Cœur battant, œil perçant de part en part comme la voix, voix frêle et pas si frêle qu’on le dit souvent, farouchement vive, beau brin de midinette encore et toujours farouchement adolescente, capable d’être, dans les paroles comme dans les mélodies, plaie vive et couteau tranchant.
Depuis ses premiers disques, depuis, par exemple, Dans le monde entier à la mélodie si suavement et sensiblement susurrée, en 1965, en français, en anglais, en allemand, en passant par un album de cordes écorchées comme La question en 1971, par le long et languide lamento de paillettes éparpillées dans le blues de la nuit qu’est la chanson Star de 1979, par un blues comme Partir quand même, en 1987, avec ses longs couteaux qui vibrent et ses mots d’alcool et de mercurochrome sue la plaie incurable, et surtout depuis l’étonnant album Le danger, en 1995, jusqu’à ce nouveau titre aujourd’hui, en rimes d’élégie et de comptine, La pluie sans parapluie, du Clair obscur aux sources vives de Tant de belles choses qui la font tenir debout, croire en un au-delà et avoir le goût de vivre, de chansons d’effroi comme Dix heures du soir en été jusqu’aux duos sentimentaux de son album Parenthèses, il y a quelque chose de douloureusement élégant, de tragiquement chaud, de toujours poignant sans mièvrerie dans les chansons de Françoise Hardy. Fièrement grave, jamais larmoyante. On ne se lasse pas de l’avancée lilas de sa voix, tour à tour ardente et fragile, dans les orages électriques ou les nappes de cordes brumeuses de la musique qui porte et enveloppe la voix sans l’étouffer. La pluie sans parapluie est un chant d’ondine sous l’averse, chant paradoxal, altier et tendre, qui attend toujours secrètement son beau chevalier Hans, entre les cordes du cœur éclaté et le fondu enchaîné rouge et noir de l’autre côté du ciel.
La mélancolie, toujours là comme marque de fabrique, jamais comme un artifice, une pose, mais comme le prix qu’il a fallu payer depuis longtemps pour la pureté et l’innocence meurtries. Françoise Hardy, battue des vents et des orages, mais droite et toujours élégante, sensiblement sobre sous les gouttes de musique et de pluie, avec ses paroles ciselées, un peu d’air et de brume teinté d’elle, et parfois, si puissant d’être rare, comme un cri.
Écoutez-la, toujours nouvelle et toujours elle, Françoise Hardy. Écoutez, dans Noir sur blanc, sa voix fuser
Si à mon cou vous veniez
vous pendre
Haut et court
puis se faire à nouveau doucement câline
Sachez que tout
Ne tient qu’à vous
Viendrez-vous ?
sans oublier, dans le même album, la version gothique de cet appel, Memory divine, une chanson écrite en anglais et composée par Jean-Louis Murat pour la Dame au blanc visage, qui dit, entre autres beaux mystères
I need to lick a late late late passion
et qu’on pourrait peut-être oser traduire par
Il faudrait à ma langue une ultime passion
Pierre Lacroix