialogue « Des amours » de Lucien de Samosate :

« Le mariage est infiniment utile à la société ; il rend heureux lorsqu’on a le bonheur de bien rencontrer. Mais la philopédie, considérée comme le gage d’une amitié pure et chaste, n’appartient qu’à la seule philosophie. Je permets donc à tous les hommes de se marier ; mais les philosophes seuls ont droit d’aimer les jeunes garçons, la vertu des femmes n’est pas pour eux assez parfaite. »

Il reste pourtant une divergence importante dans la fable de Luigi Settembrini par rapport aux pratiques pédérastiques de la Grèce antique : la réciprocité. Dôros et Calliclès vivent une égalité parfaite d’âge et de rôle entre l’amant et l’aimé. Il s’agit, là, de l’aspect fondamental de ce récit qui lui donne des couleurs contemporaines. On peut ainsi douter de l’origine antique de cette fable. En effet, la pédérastie devait être liée (à une époque ; pas exclusivement sans doute) à la pédagogie et à l’initiation : présence d’un maître et d’un élève. Le maître était l’éraste, c’est-à-dire l’amant au sens actif du terme, et l’élève était l’éromène, au sens étymologique « celui qui est aimé » : il avait donc un rôle sexuel passif. Tout le contraire de la réciprocité présente dans la fable de Luigi Settembrini.

Le récit décrit la naissance de l’amour entre Dôros et Calliclès et la réflexion sur l’amour platonique qu’ils mettent en pratique avec le philosophe Codros. Il se poursuit sur les rencontres entre les garçons et la danseuse Innide, individuelles puis à deux. Enfin, alors que la jeune femme sort de scène, Calliclès tombe amoureux de Psyché et Dôros tombe amoureux de Ioessa, la cousine de son ami : les deux garçons se marient, assurant leur descendance.

Le narrateur, omniscient et extérieur aux faits, joue un rôle non négligeable, dans la lecture de cette fable ; par son discours, il devient complice du lecteur et positive ce qu’il voit :

« Je crois que, si les Dieux immortels regardent les affaires humaines, ils ont dû prendre plaisir à regarder cette très belle chose, et peut-être même ont-ils éprouvé de l’envie envers ces deux jeunes hommes épanouis, qui s’aimaient tant et jouissaient selon la justice et l’amour. » (p. 13)

« Que voulez-vous ? Ils avaient dix-huit ans ! Et ils s’endormirent ainsi. » (p. 28)

« Ils lui firent ce dont ils avaient envie et ce dont Innide avait aussi envie, et ce dont vous auriez envie, vous, et ce dont j’aurais envie, moi aussi, et je n’en dis pas davantage. » (p. 32)

Si la structure de ce récit de formation n’est pas très innovante (quelques éléments inattendus ralentissent néanmoins délicieusement l’action), son écriture, dont la force vient d’une alliance légère entre la tendresse et le mordant, est riche, élégante et fouillée.

La dernière séquence du récit, après la célébration des conventions sociales et familiales, introduit une touche imprévue…

■ Traduction de Patrick Dubuis, éditions ErosOnyx, avril 2010, ISBN : 978291844015

Ecrans mixtes

Le Festival annuel queer de Lyon, écrans cinématographiques ouverts à toutes les mixités de goût, de genre et d’époque, va fêter, début mars 2016, sa sixième saison d’éclat !

C’est à l’occasion de la projection en 2011 du film Nous étions un seul homme (1979) de Philippe Vallois qu’Écrans Mixtes et ErosOnyx se sont rencontrés et qu’ ErosOnyx a rencontré Vallois. Nous tenons à saluer le souvenir de cette double rencontre lors de la saison d’ouverture d’Écrans Mixtes, car c’est de là que tout est parti :

en 2013, la parution de l’autobiographie La Passion selon Vallois, le cinéaste qui aimait les hommes« encadrée d’une étude d’Ivan Mitifiot, bouillant meneur d’Écrans Mixtes, sur la « caméra soleil » de Vallois et d’une évocation des « racines de la Passion », livre contenant les DVD des films Les Phalènes (1975) et Sexus Dei (2006)…

… et en mars 2016 la sortie d’une monographie de Didier Roth-Bettoni partant de Nous étions un seul homme pour balayer la création toujours protéiforme et juvénile de ce cinéaste singulier, sous le titre Différent ! Nous étions un seul homme et le cinéma de Philippe Vallois , avec une édition spéciale du DVD du film.

Merci à Écrans Mixtes de nous avoir permis de passer de ces belles rencontres à des livres de passion !

RITSOS –

YANNIS RITSOS D’ABORD

Il faut revenir à la Grèce. Il faut la retenir, la ressentir en nous […]

Prenons Yannis Ritsos, sans conteste un des poètes majeurs de notre époque. Une grande partie de son œuvre a été traduite […] et publiée principalement chez Gallimard. On aurait pu croire que de cette œuvre on avait fait pratiquement le tour […] Eh bien pas du tout ! Chez un autre éditeur, ErosOnyx, Anne Personnaz a donné une traduction nouvelle d’Erotika, un ensemble sidérant de Ritsos, qui figurait en 1984 dans l’édition réalisée par Dominique Grandmont (Gallimard).

[…] C’est ainsi que j’ai relu Erotika, dans cette nouvelle version, avec le même saisissement et la même passion. C’st un livre tout à fait à part dans la configuration de Ritsos, une calcination de la sensualité, une icône du couple amoureux dans tous ses états, où la nudité des corps fait éclater leur vérité profonde. À côté des Sonates et des grandes élégies, c’est une scénographie de vers concis, d’une rare intensité, très proches parfois des haïkus par leur exigence laconique. Yannis Ritsos y concentre la braise d’une inspiration dont la liberté refuse toute limite. « Le corps / c’est un ciel / Aucun vol / ne l’épuise. » Il y a dans ce quatrain une étincelle rimbaldienne qui module toute la suite selon son diapason, de la même façon que « L’indicible / s’amplifie / triomphe ». Entre les deux transcriptions, on observera peu de différences : »Après quoi la nuit est tombée » chez Grandmont, devient ici « Puis vint la nuit».

Ce qui est le propre d’Anne Personnaz est un extrême souci de décantation, de condensation. Cependant la traduction nouvelle n’a aucunement pour effet de supplanter la précédente. C’est une façon de préciser le livre dans sa forme et sa fulgurance. Jusqu’à la séquence « Parole de chair » où le souffle et la méditation se font plus amples. Là, l’érotisme de Ritsos, axé sur le mystère quotidien, prend un envol impérieux : « Les poèmes que j’ai vécus sur ton corps en me taisant, / me réclameront un jour, quand tu partiras, leurs voix. » Nikos Graikos énonce dans son avant-propos : « Ritsos puise à la fois dans les profondeurs du temps et dans l’étendue du champ social, dans le visible et l’invisible. » Rien de plus vrai, et l’on est à même de constater que, du filon de l’invisible le poète extrait et met en valeur un formidable combustible de la pensée.
…]
Chronique de Charles Dobzynski (pp. 335-336)

Du Québec encore : Des Nouvelles d’Eros

http://www.info-culture.biz/desnouvellesderos.html

Éros est constamment présent dans la vie de tous les jours. Il est présent dans l’esprit et dans la chair. Il n’y a pas d’âge pour que le désir sensuel et sexuel se manifeste. Il n’y a pas non plus de façon unique pour ses accomplissements. La maison d’édition ErosOnyx offre à sa distinguée clientèle de lecteurs un recueil de nouvelles de douze auteurs différents qui donne libre cours aux actions d’Éros.

Éros n’est pas toujours tendre. Il se manifeste parfois de façon violente. Mais la réponse peut être violente aussi. C’est ce que Barbara Flamand nous dit avec sa nouvelle L’hymen enchanté dans laquelle l’amant voit son pénis mutilé par un hymen vindicatif. Dans d’autres circonstances Éros est beaucoup plus tendre et romantique allant jusqu’à suggérer d’utiliser certains poils de l’amant pour la fabrication d’un pinceau. Ou encore Éros n’est pas nécessairement là où on le croirait. La jeune fille qui devient tout chose devant le beau Vincent et qui découvre l’amour de ce dernier avec Thierry. Faut aussi lire l’histoire de ces deux mères de fils gais qui à leur tour découvrent les joies d’être ensemble et de vivre pour elles-mêmes.

Et que dire du dernier texte du recueil. Ce sublime récit Dieu ne mange pas les écureuils qui met en scène la rencontre de Jordi, le mâle parfait, avec l’éphèbe Angel dont les beautés physiques et morales n’ont d’égales que la force et la probité de son amant. La mort les unira pour l’éternité. Quelle douceur et quel destin!

Tous ces textes nous rejoignent d’une façon ou d’une autre.

Les auteurs :
Frédéric Nérinckx, Véro Bounet, Camille A., Jean-Michel Fordini, Barbara Flamand, Marc Vincent, Jean-Paul Gavard-Perret, Barbara Savourin, François Mary, Laura Ley, Lydie Chérel et Olivier Courthiade.

Prix suggéré : 18,05 €
139 pages

Vu du Québec Info-culture : Idylles socratiques

La maison d’édition ErosOnyx est fidèle à sa mission qui est d’explorer les sexualités d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Éros fait partie de la vie au quotidien. Avec Les Néoplatoniciens, attribué comme conte antique à Aristée de Mégare, par Luigi Settembrini qui en est l’auteur, ttraduit par Patrick Dupuis, et publié pour la première fois en français sous le titre Idylles socratiques, le lecteur a accès à un récit d’une grande finesse et d’une exquise poésie.

Nous savons que dans la Grèce antique les mœurs sexuelles étaient différentes de celles d’aujourd’hui. D’avant la dictature de la pensée unique judéo-chrétienne dont les résultats se répercutent aujourd’hui parmi les curés dans l’église catholique. C’est donc à un banquet de sensualité sous toutes ses formes que les deux héros, Calliclès et Dôros, nous convient. Ces deux jeunes adolescents et plus tard jeunes hommes sont d’une beauté exceptionnelle. Non seulement se plaisent-ils l’un l’autre et se livrent-ils à un amour sans limites, mais ils se laissent aussi séduire par Innide, jeune fille aussi ouverte à la sexualité que les deux jeunes amants. Ensemble ils découvrent les joies de la sensualité hétérosexuelle après avoir goûté aux rapports homosexuels.

L’auteur met aussi en scène nos deux amoureux au cœur d’une guerre au cours de laquelle ils mettront en valeur leur courage et leur détermination à défendre leur patrie. Montrant par cela que l’homosexualité n’enlève rien aux valeurs masculines en vigueur à cette époque. Donc homosexualité, hétérosexualité et bisexualité se côtoient allègrement.

« Fable à la fois antique et moderne par laquelle le plaisir de l’auteur et de ses personnages se transmet avec malice et légèreté aux lecteurs modernes, et maintenant aussi aux lecteurs français, ce conte érotico-philosophique, dont on ignore les circonstances et la date de composition, est ici publié pour la première fois en français ».

À lire pour le pur plaisir ou encore pour s’élargir les horizons.

Luigi Settembrini (1813-1876) était un respectable professeur d’université. Son récit n’a été rendu public que dans les années 1970. Grand helléniste, il le présente lui-même comme une traduction du grec ancien. Personne n’en connaît les motivations réelles et la finalité. L’auteur les a emportées avec lui dans la tombe.

Prix suggéré : 15 € 75 pages

Françoise Hardy-LA PLUIE SANS PARAPLUIE

Cœur battant, œil perçant de part en part comme la voix, voix frêle et pas si frêle qu’on le dit souvent, farouchement vive, beau brin de midinette encore et toujours farouchement adolescente, capable d’être, dans les paroles comme dans les mélodies, plaie vive et couteau tranchant.

Depuis ses premiers disques, depuis, par exemple, Dans le monde entier à la mélodie si suavement et sensiblement susurrée, en 1965, en français, en anglais, en allemand, en passant par un album de cordes écorchées comme La question en 1971, par le long et languide lamento de paillettes éparpillées dans le blues de la nuit qu’est la chanson Star de 1979, par un blues comme Partir quand même, en 1987, avec ses longs couteaux qui vibrent et ses mots d’alcool et de mercurochrome sue la plaie incurable, et surtout depuis l’étonnant album Le danger, en 1995, jusqu’à ce nouveau titre aujourd’hui, en rimes d’élégie et de comptine, La pluie sans parapluie, du Clair obscur aux sources vives de Tant de belles choses qui la font tenir debout, croire en un au-delà et avoir le goût de vivre, de chansons d’effroi comme Dix heures du soir en été jusqu’aux duos sentimentaux de son album Parenthèses, il y a quelque chose de douloureusement élégant, de tragiquement chaud, de toujours poignant sans mièvrerie dans les chansons de Françoise Hardy. Fièrement grave, jamais larmoyante. On ne se lasse pas de l’avancée lilas de sa voix, tour à tour ardente et fragile, dans les orages électriques ou les nappes de cordes brumeuses de la musique qui porte et enveloppe la voix sans l’étouffer. La pluie sans parapluie est un chant d’ondine sous l’averse, chant paradoxal, altier et tendre, qui attend toujours secrètement son beau chevalier Hans, entre les cordes du cœur éclaté et le fondu enchaîné rouge et noir de l’autre côté du ciel.

La mélancolie, toujours là comme marque de fabrique, jamais comme un artifice, une pose, mais comme le prix qu’il a fallu payer depuis longtemps pour la pureté et l’innocence meurtries. Françoise Hardy, battue des vents et des orages, mais droite et toujours élégante, sensiblement sobre sous les gouttes de musique et de pluie, avec ses paroles ciselées, un peu d’air et de brume teinté d’elle, et parfois, si puissant d’être rare, comme un cri.

Écoutez-la, toujours nouvelle et toujours elle, Françoise Hardy. Écoutez, dans Noir sur blanc, sa voix fuser
Si à mon cou vous veniez
vous pendre
Haut et court

puis se faire à nouveau doucement câline
Sachez que tout
Ne tient qu’à vous
Viendrez-vous ?

sans oublier, dans le même album, la version gothique de cet appel, Memory divine, une chanson écrite en anglais et composée par Jean-Louis Murat pour la Dame au blanc visage, qui dit, entre autres beaux mystères
I need to lick a late late late passion
et qu’on pourrait peut-être oser traduire par
Il faudrait à ma langue une ultime passion

Pierre Lacroix