CONTE CRUEL
Au début du XVIIème siècle, Galilée fut persécuté par le Saint-Office (nom élégant du Tribunal de la Très Sainte Inquisition, hystérique émanation de l’Église catholique romaine) pour avoir démontré ce dont Copernic avait eu l’intuition : le principe de l’héliocentrisme (c’est la Terre qui gravite autour du Soleil, non l’inverse, comme le soutenait l’Église). Galilée, tendez l’oreille, fut contraint de se rétracter.
Mais c’était il y a quatre cents ans, piafferont les obstinés, qu’ils soient savants ou innocents ! Tout cela est révolu !
Que ces obstinés fassent l’effort de se documenter. Ils découvriront qu’au XXème siècle, dans un royaume situé en Europe, un esprit brillantissime, un génie aux dires de tous, fut poussé au suicide par le système politique et moral en place. Le pape n’y était pour rien, cette fois, mais peut-être que l’Église anglicane ne valait pas mieux. Avait-il mis en doute que les dynasties royales fussent de droit divin ? Même pas. Son seul crime était d’être homosexuel.
Le film émouvant et captivant, Imitation Game, de Morteh Tyldum, d’après le roman d’Andrew Hodges, sorti en France en janvier 2015, retrace un épisode de la vie de ce fameux mathématicien, Alan TURING (1912-1954), qui mérite le double titre de héros et de martyr.
Née de sa seule intelligence, une machine a permis de décrypter Enigma, le code secret utilisé dans leurs transmissions par les Allemands, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il est admis que cette invention d’Alan Turing a permis d’écourter la guerre de deux ans au moins. Imaginez combien de victimes furent épargnées grâce à son génie mis au service de l’Humanité.
Il faut voir dans l’aboutissement de ses travaux les prémices de l’informatique moderne.
Bien sûr, penserez-vous, un tel homme fut couvert d’hommages, de décorations, on lui décerna même un prix Nobel et le monde entier lui fit honneur. Eh ! bien, non, la réalité fut tout autre : en 1952, il fut condamné pour homosexualité et le verdict lui laissa le choix entre la prison… et la castration chimique.
On comprend mieux, sans doute, pourquoi la Grande-Bretagne conserva pendant cinquante ans la contribution de Turing au décryptage d’Enigma comme secret d’État.
De quoi avait-elle le plus honte ? Que l’un de ses grands hommes, un savant, ait été homosexuel, ou qu’elle l’ait condamné avec barbarie ?
Alan Turing se prêta à la castration chimique qui lui était imposée, mais il n’a pas tenu le coup. Il opta pour la voie du suicide en mordant, semble-t-il, une pomme imprégnée de cyanure. L’histoire de Blanche-Neige, en somme, version drame, où la sorcière s’appelle, s’appelle… l’opinion publique, ou quelque chose dans ce (mauvais) goût-là. La reine lui accorda en 2013 la grâce officielle, son « pardon « , à titre posthume. Soixante et un ans après la condamnation, c’est un délai bien long pour prendre conscience d’une telle monstruosité. Perfide Albion !
N’en déplaise aux esprits chagrins qui ne supportent pas l’idée qu’il revienne à un homosexuel d’être pionnier en matière d’intelligence artificielle – l’ordinateur, pour faire simple – le logo de la firme Apple (une pomme dans laquelle on a mordu) trouverait ici son explication. Que ceux qui n’y croient pas en proposent une autre… La pomme de Newton peut-être ?
Si telle en est bien l’explication, il est capital que ce symbole perpétue la mémoire de l’une des nombreuses victimes de l’obscurantisme.
Un dernier trait, pour caractériser Turing et montrer qu’être un génie des mathématiques n’empêche pas d’être sentimental : un camarade d’école lui a inspiré une amitié très vive alors qu’il n’avait que quinze ans. Le garçon mourut trois ans plus tard de tuberculose, il s’appelait Christopher. Turing baptisera de ce nom la machine qu’il inventera par la suite.
Pour conclure, même si, en apparence, les attendus ne sont pas les mêmes, je ne crois pas inutile de citer ici des noms comme ceux de Julian Assange, Edward Snowden et Chelsea Manning (qui portait le prénom masculin de Bradley, au moment des faits qui lui sont reprochés). Ils sont ce que l’on appelle des lanceurs d’alerte, autrement dit des bienfaiteurs de l’Humanité. Pourtant celle-ci ne se soucie aucunement de leur sort, et laisse un système fondé sur une autorité arbitraire les écraser et les condamner à vivre en reclus, exilés.
Faudra-t-il aussi attendre soixante et un ans pour que leurs mérites soient reconnus ?
Un film à voir, parce qu’il donne à réfléchir !
Le film est sorti au Québec sous le titre Le jeu de l’imitation.
Alain Stœffler, qui croit toujours aux contes de Fées.