IL EN A PLEIN LA GRAPPE, CE GRAND CHANTEUR-POÈTE-LION DE SCÈNE, NICOLAS BACCHUS !

Les disques de Nicolas Bacchus – en studio ou sur le vif – ont la douceur raffinée du carton de leur pochette (qu’on appelle « digipack »), trois couleurs dominantes, blanc, rouge et noir, et des titres alléchants :

Balades pour enfants louches, 2002 (CD)
À table !, 2005 (CD)
La VerVe et la Joie, 2010 (CD)
Devant tout le monde !, 2012 (CD+DVD)

Il a une voix chaude, mâle, moirée d’inflexions sensibles. Les musiques et les mots nous enjouent et nous injectent tour à tour la rage et le bourdon, il s’engage et il le paie parfois, il va de coups de rouge en coups de noir, comme ses pochettes et ses galettes, sur des textes qui demandent de tendre l’oreille tant ils sont ciselés. Le bien nommé Bacchus, depuis plus de quinze ans, nous verse de chaudes mais aussi de graves et lucides ivresses qui font de ses chansons un cocktail doux-amer, de disque en disque et de scène en scène, puisqu’il se donne régulièrement devant tout le monde, de Paris en province, en Suisse, en Belgique, au Québec… Il a le feu et la bande de vrais amis qu’il faut pour continuer, et il continue, accompagné parfois d’autres poètes de la chanson comme Juliette, Anne Sylvestre, Agnès Bihl, Yoann Ortega…

Grand rhéteur, grand rhétoriqueur, Bacchus sait peloter les mots, les tordre et les triturer en bougres de mixtures. Goûtons par exemple quelques strophes prises au hasard de la chanson D’Alain à Line de l’album À table ! :

Entre les draps de lin
On voit les bras de Line
Mêlés à ceux d’Alain
Dans des poses câlines

Dans les poses qu’a Line
On devine qu’Alain
Hier déflora Line…
… Ondée d’un blanc venin

Car Line sans câlins
Sans qu’Alain la câline
Est un corps orphelin
Alors qu’elle est fée
Line

Grand peloteur de mots et peloteur homo dès ses premières chansons, tendrement, comme dans Ton fils (…dort avec moi) parmi les Balades pour enfants louches :

Dans une boîte un peu glauque
Pire qu’au pire cinéma
Ça s’voyait l’un comme l’autre
Qu’on n’avait rien à faire là
On est sorti marcher
Pour entendre nos voix
Et au lieu d’se quitter
On s’est embrassé, comme çà,
C’est drôle, mais ça ressemblait
À des rêves d’avant
Quelque chose qu’on cherchait
Tous les deux depuis longtemps
On s’est trouvé tout con
On s’est serré plus fort
Nos cœurs ont des raisons
Que vos raisons ignorent

Peloteurs de mâles, Bacchus a plus d’un grain à sa grappe, qu’il chante suavement les saunas, plus fougueusement les feux follets qui ne font que passer et les brasiers qui vous sucent de leurs flammes en rose le sang de l’âme :

Si je taquine les femmes en prose
Je rêve à l’homme en vers
Et contre tout
Quand crépitent les flammes en rose
À l’endroit, à l’envers
Baisers tabous

(paroles de Thomas Petiot)

Écoutons ce que donne la rencontre du gourmand lutineur de mots avec le maître-queue militant de Filet mignon :

Choisis ton filet
Choisis ton mignon
Bien rose, et sans plus attendre
Voyons

Parfois, doucement
Retourne-le pour
Atteindre ses replis les
Plus crus

S’il est trop nerveux
De tes doigts fiévreux
Rends-le plus souple à ta main
Offert

Mets ton grain de sel
Entends-le frémir
Et réserve-toi les sucs
Qu’il sue

(…)

Lors, dans ces humeurs
Fais fondre l’oignon
Que tu auras effeuillé
Sans larmes

Ça sent la sauvagine sauce Bacchus ! Pour faire mouiller les princes charmants, Peau d’Âne a changé de recette…

Enfin, pour arroser le festin, on a le rouge politique d’un engagement forcené qui ne change pas de cap : notre larron n’a pas peur d’oser se sentir « libertin guidant le peuple » (les dessins de Piérick du livret de La VerGe et la Voix,… pardon, La VerVe et la Joie, accompagnent avec truculence et mordant les textes inspirés). Oui, il n’est pas frappé d’amnésie, Nicolas Bacchus, à la différence de ceux qui sans vergogne se disent encore de gauche en 2016 : dans son spectacle aux Trois Baudets gravé sur le DVD de Devant tout le monde !, il rappelle avec ironie que la Gauche, la vraie, n’est pas que paroles en l’air, que le septennat de François Mitterrand s’est ouvert sur l’abolition de la peine de mort, la retraite à soixante ans, la dépénalisation de l’homosexualité, les cinq semaines de congés payés, la semaine de 39 heures au lieu de 40… entre autres broutilles ! Le point d’orgue de l’album La VerVe et la Joie n’est rien moins qu’un cri de rage au premier degré, repris jusqu’à se mettre la gorge en sang dans le spectacle des Trois Baudets : il s’agit de la chanson La fin du bal du Russe Vladimir Vissotski dans l’adaptation française de Maxime Le Forestier :

Pourquoi, je voudrais savoir pourquoi, pourquoi
Elle vient trop tôt la fin du bal
C’est les oiseaux jamais les balles
Qu’on arrête en plein vol !

Dès ses débuts en public, dans ou entre ses chansons, Nicolas Bacchus n’élude rien, ni les sans-papier, ni la bonne conscience facile des galas caritatifs, ni le droit d’évoquer sur scène sa vie privée pour que peut-être quelqu’un(e) ose, en sortant du concert, aimer selon ses goûts… Avec le temps, il sait qu’il est de plus en plus important de trouer la joie des concerts de chansons qui soient des balles en plein vol pour faire songer à la barbarie qui avance, aux réfugiés qui vont au bout du désespoir pour ne pas crever, à la chasse autorisée par les fous de leur soi-disant dieu, par les principes de leur Bible, de leur Coran ou, tout simplement, de la plate coutume sans imagination, craintive devant la liberté, haineuse de toute différence. Comment ne pas penser au massacre de Charlie-Hebdo quand on lit, sous la plume de Nicolas Bacchus – en 2012 ! – :
« … y’a la vraie vie qui rattrape, les canards sauvages se font de plus en plus rares. La chasse est ouverte. » ?
Oui, ils doivent se défendre et rester sur le qui-vive, les canards sauvages qui « zigzaguent avant que la mitraille ne retombe en chape de plomb ». Il chantera à Toulouse, au Bijou, les 29, 30 et 31 décembre prochains. Bacchus, nous y serons !

Pierre Lacroix, pour ErosOnyx Éditions, octobre 2016