Voici un Pierrot qui nous emmènera à la découverte des souffrances, des frayeurs, des plaisirs aussi de la vie. Pour ce premier tome, nous le suivrons de l’enfance au premier amour. Amour improbable … interdit, entre l’adolescent et son professeur de Lettres. Au moment où Muriel Robin reprend à l’écran le rôle culte d’Annie Girardot dans Mourir d’aimer , Pierre Lacroix nous propose une histoire toute en poésie, qui fleure les Belles Lettres tout autant que la flore sauvage du Massif Central.
Après Bleus , paru en 2007, (…) c’est sur le long chemin de la vie d’un Pierrot d’aujourd’hui, inapte à séparer le cœur du sexe que nous emmène Pierre Lacroix.
Du nid protecteur de sa mère à la découverte, très tôt, trop tôt sans doute, de la mort, le voici, de la naissance à ses dix-sept ans – « à l’âge où, dans la rue, tous les représentants du sexe que l’on aime vous donnent envie de les déshabiller et de leur faire l’amour » – avec, pour conjurer ses frayeurs et ses questionnements, les dernières paroles de sa mère comme talisman. Autour, il y a la ferme où il a grandi, la ville où il étudie et où il se confronte aux autres, les saisons, la montagne immense, omniprésente, les animaux … mais surtout tout un monde secret construit de livres, de films, de chansons apprises par cœur, et puis, un jour, comme on allume la lumière après être resté trop longtemps dans le noir, l’apparition d’un professeur pas comme les autres.
Car « dès son apparition, comme on dit d’un Marlon Brando qu’il crève l’écran, il creva le tableau et l’estrade » … il leur apprendra que « tous les êtres ont une fatalité de bonheur » et leur ordonne dans le même instant : « Vivez tout ce qui piaffe en vous, même si pour le vivre vous passez par de mauvais chemins et de mauvais sentiments. »
Entre-temps, il aura découvert les coups de ceux qui n’aiment pas les garçons qui aiment les garçons, mais aussi, sous les lampions d’un bal de village, au travers d’un chanteur qui larmoie sur Les mots bleus, cette chaleur qui lui permet d’affirmer : « Il avait bandé, il avait saigné pour un vrai garçon. Il n’était plus puceau. »
Dans la classe, Pierrot est fasciné par celui dont il a découvert le prénom, Erwan, un prénom qui ne fait qu’ajouter au mystère qui, petit à petit, les lie, avant que ce ne soient les mots de Montaigne : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
Et puis, « un jour d’automne, la peau souple et moirée d’un pantalon de daim, patiné à la braguette, transgressa bien trop loin l’interdit de vie du corps et surtout du sexe qui pèse sur tout professeur au travail, et mit le feu à la rumeur : le prof était pédé ! ». Dès cet instant, Pierrounel ne put lire ce vers de L’union libre : « Ton sexe d’algue et de bonbon ancien », sans qu’il se mît « en filigrane sur ce vers écrit pour une femme, le gros plan de la bosse un peu luisante et patinée d’un pantalon de daim » …
Mais cet amour naissant et non encore partagé aura-t-il une chance de survivre dans cet univers rude où tout semble immuable ? Pierrounel n’a pas dit son dernier mot.
TELS QUELS magazine 280, Bruxelles, décembre 2009, p. 33.