Quatre poèmes sont écrits à Pompéi. La villa des mystères inspire au poète une méditation mêlant Eros et Thanatos, corps peints et corps carbonisés : « nous ici, l’œil inassouvi rivé au trou de serrure de l’Histoire, / voyeurs arrogants, en pleine érection, nous épions / la copulation sans fin de ces corps nus superbes de Grecs et de Romains. » C’est à Pompéi encore que Ritsos affirme : « Oui, le monde est toujours un ».
Six poèmes sont consacrés à Rome, aux places, aux fontaines, aux peintures du Vatican : « tant de beauté et tant de sainteté pécheresse ». Le luxe du palais papal le submerge, jusqu’à la nausée… Il s’enfuit pour rendre hommage au cinéma, à la vie nocturne, aux « rues étoilées », « aux effleurements éphémères des corps », « aux amants ardents en chasse » et, dans le 22ème poème, aux « rues où Pasolini baladait ses nuits, – Gare Termini, là / où au kiosque de planches à ciel ouvert un gros Néron d’aujourd’hui / vend aux pèlerins des foulards de toutes les couleurs… » (Dans la rue qui ne fut pas baptisée ‘’Rue Pasolini’’ »).
Dans le dernier poème écrit à Milan (Ouverture du coffre-fort), il rassemble toutes les richesses du voyage brièvement entrevues : « Bruyante Rome, Sienne attristée, morne Florence, / Bologne circulaire, Milan prolétaire… », pour clamer son enthousiasme et son amour : « Et toutes ces choses-là je les charge aériennes / sur les épaules des mots, pour qu’elles sortent faire un tour dans le monde, avec le nouveau croissant de lune, / ah, et qu’alors les jeunes s’embrassent plus ardemment et que / les aveugles sur les ponts voient à nouveau, / et que ceux qui sont partis tôt s’en retournent dans les gares, qu’ils regardent / les grandes affiches du Che et qu’ils sourient. »
Miracle quotidien des yeux ouverts. Fragment vibrant du chant profond, humble défi de toute une vie de poète pour reconquérir « la jeunesse éternelle du monde », en réconcilier tous les damnés…
Michel MÉNACHÉ
EUROPE n° 1094-95-96 datée de juin-juillet-août 2020