« Sous tous les régimes autoritaires, le contrôle de la sexualité individuelle est considéré comme un instrument privilégié du pouvoir (…) L’érotisme porte au rêve, au désir d’évasion… Dans les premiers temps de la révolution de 1917, les jeunes insurgés (…) en revendiquant le droit à l’amour libre, par exemple, (…) visaient symboliquement le droit à toutes les libertés, morales autant que politiques, sexuelles autant que civiles. Or telle n’était pas la vision ni de Marx, ni d’Engels, ni de Lénine, ni surtout de Staline… Les puritains d’Angleterre et d’Amérique prétendaient s’attaquer au « vice », mais le « désir » dans son essence était visé.
C’était Éros en personne, le bel Éros que l’on prétendait humilier et détruire. Lui que les Grecs célébraient autrefois en dressant, à Délos, de formidables sexes de marbre braqués sur l’infini. (…) Et si aujourd’hui cela nous gêne, ce n’est pas en raison de la verdeur du symbole, mais de deux mille ans d’anti-érotisme chrétien. Il nous reste à libérer le désir, l’imaginaire – et le sens du beau… Du pain sur la planche pour le XXIème siècle ! »
Maurice GIRODIAS, Une journée sur la terre, 1990
Eros et Thanatos
La mission libératrice de Maurice Girodias, après les attentats du vendredi 13 novembre 2015 à Paris, prend un sens atrocement neuf, puisqu’en visant un stade, des terrasses de cafés, de restaurants et le Bataclan à Paris, en ayant orchestré le carnage jusqu’à s’y inclure en kamikazes, après le principe de la liberté de penser et de créer visé lors de l’attentat contre Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, c’est le principe même du plaisir que les fous d’Allah ont visé ! Le massacre d’Orlando, dans un dancefloor gay le 11 juin 2016, confirme sinistrement leur inaltérable obsession de noyer dans le sang, au nom d’une pureté maniaque et absurde, la liberté d’Éros.
Nous croyons en Éros, principe de vie, de plaisir et de désir, y compris lorsque Éros flirte avec Thanatos, librement, spontanément, parce qu’il serait naïf et « cucul la praline », comme disait Jean-Louis Bory, de refuser à Éros l’empan terrible de sa puissance. Éros, c’est aussi le mystère, le vertige de volupté, de luxe et de sang qui fait passer les amants de L’Empire des sens d’Oshima de la petite mort à la grande, lentement, spontanément, délicieusement, comme si Éros était le plus délicat des psychopompes, le tendre passeur du dernier voyage.
Même chez Sade, par exemple, la mise en mots permet de regarder la monstruosité en face, pas forcément pour la commettre et en faire l’apologie, mais pour la regarder en face, la connaître, en frémir ou en jouir sans passer à l’acte, et s’en délivrer en une purification jouissive et lucide que permettent les mots. En art, Éros ne se laisse jamais totalement museler par Thanatos. En art, il reste toujours une distance, une chaleur élaborée par l’artiste dans la représentation de l’abandon d’Éros aux forces de Thanatos. Pasolini rend atrocement regardable le sadisme dans Salo et nous permet donc de démonter les rouages meurtriers d’un Éros réduit à la mise en esclavage des objets du désir et à la jouissance monstrueuse de tortionnaires qui, dans un univers d’épouvante sans retour de fin de guerre, sous une dictature aux cercles d’enfer pareils à ceux des camps de la mort, laissent libre cours à leurs pulsions d’Éros devenus meurtrières. L’art permet de regarder en face et de comprendre l’atroce inversion d’un Éros devenu son négatif, hideuse jouissance criminelle de Thanatos.
« C’est le principe même du plaisir que les fous d’Allah ont visé ! (…) En art, Éros ne se laisse jamais totalement museler par Thanatos. »
Les meurtriers à la kalachnikov, eux, sèment la terreur pour de vrai, définitivement, froidement, jusqu’à s’y inclure au nom de leur dieu, puisque plus rien n’est vrai pour eux qu’une foi décérébrée, vidée de son humanité, et la négation même de ce qui fait le prix et le plaisir de désirer, d’aimer, de créer et d’exister. Éros en eux, au nom de leur dieu, est définitivement absent, de leur corps, de leur cœur comme de leur tête. Ne subsiste que Thanatos seul et froid, cruor contre sanguis, sang glacé de carnage contre sang tiède de vie qui bat, pour le dire à la latine.
Au « Viva la muerte » des franquistes de la guerre civile espagnole, nous opposerons toujours un « Viva el amor », un amour aux teintes infinies de l’onyx, y compris celles de « l’amour obscur » — qui fit qu’on tua Garcia Lorca non seulement parce qu’il aimait les idéaux si fragiles de la République mais aussi parce qu’il aimait et chantait en ténébriste mélodieux le corps interdit des garçons. Nous nous opposerons à ceux qui veulent, en une jouissance criminelle de terreur et de pouvoir, au nom d’une religion dévoyée qui s’arroge la vérité, oui, nous nous opposerons à ceux qui veulent tout maîtriser, tout mutiler, les libertés comme les corps. Nous croyons en le désir et le plaisir de vivre et d’aimer, jusqu’aux zones d’ombre de ce désir et de ce plaisir, jusqu’aux mystères d’Éros et de Thanatos entrelacés, jusqu’à l’obscurité, mais toujours contre l’obscurantisme.
« Nous croyons en le désir et le plaisir de vivre et d’aimer, jusqu’aux zones d’ombre de ce désir et de ce plaisir, jusqu’aux mystères d’Éros et de Thanatos entrelacés, jusqu’à l’obscurité, mais toujours contre l’obscurantisme. »
Nous tenons à la sombre clarté de ce début de profession de foi, une foi lentement conquise contre les terroristes de la foi, qu’ils soient armés ou qu’il soient bardés de haine sous le masque fourbe de leur profession d’amour du prochain. Nous redoutons les Tartuffes selon Molière, les hordes soi-disant vertueuses de « la manif du Saint-Sacrement », les « fanfarons de vertu » dont les prières cachent un désir rampant de nouvelle inquisition. Nous respectons la foi qui sait combien complices sont les amours sacrées et profanes, combien l’amour fou d’un corps ou des corps peut ressembler à s’y méprendre à l’amour sacré d’un absolu insaisissable. Les mystères d’Éros sont insondables. La grandeur de l’art, c’est de célébrer ces mystères. C’est cet art lié au bel Éros qui nous a fait créer et défendre Erosonyx, pour mieux aimer la vie ou la rendre au moins aimable, au contact de la beauté et de la vérité d’œuvres qui méritent qu’on les publie, qu’on ne les enterre pas quelques mois après leur publication.
Onyx rose ?
Éros, force fondamentale du monde, Éros dieu de l’amour au même titre que sa mère Aphrodite, Éros, dieu de tous les amours, de toutes les amours, et progressivement devenu, dans la Grèce ancienne, dieu des amours garçonnières. Éros, anagramme de rose, la fleur d’entre les fleurs, mais aussi de la couleur, le rose.
Rose, comme l’étoile rose. Ne jamais oublier la nuit interminable de celles et de ceux qui sont morts, de ceux et de celles qui meurent encore aujourd’hui pour avoir osé aimer d’un amour interdit. Rose, vous avez dit rose ? Le rose des filles naïvement opposé au bleu des garçons ? Surtout pas. Nous aimons mieux parler de cloisons japonaises entre féminin et masculin. Pourquoi pas de nuances multiples et mobiles dans nos composantes de genre ? Mobiles au fil des rencontres. Mobiles au fil du temps. L’onyx est infini et se prête à toutes les fusions. Onyx jaspé de l’ambivalence, onyx marbré de l’ambiguïté. Onyx de tous les paradoxes. Onyx, pierre kaléidoscopique sans qu’on puisse en figer les mutations. Onyx innombrable, qui nous en fait voir de toutes les couleurs de l’amour. Ou comment on retrouve Éros…
Onyx. Au fait, est-ce un mot féminin ? masculin ? Serait-ce un mot de genre double, ambivalent ? La couleur de l’onyx est celle des ongles d’Aphrodite. De quelle nuance les imaginer, ces ongles de la déesse née des testicules tranchés de son père Chronos et de l’écume de la mer de Chypre ? Ongle est le sens en grec ancien du mot onyx puisque la pierre précieuse est née des ongles d’Aphrodite qu’Éros un jour ramassa alors qu’elle se les coupait. Éros, encore et toujours lui !
« Ne jamais oublier la nuit interminable de celles et de ceux qui sont morts, de ceux et de celles qui meurent encore aujourd’hui pour avoir osé aimer d’un amour interdit. »
Au cours des temps, l’onyx a pris des couleurs à l’infini. Onyx rose, onyx bronze, onyx grenat, onyx blond, onyx blanc, onyx noir… ad libitum…. Les couleurs de l’arc-en-ciel ! Voyez où nous voulons en venir ! Les éditions ErosOnyx veulent s’intéresser à l’arc-en-ciel des sexualités, avec une préférence pour les amours et les destinées gaies, lesbiennes, bisexuelles et transsexuelles. Mais, bien sûr, sans a priori aucun à l’égard des amours hétérosexuelles. Pour paraphraser la chanson de Daho et de Dutronc, tous les goûts sont dans notre nature, dans la nature d’EO. On peut aussi nous appeler comme ça puisque ce sont les majuscules d’ErosOnyx et qu’EO en latin ça veut dire « je vais, j’avance » !
Onyx, pierre d’Aphrodite, coquillage nacré, agate versicolore. Éros, l’enfant malicieux, dont les flèches sont redoutables, le bel Éros, dieu du Désir. Tout n’est pas toujours rose au pays d’Éros. Oui, redisons-le comme un refrain, l’amour est partout, même et surtout là où nous le croyons interdit, et ne nous en fait-il pas toujours voir de toutes les couleurs… de l’onyx ?
Nous le répétons, nous croyons en Éros, force du monde. C’est pourquoi l’association Nix&Nox a choisi d’intégrer son nom à celui de son activité éditoriale.